Merci, très intéressant, notamment pour la sophistication chrétienne du système de vente des esclaves, comme on le voit dans cet extrait: " Un armateur maltais arme avec de l'argent et un équipage maltais un bâtiment en course, mais le fait enregistrer à Livourne pour pouvoir battre pavillon du grand duc de Toscane, sous les noms d'hommes de paille choisis à dessein sans un sou vaillant (afin de rendre inutile la contrainte par corps, éventuellement). Bien entendu, les prête-noms ont signé des contre-lettres, maintenues secrètes, qui sauvegardent les intérêts des armateurs ; et pour compliquer le tout, volontiers les prises se vendent à Messine, à Païenne ou à Naples, afin de provoquer l'intervention d'une troisième puissance en cas de procès1. Grâce à ces subterfuges, l'impunité du corsaire restait quasi totale, malgré la ténacité des victimes qui n'hésitaient pas à entamer des procès interminables dont l'issue était loin de leur donner satisfaction2. Cette supériorité manifeste du système corsaire chrétien sur le système barbaresque, on la retrouve à Livourne*. Livourne était non seulement un grand port, c'était aussi un marché d'esclaves fort bien achalandé, et nous savons par le consul de France qu'il existait à la fin du xvne siècle deux ou trois maisons spécialisées dans le trafic des esclaves et dont la plus pauvre avait plus de 150 000 écus de capital4. Ces esclaves avaient deux débouchés : l'achat par un intendant des galères ; le rachat par la famille de l'esclave. C'était là la spéculation la plus intéressante pour le propriétaire, mais aussi la plus aléatoire, car on ne pouvait accorder beaucoup de foi aux promesses de malheureux qui ne voyaient en elles que le moyen d'avoir un répit avant d'aller ramer sur les galères. La chiourme était donc le plus souvent le point d'aboutissement des esclaves6. "
A voir aussi, ce qui concerne un effet peu connu des prises d'otage de musulmans par des bâteaux chrétiens sur le commerce naissant du Maghreb qui est en retard: " La cause de ce retard économique, problème historique d'une profonde résonance, ne doit-elle pas, entre autres, être recherchée dans l'attitude agressive des puissances chrétiennes? La saignée humaine que firent' subir à l'économie moghrébine et « turque » les corsaires chrétiens est certainement assez faible en chiffres absolus1, mais elle intervient à un moment décisif, au moment où l'Afrique du Nord et le Levant s'éveillent au grand commerce maritime2. Les côtes musulmanes deviennent tout de suite des zones d'insécurité ; les premiers bateaux musulmans qui s'essaient au commerce sont pris par les corsaires chrétiens ; les États chrétiens entretiennent des rouages diplomatiques et économiques permanents dans les États d'Islam. Mais l'inverse n'est pas vrai. Si un «Turc» veut négocier en Chrétienté, l'insécurité de la mer le conduit à noliser un bâtiment étranger dont le souverain est assez puissant pour être respecté et l'absence de comptoir musulman en Chrétienté le livre pieds et poings liés à la discrétion des intermédiaires qu'il utilise, obligatoirement chrétiens (ou juifs). Le commerce musulman meurt, à peine né; et, faute "de pouvoir devenir commerçant, on reste pirate. ... Tant il est vrai que toute la vie du monde musulman s'éclaire en replaçant le trafic des hommes à sa place, au cœur de l'économie méditerranéenne.Jean Mathiex. Notes: 1. Néanmoins, il y a encore 9 000 esclaves « turcs » à Malte au milieu du xviii8 siècle lors de la tentative manquée de révolte des esclaves en 1749, chiffre qui prend tout son sens quand on le rapproche du nombre total d'esclaves chrétiens au Maroc : 800 en 1708 ; 660 en 1723, etc.... 2. Le chevalier d'Escrainville, représentant de la France à Malte, se vante d'avoir enlevé avec deux malheureux vaisseaux, en 1664 et 1665, quatre vaisseaux turcs d'un convoi, ce qui lui rapporta 200 000 écus. "
_________________ Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.
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