Mon cher René, partez seul ! Pourquoi attendre quelqu'un d'autre? Voyager en solo est la meilleure école qui soit. On se retrouve face à soi-même, on est libre, on se découvre sous un jour nouveau. Et on s'ouvre beaucoup plus à l'Autre, car cet Autre est notre seul contact. D'ailleurs, on ne fait jamais autant de rencontres que quand on voyage seul...
Pour rester sur cette région de l'Asie centrale, je me dois de mentionner le "couple du siècle" qui, sans être pour le moins du monde amoureux, ont traversé les immensités du Turkestan chinois en 1935, à l'époque des seigneurs de la guerre et de l'anarchie qui en découlait, des révoltes locales, de l'influence soviétique sur cette région...
Je veux bien sûr parler d'
Ella Maillart et de
Peter Fleming..
Elle : Suisse, touche-à-tout (voyageuse, skieuse, journaliste-écrivain, navigatrice), sans doute avec David-Néel la plus grande voyageuse du XXème siècle.
Lui : Anglais, frère de Ian Fleming (le créateur de James Bond), un talent littéraire énorme, sans doute agent de renseignement du MI6.
De ce voyage commun à travers les steppes, les déserts et les montagnes, ils nous ont chacun laissé un livre :
Chine, 1935. Une demoiselle intrépide et un jeune Anglais ami des grands chemins, bloqués à Pékin par la guerre civile, décident de rentrer au pays en traversant sans visa - et presque sans bagages - les déserts d'Asie centrale. Ce périple insensé à travers l'une des régions les moins explorées du globe vaudra aux lecteurs européens deux chefs-d’œuvre de la littérature voyageuse. La demoiselle s'appelle Ella Maillart, son livre Oasis interdites passe aujourd'hui pour un classique. Le jeune homme a nom Peter Fleming et se trouve être à vingt-huit ans l'un des meilleurs écrivains de sa génération. Courrier de Tartarie est aujourd'hui considéré comme un livre-culte par tous les amateurs de littérature voyageuse. Plus que le livre d'Ella Maillart, pourtant magnifique, je conseille celui de Peter Fleming, écrit avec un style et un humour inimitables. Assurément l'un des plus grands livres de littérature de voyage jamais écrit. Et,
last but not least puisque nous sommes sur Passion-Histoire, on y trouve une véritable étude de la situation locale, des révoltes des tribus, des tentatives chinoises pour garder ce territoire, de l'influence soviétique grandissante, du Grand jeu entre Russes et Britanniques...
A ce propos, j'ai trouvé cet article intéressant qui aborde la question et montre que la littérature de voyage actuelle est peut-être devenue trop simpliste, trop manichéenne :
Xinjiang, années trente : Ella Maillart et Peter Fleming
Il faut relire les récits de voyage d'Ella Maillart et de Peter Fleming. Ils ont traversé ensemble la Chine en 1935 pour aller voir "ce qui se passait" dans le Xinjiang, sur quoi couraient toutes sortes de rumeurs. Un Anglais et une Helvète, bel attelage pour traverser les déserts et essayer d'approcher les seigneurs de la guerre turcophones ou autres.
Les deux livres sont disponibles en français sous les titres de Courrier de Tartarie, de Peter Fleming, et d'Oasis interdite d'Ella Maillart, l'un chez Phébus l'autre chez Payot.
Ce que je voudrais mettre en lumière aujourd'hui, à propos de ces récits de voyage, c'est le chapitre qu'ils consacrent tous deux à la situation géopolitique de la région. Prenons-en de la graine, nous qui prétendons écrire de la littérature du voyage. Qui fait encore l'effort de comprendre, de chercher, de mettre en ordre, de mettre en perspective ? Chacun à leur manière rappellent l'histoire ancienne et la présence de la Chine dans cette région depuis plus de deux mille ans. Ils rappellent rapidement les invasions, les révoltes, les empires, les républiques auto-proclamées, les intérêts des grandes puissances entourant la région.
Cela me paraît à des années lumière de ce que nous lisons depuis, dans les récits de voyage et dans les reportages de journalistes. Aujourd'hui, la tendance est à la simplification pour raison humanitaire. On veut défendre les droits des Ouïghours, et on décrit une situation claire comme de l'eau de roche, comme ici sur le blog de Sylvie Lasserre, consacré à l'Asie centrale : "Depuis 1949, date de l’occupation de leurs terres par la Chine communiste, les Ouïgours assistent impuissants à la colonisation han." L'image est simple et fausse : autrefois les turcophones vivaient libres sur "leurs terres", et soudain, en 1949, la vermine communiste est venue envahir tout cela.
Tous les récits de voyage dans la région que j'ai lus vont dans ce sens. Ce n'est pas la dénonciation de la politique de Pékin qui me choque, mais l'alliance étrange qui y est déployée entre l'absence de toute description historique et le rejet pur et simple des Chinois, comme s'ils étaient définitivement des étrangers.
Ella Maillart et Peter Fleming, quand ils parlent de la Chine, ne voient pas d'horribles colons. Et quand ils appréhendent le Xinjiang, ils voient une terre stratégique qui attire l'attention des grandes puissances que sont la Chine, l'Angleterre, l'URSS et même le Japon. Ils voient aussi des chefs de guerre Ouïghours ou Hui, dont les armées et les révoltes sont aussi romanesques que dangereuses. On est loin des images d'Epinal.
Il faut relire Maillart et Fleming pour nous nettoyer l'esprit de l'atmosphère humanitaire et larmoyante qui envahit l'écriture du voyage et du reportage. http://laprecaritedusage.blog.lemonde.fr/2009/11/27/xinjiang-annees-trente-ella-maillart-et-peter-fleming/Bon, ce journaliste tombe peut-être un peu dans l'extrême inverse, mais il y a effectivement des choses à méditer dans cet article...