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Message Publié : 19 Jan 2024 11:59 
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Le titre de ce sujet est sans doute trompeur et le pluriel pourrait être utilisé à "identité", surtout depuis la période contemporaine et les conséquences de trois guerres entre la France et l’Allemagne entre 1871 et 1945.
Il en va de cette région, aux limites géographiques mal définies avant le XVIIIème siècle, comme pour d'autres.

Les territoires de l'Alsace contemporaine se situent dans le royaume alaman à la fin du IVème siècle, après une romanisation que ses populations ont connu pendant plus de trois siècles : Argentoratum fut un camp de légionnaires situé sur le limes de la partie rhénane de l'Empire romain.
Une fois intégrés aux royaumes francs (celui d'Austrasie plus précisément), les souverains mérovingiens créent un "duché d'Alsace" au VIIème siècle, dont la mission première était de défendre les marches du royaume contre des incursions ponctuelles d'Alamans, peuples germaniques dont la soumission aux monarques francs fut aussi longue que tortueuse. Une fois que les royaumes francs furent étendus bien au-delà du Rhin et unifiés par les carolingiens, le duché d'Alsace disparut au milieu du VIIIème siècle.
Après le partage de Verdun (843), puis la lente désagrégation de la partie dont Lothaire avait hérité, cette région se trouve intégrée à la Francie orientale, qui deviendra progressivement le Saint-Empire Romain Germanique au Xème siècle.
Celui-ci, véritable agrégat d'Etats, principautés ou villes libres d'Empire, permettait une relative autonomie locale et au Moyen-Age le territoire alsacien était morcelé entre villes libres (comme la célèbre Décapole) et seigneuries multiples, dont la plupart des dirigeants étaient au service de l'empereur.
Même si ces populations parlaient une langue alémanique et sont de culture germanique, il est délicat de parler d'identité alsacienne avant la conquête, en plusieurs étapes, de cette région par le royaume de France, du traité de Westphalie (1648) à la politique dite "des réunions" menée par Louis XIV, Strasbourg étant rattachée au royaume de France en 1681.
Ainsi, au 18ème siècle, l’Alsace est enfin clairement définie, historiquement et géographiquement. Faisant partie du Royaume de France, elle se présente comme ayant ses spécificités et son origine propre. Puis, durant la première moitié du 19e siècle, les historiens et folkloristes, de confession protestante, s’attachent à mettre en avant la germanité de l’Alsace en publiant une histoire patriotique de la région dans laquelle sont propagés les us, coutumes et traditions populaires.

Mais le questionnement sur l'essence même d'une identité alsacienne apparait véritablement suite à la guerre franco-prussienne de 1870. En effet, les Prussiens et leurs alliés ont comme but de guerre la conquête de la région alsacienne et de certains territoires lorrains (le plus souvent de langue alémanique également) pris aux anciens départements de la Meurthe, de la Moselle et des Vosges (quelques cantons).
Le traité de Francfort du 10 mai 1871, ratifié de manière forcée par le gouvernement français, "rendait" cette région d'Alsace-Lorraine au jeune empire allemand, ce dernier en faisant une "terre d'empire" : le Reichsland Elsaß-Lothringen.
C’est véritablement à partir de cette date que les liens culturels, linguistiques et historiques de la région font véritablement d’elle l’objet principal d’une polémique autour des revendications territoriales allemandes dans laquelle les arguments tirés de l’histoire sont forcément mis en évidence. La nature de la nation fera alors débat entre l’historien de l’Antiquité Theodor Mommsen (1817‑1903) et le médiéviste Fustel de Coulanges (1830‑1889) : le premier considère les Alsaciens comme un peuple germanique qui naturellement doit être lié à l’Allemagne, le second défend une thèse libérale affirmant qu’un peuple peut s’autodéterminer car selon lui, ce ne sont ni la langue, ni la race qui créent une nation, mais bien ses implications dans la vie de la nation française, ceci depuis la Révolution.
La perte de ces provinces, entraina un sentiment d'humiliation et d'injustice manifeste pour la France. La statue de Strasbourg sur la place de la Concorde à Paris fut drapée par un voile noir, symbole du deuil, comme un bandeau violet recouvrit cette région sur la plupart des cartes de France dans les salles de classe des écoles françaises. Cette annexion engendra l'émergence du sentiment de revanche chez de nombreux Français.

L'empire de Guillaume 1er permit aux Alsaciens-Lorrains qui souhaitaient quitter la région annexée de le faire, en "optant" pour la nationalité française. S'ils furent près de 160 000 habitants (500 000 en tout avec les demandes de ceux qui n'habitaient pas/plus dans les provinces annexées) à déposer une demande, seulement 50 000 partiront réellement. Passé le 1er octobre 1872, ceux qui n'étaient pas partis étaient considérés de facto comme Allemands. En contrepartie, le Reichsland véritable terre de colonisation allemande (surtout pour les populations du sud de l'empire), vit un nombre conséquent d'Allemands arriver en Alsace. Plus de 200 000 nouveaux Alsaciens-Lorrains, essentiellement venus d'Allemagne de "l'intérieur", vinrent peupler ce territoire entre 1871 et 1910. En 1910, un habitant d'Alsace-Lorraine sur six était fils d'immigré. Malgré le fait qu’une grande majorité de la population alsacienne parlait toujours son dialecte alémanique et que l’élite était le plus souvent bilingue, la région fut germanisée et l’usage du français et de l’alsacien furent proscrits à l’école. Le Reichsland dépendait directement de l’empereur et était dirigé par un gouverneur, le plus souvent militaire. Il s’agissait d’une administration autoritaire, dans laquelle l’armée impériale et les hauts-fonctionnaires prussiens avaient tous les pouvoirs, jusqu’à la constitution plus libérale adoptée en 1911. On peut ajouter que les empereurs allemands firent de l’Alsace et, surtout, de Strasbourg la vitrine d’un empire allemand dynamique et en pleine expansion économique et scientifique. A titre d’exemple l’Université de Strasbourg fut dotée de moyens considérables, pratiquement à égalité avec celle de Berlin, les infrastructures de communication également. Bien entendu, ces populations bénéficièrent de lois sociales allemandes avantageuses (par rapport à ce qui existait en France à l’époque) votées sous Bismarck. Guillaume II, féru d’une période médiévale fantasmée, fit reconstruire le château du Haut-Koenigsbourg selon ses propres goûts dans le même objectif. Il n’y a pas eu de soulèvements ni de contestations majeures face au pouvoir impérial allemand et si l’incident de Saverne n’eut pas eu lieu en 1913, l’essentiel des observateurs étrangers aurait pu affirmer que ces Alsaciens étaient bien des Allemands. Cet incident mit en lumière tout le mépris que les hauts-fonctionnaires allemands et l’armée (surtout les Prussiens) avaient pour les Alsaciens qu’ils considéraient comme des Allemands imparfaits, de seconde zone. Les populations n’étant pas en reste à l’encontre de ces fonctionnaires rigides, le plus souvent détestés.
Cela explique également pourquoi les autorités impériales, lorsque la Grande guerre éclata, peu certaine du patriotisme de ces Alsaciens les affecta majoritairement sur le théâtre oriental des opérations militaires de ce conflit, afin d’éviter toute éventuelle fraternisation avec les soldats français, qui auraient pu se retrouver en face d’eux. Visiblement la germanisation n’avait pas effacé toute nostalgie de la France. Si 380000 Alsaciens-Lorrains firent leur devoir en 1914, en portant l’uniforme de l’armée impériale allemande, 18 000 désertèrent tout de même pour se battre du côté de la France.

À la suite de la défaite des empires centraux, les « provinces perdues » retournent à la France par le traité de Versailles en 1919. On peut noter ici l’apparition d’une mémoire spécifique de combattants alsaciens (et mosellans) ayant porté l’uniforme impérial allemand sans le souhaiter entre 1914 et 1918 : les premières associations d’anciens combattants, de « malgré-nous » sont constitués dès 1920.
Suite à des incompréhensions réciproques, les vexations réalisées par les autorités françaises victorieuses – bercées par la propagande d’avant-guerre et les images d’Epinal d’Hansi –, qui ne s’attendaient pas à trouver des Alsaciens relativement bien intégrés dans le Reich allemand, vont entrainer un certain nombre d’Alsaciens à regretter ce « retour » à la France. Une politique de « refrancisation » humiliante va être mise en place dans les écoles et les administrations alsaciennes. Les fonctionnaires français, rigides et suffisants succèdent aux Prussiens. Des commissions de triage vont expulser plus de 200 000 personnes d’Alsace-Lorraine (nom qui disparait alors pour être remplacé par Alsace-Moselle) en 1919-1920. La volonté du Cartel des gauches en 1924 de mettre fin au statut concordataire en Alsace(-Moselle) va achever de rendre visible ce « malaise alsacien » et jeter une partie importante de la population en direction de partis autonomistes - dont les idées commençaient déjà à prospérer après l’annexion allemande de 1871 -, réclamant le respect de l’identité alsacienne au sein de la République. La place prise par le Heimatbund à partir de 1926 au sein de la population alsacienne fut importante. Les autorités françaises le combattirent et jugèrent un grand nombre de ses membres lors de procès très suivis et médiatisés. Les années 1930, avec l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne ont mis en lumière des liens parfois obscurs entre ces partis autonomistes alsaciens et les dirigeants allemands, ce qui eut pour conséquence de diviser l’autonomisme alsacien : certains ne refusaient ces alliances de circonstances avec le pouvoir nazi, d’autres si.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’un d’entre eux, Karl Roos, est fusillé par les Français pour espionnage. La grande majorité de la population population alsacienne est à nouveau évacuée, car trop près du théâtre des opérations militaires.

Après les mois dramatiques de mai et juin 1940, lorsque la France est vaincue, les autorités allemandes annexent tout simplement la région et installent le sinistre Gauleiter Wagner pour l’administrer. Il s’agit cette fois non seulement de germaniser ces Alsaciens, mais également de les nazifier. La langue française et l’alsacien sont à nouveau interdits, tous les administrations sont épurées et les fonctionnaires sont remplacés par des nazis. La NSDAP devient le parti unique et la population doit adhérer à toutes ses organisations socio-professionnelles. Toute personne qui est suspectée d’être pro-française est systématiquement expulsée. Ces personnes expulsées (environ 100 000, sans compter celles qui ne souhaitent pas revenir) furent remplacées par des « colons » allemands, chargé d’aryaniser la région (les juifs sont bien entendu expulsés dès juillet 1940). Les lois allemandes sont introduites en Alsace, les récalcitrants éventuels peuvent se retrouver au camp de redressement de Schirmeck ou déportés au camp de concentration du Struthof, voire en Allemagne « de l’intérieur ». Pire, au mépris de la Convention d’armistice de juin 1940 - Vichy ne protesta jamais vraiment sur ces sujets - et du droit de la guerre, les autorités allemandes incorporèrent de force ces populations dans l’armée allemande à partir d’août 1942. Ces soldats - en qui leurs supérieurs n’avaient nulle confiance – furent envoyés majoritairement sur le front russe. 130 000 Alsaciens-Mosellans furent concernés jusqu’en 1945. Comme ailleurs en France, cette population terrorisée par l’ordre nazi attendit sa libération, effective après la prise de la « poche de Colmar » par les alliés en février 1945.
Lors de procès très médiatisés - comme celui de Bordeaux - concernant la compréhension de ce que représentaient l'annexion et l'incorporation de force, l'opinion alsacienne n'a pas eu le sentiment que ce passé tragique fut réellement compris par le reste de la population française, qui n'avait connu "que" l'occupation allemande.

Ce mouvement de balancier permanent entre la France et l’Allemagne au cours de ce siècle de conflits participa à construire une identité propre aux Alsaciens, qui leur faisait défaut jusqu’alors.
Même si les mémoires s’enchevêtrent autour de ces événements tragiques - une majorité de la population alsacienne semble avoir accepté l’annexion de 1871, une même majorité (sans que cela soit forcément les même personnes ou leurs héritiers d'autant plus que les incessants flux migratoires empêchent d'avoir une vision d'ensemble exacte) semble avoir été partiellement déçue du « retour à la France » en 1919, ce qui explique l’émergence politique de l’autonomisme alsacien, l’énorme majorité a rejeté l’annexion nazie de 1940, dont les conséquences l’ont fortement traumatisée – et qu’il est notable qu’une identité singulière se soit construite loin de la propagande cocardière ou impériale (on ne parle même pas de la nazie), ces populations ont surtout exprimé le fait qu’elles n’avaient rien demandé, à personne, et que finalement elles se sentent de culture germanique, certes, mais finalement françaises. Les conséquences de l’annexion de 1940 ne sont pas étrangères à cet état d’esprit particulier.
Conservant finalement un mauvais souvenir de ceux, Allemands comme Français, qui pensaient sans doute trop à leur place, qui les ont germanisées et francisées contre leur gré, ces populations ont donc développé une identité particulière, spécifique, pratiquement inclassable, du moins en dehors des idéologies nationalistes voisines alors connues.

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Alphonse de Lamartine


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Message Publié : 19 Jan 2024 13:49 
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Superbe travail, Duc de Raguse ! Très complet et très détaillé.

J'y ajouterais, parce que j'ai un exemple dans ma famille, que l'annexion de 1871 ne concerna pas que des régions germanophones, parce que les militaires allemands voulaient absolument la place-forte de Metz.
C'est ainsi que ma grand-mère, francophone du côté de Château-Salins, est née allemande en 1902. Pas de doute sur la préférence de ces francophones : à Guermange - rebaptisé Guermingen - un village sur l'étang de Lindre - l'instituteur était prussien, et punissait quand on parlait français en classe. De retour à la maison, c'était une claque si elle sortait un mot d'allemand. lol

On avait donc là une minorité en tous points semblables à l'image donnée des Alsaciens par les "nostalgiques des provinces perdues" qui peuplaient les rédactions parisiennes, entre autres.

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Message Publié : 19 Jan 2024 14:33 
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Il est curieux de constater qu'après l'annexion par Louis XIV, il semble que l'édit de Villers Cotterêts ne s'est pas appliqué en Alsace, en faisant des recherches généalogiques, j'ai contaté que les actes BMS des paroisses étaient toujours en latin jusqu'à la Révolution, il y a une brève période ensuite où ils sont en allemand, puis passent au français jusqu'en 1872 où ils passent en allemand.

Les frontières n'existaient guère dans cette région avant 1918, certains de mes ancêtres habitaient du côté français sur les bords du Rhin et se mariaent de l'autre côté, dans le Grand-Duché de Bade. Je suppose qu'ils parlaient la même langue et que les fréquentations étaient habituelles. C'est ainsi qu'une ancêtre est née au Pays de Bade, est devenue française par mariage en 1865, allemande en 1871 pour redevenir française en 1918 pour mourir en 1922.

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Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer (Guillaume le Taciturne)


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Message Publié : 19 Jan 2024 15:50 
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Merci, tout d'abord, d'avoir ouvert cet espace spécifique.

Et pas simple d'entrer dans la discussion sans disposer d'un temps dédié conséquent, si l'on souhaite aborder l'ensemble des thématiques lancées par Raguse. Je vas donc piocher un peu au hasard pour commencer. PGM et SGM suivront plus tard.

Duc de Raguse a écrit :
le questionnement sur l'essence même d'une identité alsacienne apparait véritablement suite à la guerre franco-prussienne de 1870.

Certainement. Mais la notion d'identité régionale telle que nous l'entendons n'est-elle pas liée étroitement à l'appropriation de valeurs, disons, nationalistes ? Jusqu'au XIXe les populations n'avaient pas forcément l'idée de développer des sentiments relevant d'une classe dirigeante dont elles avaient conscience de ne pas faire vraiment partie ? Le peuple suivait, avec peut-être une moindre malléabilité autour de la religion. Cujus regio n'est pas toujours simple à imposer. On en reparlera pour 1924.

Plus tôt, j'ai toujours été frappé par la quasi-absence de frontières intérieures entre les états du Saint-Empire, du moins dans ses marges occidentales. Ainsi le hasard des successions, des acquisitions ou des malheurs pouvait progressivement générer de véritables puzzles qui nous semblent ingérables. Ex des deux branches de la famille de Salm qui exerçaient des tutelles différentes dans les mêmes villages. Cela devient plus acceptable si on envisage ces découpages avant tout comme des zones ... de perception fiscale. Les éventuels différents entre décideurs n'avaient rien des conflits "nationaux" qui semblent un héritage du centralisme et d'une certaine modernité.

Duc de Raguse a écrit :
Le traité de Francfort du 10 mai 1871, ratifié de manière forcée par le gouvernement français,
Effectivement, les cessions de territoires sont (parlons au présent) rarement effectuées à la suite d'un référendum. Même manière forcée après 1918, 1940 ou 1945. On peut se poser la question de l'orientation d'une majorité locale (ou plus exactement du rapport de force) à la suite du Traité de Versaille + option de la suppression du Concordat, surtout en intégrant dans le corps électoral les habitants du cru sans épuration préalable. Risque écarté par la IIIe République !

Concernant l'Alsace "Terre d'Empire", j'ai toujours pensé, très négativement, à l'aspect impérialiste-colonial de ce statut, si je puis dire. Mais quelles étaient les autres solutions ? Pas de famille noble locale potentiellement régnante. Jalousie de châteaux si la belle Alsace était intégrée aux possessions prussiennes ou badoises ou même intronisée comme nouvelle entité indépendante ? Impossibilité d'imaginer une mini-république, trop dangereusement autonome ? L'idée du glacis face à la France n'était pas si mauvaise, à la condition de nommer des gouverneurs habiles.

Vu les nombreuses saillies très hexagonales de Raguse dans son texte, je ne voudrais pas que mes interrogations passent pour des éléments de propagande suggérés par l'ennemi. :mrgreen: J'ai assez de raisons personnelles pour que ce ne soit pas le cas, mais il me semble utile, en 2024, de dépasser les arguments simplistes de Hansi et de prendre du recul, du moins d'en débattre.

A suivre.
JD


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Message Publié : 19 Jan 2024 16:26 
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Localisation : Région Parisienne
Il serait intéressant de voir combien d'Alsaciens ont opté pour la France et combien de Lorrains. La population de Metz n'est pas celle de Strasbourg.

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Message Publié : 19 Jan 2024 16:48 
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JARDIN DAVID a écrit :
Duc de Raguse a écrit :
le questionnement sur l'essence même d'une identité alsacienne apparait véritablement suite à la guerre franco-prussienne de 1870.

Certainement. Mais la notion d'identité régionale telle que nous l'entendons n'est-elle pas liée étroitement à l'appropriation de valeurs, disons, nationalistes ? Jusqu'au XIXe les populations n'avaient pas forcément l'idée de développer des sentiments relevant d'une classe dirigeante dont elles avaient conscience de ne pas faire vraiment partie ? Le peuple suivait, avec peut-être une moindre malléabilité autour de la religion. Cujus regio n'est pas toujours simple à imposer.


Je vous conseille, si vous arriver à le trouver, l'excellent documentaire "L'invention de l'Alsace" : https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/info/l-invention-de-l-alsace-145872.html

En fait, c'est à cette période que va se mettre en place tout l'imaginaire folklorique lié à l'identité alsacienne. Vous savez, la coiffe avec le nœud alsacien, le gilet rouge et le chapeau rond pour les hommes…
Avant, il n'y avait pas de costume folklorique unique clairement identifiable.

Citer :
Et si l’Alsace était née au pied du Mont Sainte Odile en 1893 ? C’est en effet au tournant des 19ème et 20ème siècles, autour d’un petit groupe d’artistes, qu’est née la conscience d’une identité alsacienne originale.

Entre fiction et documentaire, l’Invention de l’Alsace raconte la vie de trois hommes dont les destins croisés illustrent chacun une facette différente de cette Alsace en train de naître.

- Charles Spindler (1865-1938), peintre et créateur de meubles, dont les tableaux de marqueteries sont connus dans le monde entier
- Léo Schnug (1878-1932), décorateur du château du Haut-Koenigsbourg et de la Maison Kammerzell
- Pierre Bucher (1865-1918), fondateur du Musée Alsacien, infatigable animateur culturel dévoué à la cause française.
En trois épisodes de 26 minutes, à travers l’évocation de ces trois vies, c’est une période méconnue mais passionnante qui reprend vie, celle de la première période allemande de l’Alsace (1871-1918).


Et, la naissance de cette identité clairement identifiée "alsacienne" se fait en réaction aux tentatives de germanisation de la part des allemands. C'est à cette époque que les alsaciens mettent en avant leurs spécificités, ils sont alsaciens et ils désirent que les occupants ne tentent pas de les "germaniser" à outrance. Il y a aussi une résistance, plus forte que dans d'autres territoires germaniques, face à ce qu'on pourrait nommer une prussification de l'identité germanique. Dans les régions allemandes autres que la Prusse, on s'appuyait sur la notion d'ancestralité. Les alsaciens ont érigé leur identité alsacienne pour lutter contre ceux qui prétendaient que leurs différences par rapport à leur vision de la germanité était une influence française.

JARDIN DAVID a écrit :
Plus tôt, j'ai toujours été frappé par la quasi-absence de frontières intérieures entre les états du Saint-Empire, du moins dans ses marges occidentales.


Si vous visitez les centre-villes historiques des villes alsaciennes (mais, ce doit être identique de l'autre côté du Rhin), vous visiterez sûrement des bâtiments nommés "koïfuss". Savez-vous de quoi il s'agit ? Des lieux où on payait les taxes douanières liées aux frontières intérieures que vous pensez absentes…
Colmar : Koïfhus ou l'ancienne douane.
Citer :
Le Koïfhus ou Ancienne Douane occupait une place stratégique au confluent de la Grand’rue et de la rue des Marchands, deux des principaux axes de circulation à l’intérieur de la ville médiévale.

Envisagée dès 1433, la construction de l’actuel édifice fut achevée en 1480. Deux bâtiments contigus furent ajoutés au cours du XVIe siècle.


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Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
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Message Publié : 19 Jan 2024 16:54 
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Localisation : Provinces illyriennes
Pierma a écrit :
J'y ajouterais, parce que j'ai un exemple dans ma famille, que l'annexion de 1871 ne concerna pas que des régions germanophones, parce que les militaires allemands voulaient absolument la place-forte de Metz.
C'est ainsi que ma grand-mère, francophone du côté de Château-Salins, est née allemande en 1902. Pas de doute sur la préférence de ces francophones : à Guermange - rebaptisé Guermingen - un village sur l'étang de Lindre - l'instituteur était prussien, et punissait quand on parlait français en classe. De retour à la maison, c'était une claque si elle sortait un mot d'allemand.

Effectivement, il n'était pas seulement question d'une annexion de terres "germaniques" à ce moment et l'EM allemand voulait Metz et sa région pour des raisons strictement militaires.
Nous avions déjà évoqué ce point ici :
https://www.passion-histoire.net/viewtopic.php?f=45&t=5170

JARDIN DAVID a écrit :
Mais la notion d'identité régionale telle que nous l'entendons n'est-elle pas liée étroitement à l'appropriation de valeurs, disons, nationalistes ? Jusqu'au XIXe les populations n'avaient pas forcément l'idée de développer des sentiments relevant d'une classe dirigeante dont elles avaient conscience de ne pas faire vraiment partie ? Le peuple suivait, avec peut-être une moindre malléabilité autour de la religion.

C'est vrai, le cas alsacien n'est pas isolé, surtout si vous vous situez géographiquement dans une région où les mouvements de population sont possibles. Dans d'autres régions de France et d'Europe cette époque a rimé avec la constitution d'un récit "régional", avec une volonté de dégager les principales coutumes de la région et de les graver dans le marbre - au risque d'oublier celles qui n'ont pas été retenues (cela s'observe par exemple pour les coiffes et habits traditionnels).

JARDIN DAVID a écrit :
Même manière forcée après 1918, 1940 ou 1945. On peut se poser la question de l'orientation d'une majorité locale (ou plus exactement du rapport de force) à la suite du Traité de Versaille + option de la suppression du Concordat, surtout en intégrant dans le corps électoral les habitants du cru sans épuration préalable. Risque écarté par la IIIe République !

Effectivement, il n'y a jamais eu d'élections organisées pour confirmer cela, au mieux des traités de paix (Francfort en 1871 et Versailles en 1919), mais l'annexion de 1940 est un état de fait, au mépris de ce que les Etats européens faisaient traditionnellement depuis plusieurs siècles en cas de rectifications frontalières. La vitesse à laquelle la nazification s'est opérée est incroyable.
Malgré certaines erreurs commises par les Français en 1919, ils ont tout de même eu la bonne idée de ne pas supprimer le Concordat. Le gouvernement de 1924 sera moins inspiré... Par contre, le "triage" réalisé dès 1919 me semble correspondre à une forme d'épuration, même légère (si on la compare à celle de Wagner).
Quant au rapport des forces régnant au sein de la population à cette époque, il n'est pas facile à saisir : une minorité importante et remuante souhaite bien le rattachement à la France, les premiers autonomistes sont déjà bien présents (suite aux victoires de 1911) et ne sont pas forcément de cet avis, il me semble que très peu désirent demeurer dans un Reich vaincu, qui s'écroule. Sans aucun doute qu'une bonne partie de la population est attentiste, comme très souvent et suit encore ses élites.

JARDIN DAVID a écrit :
Concernant l'Alsace "Terre d'Empire", j'ai toujours pensé, très négativement, à l'aspect impérialiste-colonial de ce statut, si je puis dire.

C'est un peu cela et d'une certaine façon peut-être une temporalité correspondant à la "digestion" par l'empire de ces nouvelles populations. La germanisation s'étant déroulée sans trop de problèmes majeurs (les racines étaient là), une fois celle-ci achevée on pouvait penser que le statut du Reichsland évoluerait vers plus d'autonomie et moins d'arrogance du côté des administrateurs prussiens. Qui sait ?

JARDIN DAVID a écrit :
Vu les nombreuses saillies très hexagonales de Raguse dans son texte

J'ai tenté de dégager rapidement les points de vue "alsaciens", dans une vision que cette province était bien française depuis Louis XIV et que les avancées démocratiques de la Révolution lui avait permis de le confirmer. Cela non pas seulement pour complaire à Fustel, mais pour essayer de ne pas tomber dans le point de vue strictement autonomiste alsacien.

JARDIN DAVID a écrit :
mais il me semble utile, en 2024, de dépasser les arguments simplistes de Hansi et de prendre du recul, du moins d'en débattre.

Nous sommes d'accord. D'ailleurs cette représentation de l'Alsace donnée aux Français par Hansi avait faussé leur jugement et ils ont été surpris en 1918-1919 lorsqu'ils sont entrés dans cette région de ne pas être accueillis davantage en "libérateurs" (chose qui sera faite en 1945) et de voir l'usage du français très peu répandu comme ils auraient pu le penser.

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Message Publié : 19 Jan 2024 16:56 
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Jean-Marc Labat a écrit :
Il serait intéressant de voir combien d'Alsaciens ont opté pour la France et combien de Lorrains. La population de Metz n'est pas celle de Strasbourg.


Pour l'Alsace, la réponse se trouve là : https://www.passion-histoire.net/viewtopic.php?p=556056#p556056

Léonard59 a écrit :
Alain 57 a écrit :
Bonjour à toutes et à tous,

L’homme en question a opté une première fois le 22 avril 1872 à Belfort, puis une seconde fois le 7 août suivant à Besançon. Il était célibataire à l’époque et travaillait aux chemins de fer.
Il semblerait qu’il résidait en France (sans plus de précisions) depuis le mois d’avril 1871 selon le recensement militaire de Strasbourg où il est né.

Cordialement


Il y a en effet un problème de comptage avec les optants selon qu'on tient compte ou pas des doublons, voire des triplons... Il y a tout un chapitre du livre d'Alfred Wahl "Une nouvelle histoire de l'Alsace contemporaine" qui explicite cela :

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Une nouvelle histoire de l'Alsace contemporaine
Citer :
Ce petit livre propose une réécriture de quatre questions quasi emblématiques de l’histoire de l’Alsace contemporaine qui méritent un examen critique : la question de la « Protestation » entre 1871 et 1874, celle de l’option et de l’émigration des Alsaciens-Lorrains de 1871-1872, celle encore de l’orientation politique des électeurs tout au long du XIXe siècle (de 1789 à 1912) et celle, enfin, du conflit autour de l’école interconfessionnelle entre 1871 et 1936.Même sI aujourd’hui la recherche et les publications sur l’histoire de l’Alsace sont en passe d’évoluer dans le bon sens avec l’affirmation dans ce secteur d’historiens mieux formés aux dépens des chroniqueurs, il reste cependant bien des chantiers à revisiter.
Une nouvelle histoire de l’Alsace contemporaine

Le traitement de ces questions, essentiellement par des chroniqueurs locaux, révèle des ignorances étonnantes, une absence évidente de la consultation de documents d’archives, il est vrai parfois pas encore accessibles, et surtout des interprétations tendancieuses et quasi partisanes, sans compter les omissions et autres falsifications délibérées.

ALFRED WAHL est agrégé d’histoire et professeur émérite des universités.
Contact > freddywahl@aol.com9


En fait, il y a eu une propagande de la part d'une association haut-rhinoise qui a incité les gens à aller se signaler comme optants en France. Ils pensaient que s'il y avait un grand nombre d'optants, on annulerait ou on aménagerait l'annexion. Or, très vite, les allemands ont fait savoir qu'ils respecteraient à la lettre le traité de Francfort... Quant aux français… Ils préféraient que les alsaciens restent en Alsace puisqu'ils avaient peur que les alsaciens qui quitteraient l'Alsace soient remplacés par une émigration massive venant d'autres régions d'Allemagne.

Dans ce livre, on donne divers chiffres d'optants et on explique les différences. Les allemands ont recensé 139 731 personnes qui s'étaient déclarées "optants" avant la date limite du 30 septembre 1872, mais seulement 50 008 habitants d'Alsace-Moselle qui ont effectivement émigré par la suite. Pour les autorités françaises, les optants sont 388 150 ... Parmi eux, il y a des alsaciens mosellans qui pour diverses raisons se trouvaient sur divers territoires de l'empire, dont la métropole, et qui ont décidé d'y rester. Il y a aussi des alsaciens mosellans qui se trouvaient à l'étranger et qui ont donc opté pour rester français auprès des ambassades françaises. Mais, il faut aussi compter environ 15 000 "français de l'intérieur" qui se trouvaient pour diverses raisons en Alsace-Moselle en 1871 et qui sont retournées en France pour garder leur nationalité, et un certain nombre d'alsaciens mosellans des classes 1851 à 1854 qui quittèrent seuls l'Alsace-Moselle pour ne pas faire leur service militaire dans l'armée prussienne...

Quand on croise toutes les données des diverses administrations, (françaises et allemandes), on trouve un chiffre d'approximativement 130 000 alsaciens-mosellans qui ont effectivement quitté le territoire du Reichsland en optant pour la nationalité française. Les 250 000 autres optants étant donc des alsaciens mosellans vivant en dehors du territoire du Reichsland (France, colonies ou étranger) et qui ont donc opté pour la nationalité française. Quant aux chroniqueurs… selon qu'ils se basent sur les déclarations d'intentions, sur des sondages, ou sur un petit doigt mouillé, les chiffres oscillent entre plus de 300 000 à 1,1 million d'alsaciens mosellans qui auraient effectivement opté pour quitter le Reichsland.

Alfred Wahl insiste pour qu'on sépare bien les optants des émigrants. Il explique pourquoi les 2 chiffres ne veulent pas dire la même chose. Un certain nombre de personnes qui se sont déclarés optants devant l'administration française sont restés sur le territoire de l'Alsace-Moselle après la date du 30 septembre 1872, et ils ont acquis la nationalité allemande de fait. Pour ceux qui résidaient hors du territoire du Reichsland, la date butée était le 30 septembre 1873, Alfred Wahl ne signale pas si certains de ces optants seraient retournés en Alsace-Moselle avant la date du 30/09/1873. Cela doit donc être assez marginal.

En fait, une partie de ces doublons vient du fait que diverses administrations ont lancé des appels à plusieurs reprises pour que les optants s'inscrivent sur les listes, soit auprès de l'administration allemande, soit de l'administration française. Ceux qui ne le faisaient pas étaient susceptibles de devenir allemands après le 30 septembre 1872 ou 1873 (selon les cas), et donc pour ceux qui résidaient en France, de se voir sommés de quitter le territoire national. Ce qui pourrait expliquer que certains préférèrent opter plutôt deux fois qu'une…

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Message Publié : 19 Jan 2024 17:05 
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Jean-Marc Labat a écrit :
Il serait intéressant de voir combien d'Alsaciens ont opté pour la France et combien de Lorrains. La population de Metz n'est pas celle de Strasbourg.

Je suis tombé sur ce très bon article d'Alfred Wahl sur la question, mais il ne semble pas faire de distinction et fait état de données incomplètes : https://www.persee.fr/doc/adh_0066-2062_1972_num_1971_1_2071
Mais visiblement les Alsaciens ont opté davantage que les Lorrains.
Ce blog de passionnés semble le confirmer : http://www.optants.fr/OPT.htm
Je me suis appuyé sur ces derniers (et des ouvrages que je possède) pour avancer le chiffre global d'environ 50 000 optants réellement partis du territoire d'Alsace-Lorraine.

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Message Publié : 19 Jan 2024 17:23 
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De diverses lectures, j'ai retenu que si "on" avait demandé aux alsaciens en 1871 s'ils désiraient rester français, il y aurait eu une majorité écrasante de "oui". Ensuite, l'opinion évolue petit à petit. En 1912, une grande partie des alsaciens a pris l'habitude du Reichlands, mais surtout, on parle d'autonomie, et donc de la possibilité que l'Alsace devienne un État allemand comme les autres dans la fédération qu'est en fait le second Reich. À ce moment-là, une majorité d'alsaciens est pour le statu quo, donc pour rester allemands. Puis, il y a le rejet de cette solution, suivi de l'incident de Saverne : https://www.passion-histoire.net/viewtopic.php?p=566468#p566468. Les alsaciens se rendent compte qu'ils ne sont pas des Allemands comme les autres, et que pour les militaires allemands, ils vont rester des citoyens de seconde zone.

Puis, il y a la guerre, et l'Alsace bascule sous gouvernement militaire allemand. À ma connaissance, c'est le seul territoire du Reich à être dans ce cas. Et, le gouverneur militaire saura se rendre hautement impopulaire par les mesures coercitives prises. De plus, il y a des déclarations de divers généraux français, dans les villes et villages alsaciens libérés dès 1914, qui laissent entendre que dès la libération, les alsaciens deviendraient des français de plein droit. Et cela se sait assez vite dans toute l'Alsace.

Puis arrive novembre 1918, Les troupes françaises sont accueillies avec enthousiasme, mais en même temps, c'est la fin très attendue de la guerre. Mais, la fin de la guerre voit d'abord une occupation militaire française, puis l'arrivée de fonctionnaires civils, qui ne sont pas tellement mieux. Les alsaciens doivent faire des demandes de ré-intégration dans la nationalité française. Et il faut constituer un dossier. De nombreuses demandes sont refusées et il y a des expulsions. Surtout, tout cela se fait lentement. Sauf erreur de ma part, fin 1921, il n'y a qu'un tiers des alsaciens qui ont une carte de nationalité française... Si en novembre 1918, la majorité des alsaciens étaient contents du retour des français, l'opinion publique s'est très vite retournée. Et on voit un vote contestataire et autonomiste. Finalement, c'est Raymond Poincaré qui clôt la question de la nationalité, mais aussi celle du droit local. Enfin, pour le droit local, alors qu'on va fêter son centenaire, il y a eu le dépôt d'une proposition de loi pour qu'il soit abrogé : https://www.dna.fr/politique/2023/12/24/propositions-de-loi-lfi-sur-le-droit-local-le-rejet-ferme-de-franck-leroy. Même si les députés LFI qui ont déposé le texte prétendent qu'en fait, ils veulent "seulement" la fin du Concordat, il semble que juridiquement, il soit compliqué de maintenir le droit local si on commence à le détricoter morceau par morceau.

Donc, début des années 1920, ce n'est pas le grand amour entre les alsaciens et la France. Mais, petit à petit, la confiance revient. 1939, il n'y a pas de problèmes lors de la mobilisation, et de nombreux conscrits alsaciens sont fiers de poser avec le drapeau bleu-blanc-rouge. En juillet 1940, certains alsaciens découvrent qu'ils ne sont pas les bienvenus dans l'Alsace pas encore annexée, mais déjà nazie. On les renvoie en "vieille France" sans aucune autre forme de procès. D'autres préfèrent ne pas revenir, il y a, par exemple, une université de Strasbourg qui continuera de fonctionner à Clermont-Ferrand jusqu'à ce que les allemands la ferment.

En 1945, les français sont heureux de voir les nazis, et les allemands détaler. Il faudra quelques décennies pour que certains acceptent de passer le Rhin, ne serait-ce que pour un week-end... Depuis, la situation semble s'être normalisée.

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Message Publié : 19 Jan 2024 17:24 
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Duc de Raguse a écrit :
Jean-Marc Labat a écrit :
Il serait intéressant de voir combien d'Alsaciens ont opté pour la France et combien de Lorrains. La population de Metz n'est pas celle de Strasbourg.

Je suis tombé sur ce très bon article d'Alfred Wahl sur la question, mais il ne semble pas faire de distinction et fait état de données incomplètes : https://www.persee.fr/doc/adh_0066-2062_1972_num_1971_1_2071
Mais visiblement les Alsaciens ont opté davantage que les Lorrains.
Ce blog de passionnés semble le confirmer : http://www.optants.fr/OPT.htm
Je me suis appuyé sur ces derniers (et des ouvrages que je possède) pour avancer le chiffre global d'environ 50 000 optants réellement partis du territoire d'Alsace-Lorraine.


Les chiffres de Wahl évoquent plutôt 130 000 départs effectifs.

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Message Publié : 19 Jan 2024 17:55 
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Narduccio a écrit :
Les chiffres de Wahl évoquent plutôt 130 000 départs effectifs

Effectivement et ils ne sont pas très précis pour le total (ce qui est étrange). On dirait qu'il n'a pas vraiment cherché à savoir s'ils étaient partis ou nom, il ne semble recenser que les demandes (pas toujours suivis d'effet).
Je l'ai simplement cité pour la différence entre les Lorrains et les Alsaciens.
Les 50 000 vraiment partis sont cités par les archives du Bas-Rhin https://archives.bas-rhin.fr/rechercher/aide-a-recherche/une-personne-/un-optant-en-1871/, qui se fondent (incroyable pour des archives...) sur le blog cité plus haut.
A vérifier donc, car ce serait passer du simple au double et ces deux chiffres "tournent" sur la plupart de sites officieux.

Narduccio a écrit :
j'ai retenu que si "on" avait demandé aux alsaciens en 1871 s'ils désiraient rester français, il y aurait eu une majorité écrasante de "oui".

C'est exact et même si la majorité baragouinait un dialecte germanique, elle souhaitait demeurer française. Le nombre d'optants déclarés - même s'ils ne sont pas tous partis (il faut en avoir les moyens...) - illustre pour la plupart des auteurs une volonté de demeurer français et s'apparente à une forme de plébiscite. Les députés alsaciens envoyés tout d'abord à la Chambre des députés de Bordeaux en 1871, puis au Reichstag à partir de 1874, furent "protestataires" jusqu'en 1911.

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Message Publié : 19 Jan 2024 18:12 
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J'ai cherché la frontière linguistique en 1871 et je suis tombé sur ce site qui me semble intéressant. J'ai préjugé que ceux qui parlaient une langue romane avait plus opté que ceux qui parlaient une langue germanique, et je dois avoir la totalité de la population dans le livre de Roth sur la guerre de 1870, car je ne peux pas utiliser le dénombrement du département de la Moselle impériale, celle-ci ayant été tronçonnée.

https://journals.openedition.org/mappemonde/6440

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Message Publié : 19 Jan 2024 19:50 
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Jean-Marc Labat a écrit :
J'ai préjugé que ceux qui parlaient une langue romane avait plus opté que ceux qui parlaient une langue germanique

A en croire Wahl les données concernant les "optants" de Lorraine (ou Moselle en 1919) ont été perdues en 1944.
Si on reprend les chiffres des "optants" de Saverne (de langue germanique) qu'il avance on peut observer que les 2/3 de la population de cette commune s'est déclarée "optante", ce qui semble considérable. Bischwiller n'a environ qu'1/3 de sa population à demander à être "optante".

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Message Publié : 19 Jan 2024 20:46 
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Jean-Marc Labat a écrit :
J'ai cherché la frontière linguistique en 1871 et je suis tombé sur ce site qui me semble intéressant. J'ai préjugé que ceux qui parlaient une langue romane avait plus opté que ceux qui parlaient une langue germanique, et je dois avoir la totalité de la population dans le livre de Roth sur la guerre de 1870, car je ne peux pas utiliser le dénombrement du département de la Moselle impériale, celle-ci ayant été tronçonnée.

https://journals.openedition.org/mappemonde/6440


En fait, il y a plus d'optants chez les bourgeois. Or, si on prend le cas des habitants des vallées vosgiennes en Alsace qui parlaient en parler romand, c'étaient surtout des paysans et des forestiers, il y a donc de fortes chances qu'ils furent nombreux à rester en Alsace.

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