jibe a écrit :
L'échec des rois danois à fusionner leurs deux peuples a été la cause de leur échec tout court, et de la haine qui a durablement séparé les deux pays.
Sans vouloir particulièrement polémiquer, de quels peuples parlons-nous ? Et quelle a été la place des peuples dans toute cette histoire ?
S’il s’agit des peuples danois et « scanien », j’ai démontré ci-dessus qu’en 1658, au moment de la paix de Roskilde, les scaniens étaient bel et bien, et totalement, danois.
Concernant les relations entre danois et suédois du XVI° au XIX° siècle, c’est des conditions de la dissolution de l’Union de Kalmar qu’il s’agit. A un moment où, partout en Europe, le concept d’état-nation s’imposait au détriment des anciennes structures d’allégeance féodales, il aurait fallu, pour maintenir l’union, sous un seul sceptre, des trois couronnes nordiques, des dirigeants d’une trempe tout à fait exceptionnelle. Christian II n’était clairement pas à la hauteur de ces enjeux, et la façon brutale et sanguinaire dont il crut régler la question de la rébellion de la noblesse suédoise précipita la dissolution de l’Union. Mais, nonobstant ces fautes politiques, la lecture des évènements montre que le processus de désagrégation était déjà bien engagé et que le résultat n’eût, de toute façon, probablement pas été in-fine bien différent, se fût-il comporté autrement.
Une fois la séparation acquise, chacune des deux entités défendit ses intérêts. Et comme ils entraient clairement en conflit, la confrontation fut le plus souvent belliqueuse. L’armée suédoise en sortit quasiment toujours victorieuse, ce dont le Danemark (et par ricochet la Norvège qui lui restait unie) firent les frais.
Parenthèse : Notons qu’à peu près à la même époque l’union des royaumes ibériques connut une fin similaire. Ratifiée par les Cortes de chacun des royaumes de Castille-Léon, d’Aragon et de Portugal, l’union sous le règne des trois Philippe de Habsbourg (II, III et IV) ne survécut pas à la défaite militaire dans la guerre de trente ans, ni à l’or de Richelieu. Le Portugal sortit rapidement et relativement facilement, et la Catalogne ne fut soumise que par la force et la contrainte. On en est encore là aujourd’hui !
Quant au rôle des peuples, tel que nous l’entendons au XXI° siècle, on ne leur demanda tout simplement pas leur avis. Toutes ces affaires et ces querelles étaient initiées par la noblesse et elle seule. L’immense majorité des gens étaient des paysans, qui voyaient les armées des uns et des autres aller et venir sur le champ de bataille (et la Scanie fut un champ de bataille particulièrement dévasté), brûler leurs chaumières et leurs maigres récoltes, quand ils n’étaient pas passés au fil de l’épée. La bourgeoisie urbaine n’avait pas plus part aux affaires.
La façon asymétrique dont le règne de Christian II est apprécié par les historiographies « officielles » suédoise et danoise est d’ailleurs assez révélatrice des réalités sociales de l’époque. Pour les suédois, Christian II est, comme nous l’avons vu, un roi étranger, fourbe et sanguinaire, chassé du trône à l’issue d’une lutte nationale – mais il faut lire en réalité, en filigrane, du peuple enrôlé sous la bannière de sa noblesse locale. Pour les danois, c’est un roi réformateur, qui tenta de libérer son peuple des griffes des seigneurs et propriétaires terriens qui l’asservissaient. Son échec à faire plier ces derniers entraîna sa déposition et son emprisonnement à vie dans la forteresse de Sönderborg. On le voit, on assista en réalité à un conflit de pouvoir, à coloration sociale, qui prit une tournure nationale à Stockholm parce que la noblesse locale pouvait jouer cette carte, alors que la noblesse danoise n’eut d’autre choix (victorieux par ailleurs) que de changer de monarque pour maintenir sa domination.
De la même façon, après le désastre de la paix de Roskilde, Frederik III en rendit responsable l’égoïsme de sa noblesse, et en profita pour supprimer ses privilèges, s’appuyant cette fois avec succès sur la bourgeoisie de la capitale, dont les milices urbaines avaient été l’âme de la résistance à l’envahisseur suédois. Mais, si des roturiers entrèrent au Conseil Privé royal, c’est bien en réalité un absolutisme de type louis-quatorzien qui fut instauré. Pour l’abolition du servage, il fallut attendre 1788, et pour l’octroi d’une constitution, 1848.
Par ailleurs, sur cette question de l’identité scanienne d’aujourd’hui, je recommande de visiter le site (en suédois, avec des pages en anglais claires et didactiques)
http://www.scania.org . Il s’agit d’un mouvement régionaliste et autonomiste, un peu dans le style de l’UDB en Bretagne, mais, pour l’instant, et pour autant que je sache, sans traduction politique immédiate, ni participation aux élections. En gros, leur conception de l’histoire est qu’après 800 ans de domination danoise, la Scanie a subi 280 ans de joug d’un état suédois jacobin et ultra-centralisateur (qu’ils comparent d’ailleurs volontiers à l’état français !). Toutefois, ils me semblent avoir nettement plus de ressentiment vis-à-vis de la seconde époque que de la première.
Enfin, sur le chapitre des sentiments et relations à l’égard de l’Allemagne, il faut noter que les situations dans la première moitié du XX° siècle ont été assez différentes, ce qui explique des sentiments parfois un peu divergents.
La Suède n’avait pas le moindre contentieux territorial avec l’Allemagne. En outre, la Wehrmacht est arrivée avec l’accord du gouvernement suédois, pour aider l’armée finlandaise (donc, d’ex- compatriotes, d’autant que le maréchal Von Mannerheim était issu de la minorité suédophone de Finlande), lâchement agressée par Staline, à se défendre.
Le Danemark, pour sa part, a été envahi à trois reprises en un siècle par les armées allemandes, en 1848, 1864 et 1940. Qui plus est, la moitié du Slesvig (Schleswig en allemand) avec les villes de Tönder, Sönderborg et Haderslev notamment, a été annexée par le Reich de 1864 à 1919. L’occupation nazie fut dure, surtout de fin 1943 à 1945.
Mais danois et suédois se retrouvèrent pour exfiltrer sur l’autre rive de l’Öresund les juifs danois menacés d’extermination. Beaucoup de pêcheurs seelandais et scaniens participèrent à l’opération au péril de leur vie.