Effectivement, la notion de frontière est tout à fait intéressante, et la manière dont vous en parlez, Fonteklaus, est très riche.
Personnellement, la première chose que je voudrais dire est qu'il semble y avoir une constante chez l'individu humain de la catégorisation ami / ennemi. S'il m'est permis de faire une petite digression, j'aimerais apporter l'éclairage de la psychologie sociale expérimentale, dont cette catégorisation in-group / hors-group est l'un des sujets favoris.
En fait, on a montré que dès qu'on forme deux groupes d'individus,
quelque soit le critère de distinction, un membre du groupe A aura tendance à se sentir solidaire des autres membres de son groupe, et à dévaluer les comportements des membres du groupe B. C'est le cas même si les groupes sont constitués par des individus qui ne se connaissaient pas une heure auparavant, et qui ont par exemple été segmentés sur la base de la réponse à une question aussi anodine que : "Quelle photographie préférez-vous ? La A ou la B ?"
C'est pour dire si les comportements de catégorisation sont profondément ancrés en nous.
Je précise toutefois que la catégorisation n'est pas à confondre avec l'individualisme. Au contraire, le processus de catégorisation constitue à la fois un groupe antagoniste
et un groupe d'appartenance.
La question est ensuite : Pourquoi tout le monde ne catégorise-t-il pas sur la base des mêmes critères ? En effet, nous ne donnons pas la même préférence aux mêmes critères de catégorisation : Certains vont privilégier des critères raciaux, ethniques, d'autres des critères politiques, d'autres des critères religieux, etc. Sans doute que cela a à voir avec la manière dont on se définit soi-même, puisque l'identité se constitue dans un processus de confrontation et de différenciation d'avec l'Autre.
Mais surtout il me semble que, pour revenir à l'histoire maintenant, il n'est pas impossible de repérer des "périodes" durant lesquelles certains critères de catégorisation dominent, qui fondent la distinction in-group / hors-group, et entrent par conséquent dans la définition de l'identité individuelle. Et dans cette perspective, on pourrait peut-être dire par exemple que la notion de "frontière" est une notion historiquement située, qui correspond peu ou prou à une période de l'histoire occidentale où la communauté, le groupe d'appartenance fondamental, se définit essentiellement comme l'Etat-nation.
Par conséquent, il n'y aurait peut-être pas tant de méfiance "ancestrale" entre peuples, inscrites dans des déterminants historiques, mais des catégorisations qui évoluent avec le temps, en fonction de divers éléments. Et de fait, l'ennemi d'avant-hier est bien souvent devenu l'ami et l'allié d'hier.
Une certaine analyse très actuelle, à laquelle plusieurs intervenants font référence, consiste d'ailleurs à dire qu'à l'heure où les frontières s'abolissent, et après la dévaluation de la catégorisation politique, le critère fondamental de catégorisation pourrait être devenu (ou redevenu, d'ailleurs) un critère racialo/ethnique, ou un critère religieux. Voire les deux à la fois