Désolé, mais les textes antérieurs au traité de Tordesillas parlent clairement du partage de terres encore à découvrir, je ne sur-interprète pas c’est écrit noir sur blanc. Il faudrait des connaissances sur la période que je n’ai pas, mais si le passage par l’ouest pour atteindre les Indes a été cherché, il était dès lors tout à fait logique qu’il y aurait des « découvertes » (îles et archipels encore inconnus, et bien sûr les côtes de l’Asie qu’on espérait trouver). Sur ce point, je ne suis pas sûr du tout que l’Europe considérait l’Asie/les Indes comme une zone totalement connue, un lieu où il n’y avait aucuns territoires à conquérir. Vous en savez visiblement plus que moi, mais je ne vois pas comment on pourrait occulter le fait que l’hypothèse d’une circumnavigation pour atteindre les Indes s’accompagne de la possible, voire probable découverte de territoires inconnus en cours de route ou une fois sur terre asiatique. Sur ce point, il ne s’agit donc pas de faire dire à ces textes « plus que raisonnablement nécessaire », mais, au contraire, de les remettre dans leur contexte et d’essayer de les comprendre à l’aune des connaissances, croyances et espérances de l’époque. Je le répète, je ne connais pas très bien la période, mais j’ai de la peine à croire que ce David Landes et que d’autres auteurs fassent de la surinterprétation sur un texte qui, je le répète, parle bien de terres encore à découvrir et partage on ne peut plus explicitement des territoires. Et j’ajouterai à cela que les bulles papales du XVe siècle « autorisent » Castille et Portugal à occuper des nouveaux territoires pour propager la parole de Dieu.
Je ne vois donc aucun problème à se partager quelque chose qui n’a pas encore été découvert quand on a un fort soupçon qu’il existe, ce à plus forte raison qu’il s’agit aussi de devenir maître des Indes qu’on pense trouver au terme du voyage. On pourrait d’ailleurs multiplier les exemples de terres convoitées pour ce qu’elles pourraient contenir sans qu’on en soit certain (gaz, pétrole, charbon, l’achat de concession dans l’ouest américain en espérant y trouver de l’or, etc.). Je ne sais pas si c’est vrai, mais ne dit-on pas que Colomb espérait trouver de l’or ? Il était plus ou moins certain de trouver une terre au terme du voyage et les indications, indices à l’époque existaient bien.
Ensuite, et il s’agit de nouveau d’une interrogation de ma part, il faudrait se pencher de plus près sur les réactions qu’il y a eu suite au voyage de Colomb. Il n’est pas difficile de penser que les différents Etats Européens ont été dans tous leurs états et il ne serait pas superflu d’analyser les réactions portugaises en particulier. Les traités antérieurs sont clairs, je crois qu’on peut difficilement le nier, mais il y a deux phénomènes que l’on doit tenir en compte :
1) Nous devons intégrer dans notre réflexion le chamboulement dont je viens de parler. Il était peut-être plus facile pour le Portugal de laisser à la Castille des terres qu’on n’avait pas encore foulées. Une fois que l’on croit avoir atteint les rivages asiatiques, la chanson devient tout autre et le Portugal veut assurer ses arrières, avec d’autant plus de force que le Portugal misait sur la route « africaine » pour atteindre les Indes. Cela a dû leur faire un sacré choc.
2) Les traités antérieurs n’avaient pas pu régler définitivement la question. Une rapide recherche sur le net, à défaut d’une recherche dans une bibliothèque universitaire (vacances de Pâques oblige
semble claire sur ce point. Oui, oui et re-oui, les traités antérieurs partageaient en quelque sorte une partie du monde entre Castille et Portugal, mais il a fallu Tordesillas pour les compléter et les faire accepter car justement la question de l’ouest n’était pas définitivement réglée… Il y a donc eu besoin d’un nouveau traité suite à la découverte de Colomb, mais il semble erroné à mes yeux de minimiser le rôle des traités et des bulles antérieurs.
Ainsi, c’est en se fondant sur l’expérience passée et les textes existant que certaines revendications sont formulées: « Le 3 novembre 1493, pedro de Ayala et Garci Lopez de Carvajal rappellent à Jean II qu’il lui revient d’interdire toute expédition vers l’Amérique, comme leurs souverains l’ont fait dans les territoires castillans pour l’Afrique, arguant du droit du premier arrivé ». TARDIEU, Jean-Pierre, “La "Mina de oro" : du conflit luso-castillan aux traités d'Alcaçovas (1479) et de Tordesillas (1494)”, in Bulletin hispanique,n°97, 1994, p.130.
Je mentionne également un article très intéressant qui propose un point de vue très proche que ce que semble mentionner Alain.g. Datant de 1973, il est sûrement dépassé d’un point de vue historiographique, mais il montre que les hypothèses avancées par notre camarade ne sont ni nouvelles, ni le fait d’énergumènes isolés qui veulent « lire l’avenir dans le passé ». Se demandant pourquoi le Portugal a éconduit Colomb, cet article mentionne les frais suscités par une expédition alors que le pays est tout entier tourné vers l’Afrique, mais aussi le fait que Colomb voulait absolument partir des îles Canaries. Or, « Il ne faut pas oublier que le traité d’Alcàçovas (1479) avait attribué les Canaries à la Castille : accepter le plan Colomb n’était-ce pas, pour Jean II, violer le traité et s’exposer à des représailles castillanes ? Voilà pourquoi le Portugal hésitait à s’engager, mais Colomb tenait à son projet. » (p. 465).
A la page suivante, « Ce continent, il a bien fallu l’intégrer à l’univers mental de l’Occident, et, d’abord, au monde politique de l’époque ». (p. 466) Et l’auteur va même plus loin en disant que le traité de Tordesillas n’est pas si hasardeux et que les Portugais soupçonnaient l’existence de terre à l’est du méridien choisi comme limite.
Lien vers l’article :
http://www.persee.fr/web/revues/home/pr ... _75_3_4115En définitive, il ne s’agit pas de faire dire à ces traités ce qu’ils ne disent pas. Mais je trouve difficilement contestable de nier la teneur de ces différents textes, à savoir qu’il s’agit bel et bien du partage d’une partie du monde (y compris des « terres »). Qu’il ait fallu le traité de Tordesillas pour les compléter et arriver à un accord qui n’avait pu être obtenu jusque là n’enlève rien à leur contenu. Et pour finir sur une boutade, je vous dirais qu’au contraire, il ne faut pas minimiser leur contenu parce qu’il y a eu un traité postérieur bien plus complet et fondé sur de nouveaux éléments, c’est juste que le monde évolue.