Nous avons d'un côté l'article d'un universitaire exposant une thèse apparemment très sérieuse et de l'autre une critique incendiaire. Essayons d'y voir clair.
Si son texte est énigmatique, on en sait tout de même beaucoup sur le manuscrit de Voynich comme on peut s'en convaincre à la lecture de l'article qui est consacré dans l'encyclopédie Wikipedia.
Ce manuscrit est resté longtemps dans l'oubli, ce qui explique pour une bonne part la difficulté à appréhender son contenu écrit dans un système inconnu : on ne connaît pas son auteur ni pour qui et pourquoi ce dernier l'a rédigé. Les analyses du support, du style d'écriture, des illustrations, donnent à penser qu'il date du début du quinzième siècle, ce qui est confirmé par la datation au carbone 14. Il comprend cinq sections illustrées : herbier, astronomie, balnéothérapie, cosmologie, pharmacologie, et une sixième purement textuelle.
Diverses hypothèses ont été formulées, la plupart fantaisistes. Les analyses cryptographiques n'ont pas abouti. L'hypothèse de la mystification présente une certaine crédibilité. En effet on en connaît quelques exemples dont celui des faussaires Edwadr Kelly et John Dee qui prétendirent au dix-septième siècle pouvoir converser avec les anges et à cette fin imaginèrent une langue, l'énochien, et un alphabet.
Esther Addley, journaliste au Guardian, a donc de quoi ironiser : manuel de médecine médiévale écrit en abréviations latines ? description de bains rituels rédigés en hébreux par un médecin italien ? turc ancien ? langue aztèque disparue ? Comment prendre au sérieux le professeur Cheshire qui prétend avoir percé en quinze jours, grâce à sa sagacité et une approche originale du problème, ce qui a échappé aux meilleurs cryptographes du FBI et de la CIA ? Les spécialistes ne sont pas en reste. Simple auto-suggestion, « Le pré-roman n'existe pas » selon le Dr Lisa Fagin Davis, de la Medieval Academy of America. Le Dr Kate Wiles, linguiste spécialiste du moyen-âge et éditorialiste à History Today, est tout aussi sceptique : une nouvelle théorie apparaît tous les six mois. Celle de Cheshire n'en serait qu'une de plus. D'ailleurs, il ne propose aucune traduction. Il se contente d'expliquer la langue et l'écriture, laissant à d'autres le soin de traduire.
Cependant les explications de Cheshire méritent peut-être tout de même qu'on s'y attarde.
L'étude du manuscrit se heurte à une triple difficulté : une langue inconnue, un système d'écriture inconnu, une absence de marques de ponctuation à quoi il faut encore en ajouter une quatrième, le fait qu'une partie du texte consiste en des expressions et abréviations latines. Or cette dernière caractéristique du manuscrit était la clé qui avait échappé jusqu'alors aux chercheurs et ce n'était certainement pas une recherche cryptographique qui pouvait permettre de la trouver. Car en réalité le texte n'est nullement codé. Il a tout simplement été rédigé dans une langue et un système d'écriture qui étaient usuels aux temps et lieu où il a été confectionné, c'est à dire le début du quinzième siècle sur l'ïle d'Ischia si l'on en croit le dr Cheshire.
Cheshire défend sa méthode au cours d'une interview par le journaliste Nicholas Gibbs publiée dans le supplément littéraire du Times :
https://www.the-tls.co.uk/articles/public/voynich-manuscript-solution/. Grâce à son expérience de la lecture d'inscriptions latines médiévales sur les monuments il a reconnu dans le manuscrit de Voynich des signes d'abréviations latines.
Ce manuscrit est un recueil d'informations sur les remèdes à base de plantes médicinales, les bains thérapeutiques et les interprétations astrologiques à donner pour ce qui concerne le corps et l'esprit des femmes, l'éducation des enfants et l'âme selon des conceptions mêlant croyances catholiques et païennes qui avaient cours dans l'Europe méditerranéenne à la fin du moyen-âge.
Cheshire pense que le manuscrit a été composé par des religieuses dominicaines de l'île d'Ischia près de Naples pour Marie de Castille épouse du roi Alphonse V d'Aragon. Selon lui la reine y est représentée conduisant des négociations commerciales dans son bain et des annotations y seraient même de sa main. Le manuscrit contient une carte dépliante qui fournit l'information nécessaire pour en dater et localiser l'origine : il y est représenté le sauvetage par bateau des victimes de l'éruption volcanique ayant commencé le soir du 4 février 1444 en mer Tyrrhénienne. Cette opération a été menée sous la conduite de Marie de Castille qui exerçait la régence en l'absence d'Alphonse V occupé à prendre le contrôle de Naples conquise en février 1443. Ischia était célèbre pour ses sources d'eau chaude. Le manuscrit contient de nombreuses images de femmes nues s'y baignant à la fois pour le plaisir et dans un but thérapeutique. Ce sont elles qui ont tout particulièrement attiré l'attention de Cheshire. Il lui parut évident que l'ouvrage rassemblant dessins d'herbes médicinales, cartes zodiacales, instructions sur les bains, et diagrammes montrant l'influence des Pléiades consistait en un traité de médecine.
Il fallait donc partir d'ouvrages connus inspirés des ouvrages antiques de Galien, Hippocrate et Soranus, à commencer par celui de Trotula rédigé au douzième siècle dans la cité portuaire de Salerne qui fut un centre célèbre d'enseignement de la médecine. Cheshire en avait pris connaissance quelques années avant de s'intéresser au manuscrit de Voynich à travers une édition en latin du dix-huitième siècle. L'intérêt majeur de celle-ci réside dans des illustrations ayant pour sujet la gynécologie, les saignées et les bains qui l'ont convaincu qu'elles avaient servi de modèle pour le manuscrit de Voynich.
Le
Trotula est très proche d'un autre manuscrit apparu vers 1220 dont des copies ont été largement répandues,
De Balneis Puteolanis, qui, à la différence du Trotula, contenait des blocs d'instructions abrégées. Celui-ci traite des vertus sanitaires des bains, particulièrement les bains dans les sources de Puzzoli, une ancienne cité balnéaire située sur les Champs Phlégréens, une aire volcanique proche de Naples. Cheshire a relevé que plusieurs détails des illustrations de
De Balneis Puteolanis rappellent des passages portant sur les sédations, exercices physiques, purges ou saignées tirées de Galien ou Hippocrate. Plusieurs de ces illustrations sont répliquées dans le manuscrit de Voynich et se retrouvent également dans le
Trotula. Il en est de même avec des passages des herbiers du médecian Paulus Aegineta et de son contemporain Apulée. Plus les illustrations du manuscrit de Voynich étaient finement observées et plus il devenait évident que ce dernier était un ouvrage de référence tiré de traités classiques médiévaux.
L'écriture restait cependant opaque. On sait que les écritures médiévales sont très diverses et que cela jette une certaine confusion. Cheshire a commencé par identifier deux caractères comme étant des ligatures latines correspondant respectivement aux mots
eius et
etiam. Les ligatures sont des raccourcis. Elles sont composées de lettres sélectionnées dans un mot qui, ensemble, représentent le mot entier. Un travail systématique à l'aide du
Lexicon Abbreviaturerum (1899) d'Adriano Cappelli, une bible pour les médiévistes, a permis de repérer d'autres ligatures et abréviations. Il devenait évident que chaque caractère du manuscrit de Voynich représentait un mot abrégé et non une lettre.
Les légendes de chaque plan de l'herbier se lisent comme une suite d'abréviations et de ligatures. Les abréviations correspondent à des mots contenus dans l'
Herbarium Apuleis Platonicus. Par exemples : aq – aqua, dq- decoque/decoctio, con-confudo, ris-réadacis/radix, s aiij-seminis ana iij (3 grains de chaque). L'herbier du manuscrit de Voynich apparaît alors comme un recueil de recettes dont il manque l'index indispensable à un tel type d'ouvrage. Beaucoup d'autres ouvrages semblables sont munis d'un index offrant un système références croisées reliant maladies, symptômes, noms de plantes et pages du livre. Donc non seulement l'ouvrage est incomplet, mais en plus les folios sont disposés en désordre.
Un exemple :
1ère ligne : facsimile du texte
2ème ligne : transcription de chaque caractère du manuscrit en alphabet latin
3ème ligne : traduction des abréviations
Le travail semble bien abouti contrairement aux critiques, au moins pour ce qui concerne les parties en latin.
Citer :
Comment se fait-il qu'il aie été le seul (je suppose) à constater qu'il s'agissait d'une forme populaire de latin ?
Le travail de déchiffrement était compliqué du fait que le texte est en grande partie une suite d'abréviations latines incompréhensibles si l'on n'est pas un spécialiste ce que n'étaient pas la plupart de ceux qui se sont lancés dans l'entreprise. Il fallait penser qu'il pouvait exister une sorte de pierre de Rosette, en l'occurrence les traités de médecine médiévaux et un lexique d'abréviations latines. Je pense que des médiévistes auraient pu trouver la solution plus tôt mais qu'ils ont jugé que ce travail ne présentait pas un grand intérêt. Comme l'a dit Cheshire, ce qu'on trouve dans le manuscrit de Voynich se trouve également dans d'autres ouvrages médiévaux. Il n'en est pas de même par exemple des vestiges d'écriture mycénienne et étrusque qui appartiennent à des civilisations peu documentées.