La question :
La colonisation est-elle un crime ? est mal posée. Posée en d'autres termes, par exemple :
Les entreprises de colonisation étaient-elles condamnables ? elle mérite réflexion.
Il y a des épisodes historiques que l'on peut expliquer et relativiser compte tenu du contexte de l'époque mais que néanmoins on ne peut honnêtement que condamner. Il en est ainsi, entre autres, de la traite négrière et de la persécution des Huguenots. Ces pratiques semblaient justifiées à la majorité des contemporains mais ne faisaient cependant pas l'unanimité. Qu'on lise par exemple l'indignation de Saint-Simon qui allait jusqu'à qualifier de criminelle la politique de Louis XIV. Ces réprobations de contemporains étaient minoritaires mais elles n'en ont pas moins du poids.
Les entreprises coloniales de la fin du dix-neuvième siècle se sont heurtées à peu d'opposition. Il y en a eu cependant, la plus connue étant celle de Georges Clemenceau réfutant les arguments de Jules Ferry. Il est de bon ton aujourd'hui de dénoncer les préjugés racistes de Ferry et de célébrer la respectueuse sagesse de Clemenceau. L'histoire lui aurait-elle définitivement donné raison contre Ferry comme elle a définitivement donné raison à Saint-Simon contre Louis XIV ? Je n'en suis pas sûr. Remplaçons les termes de « civiliser » et « races inférieures » par « aider au développement » et « nations moins développées », le discours de Jules Ferry devient recevable. Ses arguments sont très proches de ceux qui, aujourd'hui, défendent un devoir d'ingérence et le débat, pour ou contre l'ingérence au nom de principes supérieurs qui font l'unanimité, n'est jamais clos. En fait, le droit, ou le devoir, d'ingérence est reconnu en droit international. Il est seulement très encadré et placé sous le contrôle du Conseil de Sécurité de l'ONU qui n'est autre qu'une sorte de directoire des grandes puissances.
Soyons honnêtes, « races inférieures », cela reste tout de même péjoratif et ne peut plus passer. J'ai lu dans un livre de géographie du début du dernier siècle qu'il y avait quatre races et que la race blanche était la plus intelligence. Je suis persuadé que ce genre de préjugé a plus marqué les esprits que les crimes qui ont pu être commis dans le cadre de la colonisation.
Quel aurait été le sort de l'Afrique si les puissances européennes ne l'avaient pas colonisée ? Soit ce que les Etats se seraient abstenus de faire aurait été accompli par des personnes privées, soit les Etats européens auraient interdit les contacts afin de préserver les populations africaines. Dans la première hypothèse, l'entreprise coloniale aurait été laissée à des initiatives privées conduites sur le modèle de la colonisation du Congo par Léopold II de Belgique, c'est à dire le pire. Dans la seconde, très illusoire, l'Afrique aurait été érigée en sanctuaire naturel. Dans cette hypothèse on aurait, il est vrai, prévenu toutes sortes d'exactions et préservé des cultures au lieu de bourrer la tête des petits Africains avec
nos ancêtres les Gaulois. Mais aussi on aurait interdit aux Africains l'ampoule électrique et la pénicilline et l'on aurait empêcher Léopold Senghor de passer une agrégation de grammaire. De quel droit ? Créer des réserves naturelles et y enfermer des êtres humains ? On ne peut protéger des peuples et leurs cultures comme on protège la faune. Peut-être aurait-on dû procéder autrement envers les Africains qu'en les colonisant, mais il ne faut pas se leurrer, le contact était inéluctable et inéluctablement brutal.
Considérons la Chine. La Chine a dû accepter l'importation de l'opium, divers traités commerciaux léonins et s'est un peu fait grignoter à ses marges (Hong Kong, Macao, quelques concessions internationales) mais il n'a jamais été tenté de la coloniser. Le vrai choc subi par le peuple chinois n'a pas été une invasion par des occidentaux mais la révolution de 1911 et l'occidentalisation volontaire qui s'en est suivie. L'objectif était : Chasser les étrangers, restaurer la Chine, fonder une république et redistribuer équitablement les terres. Ce programme ne pouvait être atteint sans une modernisation du pays et la modernisation n'était pas concevable sans adoption des modèles occidentaux. C'est, en tous cas, ce que considéraient les révolutionnaires de l'époque et je pense qu'il serait présomptueux de leur jeter l'opprobre. Makno dans une précédente intervention a mentionné deux aspects négatifs des colonisations : la négation des cultures endogènes et la négation de la personnalité (par exemple les crèmes blanchissantes). La négation de cultures endogènes est un fait certainement regrettable, mais il faut aussi constater l'aspiration des populations indigènes, tout au moins leurs élites dans un premier temps, à acquérir les cultures occidentales. Ce n'est pas un gouvernement occidental qui a forcé les Chinois à détrôner Confucius pour le remplacer par John Locke, c'est Sun Yat Tsen. Un jour, une Antillaise m'a raconté avoir appris à l'école :
Nos ancêtres les Gaulois. Curieusement, elle ne trouvait pas cela absurde. Peut-être était-ce une façon de me dire qu'elle était aussi française que moi ce qui, après tout, était parfaitement légitime de la part d'une Antillaise. Peut-être faut-il déplorer l'usage de crèmes blanchissantes, c'est certainement nocif pour la peau, mais le colonisateur blanc en est-il responsable cinquante ans après la fin de la colonisation ? Ce que je sais est que, pour les Philippins
fair skin signifie
teint clair et c'est le premier critère de beauté. Une femme belle, malgré son teint mat n'est qu'une
black beauty. La faute aux Espagnols et aux Américains ? Certaines Japonaises se font modifier les paupières pour ne plus avoir les yeux bridés. La faute à qui ? Les Français se sont mis au hamburger et au ketchup. Est-ce un crime qu'il faut imputer aux Américains ?
A première vue, Georges Clemenceau avait raison contre Jules Ferry. Mais Georges Clemenceau s'était-il interrogé sur un avenir de l'Afrique sans la colonisation ? Je ne crois pas. Il avait le regard fixé sur la ligne bleue des Vosges. La question se posait pourtant et il n'en a pas eu conscience.
Faut-il se garder de l'eurocentrisme, autre reproche adressé aux Européens ? Oui, certainement. Mais il ne faut pas ignorer que l'eurocentrisme est loin d'être le fait des seuls Européens. Je viens de faire un test. J'ai demandé à une Philippine si Magellan était considéré aux Philippines comme un héros national. Réponse : «
Yes, he is the one who discovered the Philippines. » Et moi qui le prenait pour un Espagnol venu se manifester aux Philippins ! Lapu-Lapu, le chef local qui s'est victorieusement opposé à Magellan dans un combat où se dernier a trouvé la mort est lui aussi un héros national, une sorte de Vercingétorix local. Ils sont célébrés par deux monuments érigés à peu de distance l'un de l'autre sur l'île de Mactan. Legazpi, qui a fondé la colonie espagnole des Philippines, est lui aussi un héros national et il y a autant d'avenues Legazpi aux Philippines que d'avenues Georges Clemenceau en France. Sont encore héros national Jose Rizal et Emilio Aguinaldo qui se sont battus contre l'Espagne pour l'indépendance. Ce n'est pas simple. Il faut faire la synthèse.
Dans les anciennes colonies françaises d'Afrique, comment sont perçus les Français ?
Lisons
Jeune Afrique : la responsabilité de l'ancien colonisateur dans tous les malheurs de l'Afrique est écrasante. Soyons honnête : la revue est de qualité et il y a beaucoup de vrai dans ce qu'on y lit. Mais quelques intellectuels qui écrivent dans un hebdomadaire gauchisant, ce n'est pas toute l'Afrique. Certaines expériences sont tout à fait déroutantes. Rendons-nous dans les années 1980 à la gare de Djibouti d'où part une ligne qui conduit jusqu'à Addis-Abeba et ensuite à l'aéroport. On peut y prendre des billets de 1ere, de 2e ou de 3e classe alors que les voitures ne comportent que des places de 1e ou de 2e. Les gens du crû font la queue dans un alignement impeccable sous la surveillance d'un garde armé d'un bâton et prompt à s'en servir au moindre désordre. Ceux qui prennent un billet de 3e montent en 2e et ceux qui prennent un billet de 2e montent en 1e. Les Français qui veulent prendre le train ne font pas la queue sous la menace du bâton. Ils attendent un peu l'écart. Ils ne sont d'ailleurs pas obligés d'attendre. Ils peuvent aller derrière le guichet où l'employé leur délivre tout de suite un billet de 1e. A l'aéroport, on pouvait prendre un avion pour Sanaa. Comme dans tous les aéroports du monde, il y a un contrôle du titre de transport et du passeport avant l'embarquement. Les gens du peuple sont traités sans ménagement. Les non-européens qui appartiennent à l'élite sont contrôlés poliment. Quant au français qui sort son passeport pour le présenter au policier :
Non, pas vous !Pour finir, une courte vidéo datant de 2002 prise au Gabon :
https://archive.org/details/MasqueJacquesChiracAuGabonY est filmée une danse rituelle. L'un des participants porte un masque de Jacques Chirac alors président de la république. Cette scène a fait l'objet d'une émission sur France-Culture en 2010. Il n'est malheureusement plus possible de l'écouter. Il y était expliqué que le grand chef des Français avait pris sa place dans le panthéon des déités invoquées lors de ces danses.