J'essaie de résumer l'attentat raté (à moitié) contre Laurent le Magnifique à Florence en 1478. Tiré du livre de Jacques Heers,
Le clan des Médicis, Tempus, Perrin, N°449 : j'ai laissé les causes, la préparation, le fait lui-même et les résultats. (pp.224-235)
LES CAUSES Jacques Heers a écrit :
Les Médicis perdaient plusieurs soutiens dans l’Église et de grosses sommes d’argent. Ils s’en prirent aux Pazzi, qui subirent toutes sortes de persécutions, attaques du fisc, basses suspicions policières et humiliations insupportables. Il est clair que les Pazzi n’auraient pas connu une telle disgrâce dans Florence, n’auraient jamais songé à réunir des complices pour assassiner Laurent et son frère s’ils n’étaient devenus les banquiers de la Chambre apostolique. Famille très ancienne,[...]
Pourtant, dans le temps où s’affirmaient les Médicis, dans les premières années 1400, ils se sont forgés sinon une grande notoriété, du moins une réelle assise sociale et une belle fortune.
Dans Florence, les Pazzi s'étaient alliés ou ralliés à Côme dès son retour en 1434 et comptaient parmi les fidèles de son parti.[...]
Ils ont fait mieux que survivre, mais, devenu maître de Florence, Laurent prit ses distances. Le chef des Pazzi était alors Jacopo «que sa naissance et sa richesse avaient fait décorer du titre de chevalier»
C’était l’un des plus riches et des plus solides lignages de tout Florence, assez puissant pour porter ombre aux Médicis qui étaient moins nombreux et, en ces années-la, moins assurés du concours de leurs parents. On les enviait et la rumeur laissait entendre que Jacopo voulait gouverner Florence comme un tyran; on disait que sa façon de vivre, de s’entourer d’une suite de partisans n’était pas celle d’un bon citoyen.
Entre les deux familles, les deux clans plutôt, ce ne furent que méfiance, mauvais vouloir et mauvaises pratiques puis rancœur et projets pour faire payer les affronts ou les oublis. Sans nulle vraie raison, usant d’un lamentable prétexte, ils obligèrent Francesco Pazzi, qui se trouvait à Rome pour gérer les affaires familiales, à regagner Florence sans délai. Un tribunal dépouilla un Pazzi, Giovanni, de l'héritage de son beau-père, Borromeo, mort sans héritier male, pour le au neveu, Carlo Borromeo.
La PRÉPARATIONJacques Heers a écrit :
Les Pazzi, si distingués par leur noblesse et leur fortune ne pouvaient souffrir tant d’injustices et cherchèrent les moyens de se venger. L’âme du complot fut Francesco qui, résidant plus souvent à Rome qu’a Florence s’entendit avec Girolamo Riario, le neveu du pape, pour recruter d’autres complices. Ils affirmaient changer le gouvernement de Florence, rendre à la ville «ses libertés» et savaient qu’ils ne pourraient y parvenir sans mettre a mort Laurent et Julien, dont les amis contrôlaient si bien les rouages du pouvoir et les modes de désignation des magistrats que rien ne pouvait leur être opposé par les moyens ordinaires. Ils en informèrent le pape et le roi de Naples qui ne firent rien pour les dissuader, puis l'archevêque de Pise, Salviati, qui promit de les aider. Francesco regagna Florence pour rallier les membres du clan. Encore peu nombreux mais sans cesse encouragés par l'archevêque Salviati et se assurés du soutien de l’opinion populaire, qui, ne supportait plus Laurent et sa cour de 11s mirent dans la confidence, pour en faire chef, Giovanni Batista de Montesecco, un capitaine s’était, en plusieurs campagnes, illustré au service du Ils gagnèrent à leur cause presque tous les Pazzi, Jacopo, fils de Poggio, «jeune homme des belles-lettres mais ambitieux et souvent par les nouveautés». Deux parents de l’archevêque Salviati, tous deux prénommés Jacopo, les ont rejoints ainsi qu’Antonio Maffei, un clerc de Volterra qui voulait venger sa patrie martyre en 1472, et Stefano de Bagnone, chapelain des Pazzi, qui enseignait le latin à l’une de leurs filles. Le cercle s’élargit encore avec trois jeunes nobles, Napoleone Francesi, fidèle client du lignage, Bernardo Bandini Baroncelli, homme de guerre, capitaine d’aventure, et Jacopo Bracciolini, fils de Poggio, le poète et philosophe ami de Laurent.
Jacopo, le patriarche, hésita longuement et prit toutes sortes de précautions pour ne pas se compromettre. Il refusa de recevoir Montesecco dans son palais ; il alla sans le faire savoir, lui rendre visite dans son auberge et refusa tout net («ces hommes ne connaissent pas ce qu’ils veulent faire ; ils me rompent la cervelle !»). Montesecco revint à la charge, l’assurant de l’approbation du pape, mais le chef des Pazzi tergiversait encore, promettant de se décider quelques jours plus tard. Il finit par accepter mais, alors que tous les conjurés demeuraient inflexibles et disaient que Laurent et Julien devaient tous deux périr, il ne voulait frapper que l’un des deux frères. En fait, il se tint à l’écart et mit grand soin a préserver ce qui pourrait, en cas d’échec et de malheur, sauvegarder sa fortune et sauver son âme. On ne le vit paraître aux conciliabules des comploteurs mais il paya ses dettes, remis à ses amis les créances et les marchandises en dépôt chez lui et secourut largement des pauvres. Sourds aux conseils de prudence du patriarche, les conjurés s’agitaient beaucoup mais Renato et Guglielmo Pazzi, beau-frère de Laurent, ne furent jamais des leurs.
Personne n’a trahi et il faut croire que la police du médicéen n’était pas très efficace. De sombres rumeurs couraient dans Florence mais son gouvernement suscitait tant de désillusions, de mécontentements et de colère que Laurent n’y prenait garde. ll semble même que, dans ces longs temps d’incertitude, il ait plutôt travaillé à apaiser l’hostilité du pape et de Riario. Loin d’imaginer que Montesecco œuvrait à sa chute et recevait directement des ordres de Rome, il pensait se servir de lui pour négocier la paix avec Sixte IV et ne vit nulle imprudence à laisser les soldats du condottiere entrer en bon nombre dans Florence. Il rencontra leur chef à deux reprises, l'accueillant même dans sa villa de Cafaggiolo.
On savait Laurent vulnérable, trop souvent présent à la ville, mêlé a de petites foules sans autre escorte de quelques parents et amis. Il pouvait tomber sous les coups d’hommes qui se sauraient d’avance perdus mais n'hésiteraient pourtant pas à le frapper mortellement. Les conjurés voulaient agir le samedi 25 avril 1478, lors d'un banquet qu’il devait donner dans sa villa de Fiesole pour fêter le jeune Rafaelle Galeotto Riario, tout juste arrivé a la dignité de cardinal. Apprenant que Julien, qui s'était blessé lors d’une partie de chasse, ne viendrait pas, les Pazzi et leurs amis décidèrent de remettre mais, dit encore Machiavel, «il n’est rien qui déconcerte ou entrave autant une action engagée par les hommes que d’avoir brusquement et sans délai à changer tous leurs plans et a les détourner de leur direction première. Rien n’est plus essentiel que chacun des participants ait fermement arrêté dans son esprit le rôle qu’il doit remplir ; si, durant plusieurs jours, tous les acteurs ont appliqué leur imagination à une certaine façon d’être et d’agir et qu’il leur faille en changer soudain, il est inévitable que tous soient déconcertés et que tout s’écroule».
Les complices se rassemblèrent en toute hâte, passèrent la nuit a délibérer et se mirent d’accord pour frapper le lendemain, dimanche 26 avril, dans la cathédrale, à la sortie d’une messe que Julien ne pouvait pas manquer. On répartit les rôles. Francesco Pazzi et Bernardo Bandini devaient tuer Julien et Montesecco, Laurent. Mais, au matin, celui-ci refusa, disant «qu’il n’aurait jamais le cœur à commettre un tel forfait dans l’église et d’ajouter ainsi le sacrilège à la trahison». Il prétexta de plus quelques taches qui ne pouvaient attendre et le retiendraient ailleurs, mais les chroniqueurs du temps s’accordent à dire qu’il gardait en tête le bon accueil de Laurent et les bons entretiens qu’ils avaient eus ensemble.
De plus, tuer de sang-froid un homme désarmé lui répugnait : «Vaillant sur le champ de bataille, ce n’était pas un assassin : on a vu souvent le cœur manquer pour une telle action à des hommes dressés à manier les armes et à tremper leurs mains dans le sang, endurcis par de dures épreuves devant la vie et la mort. >> C’est ce qui fit échouer la sinistre entreprise. Au dernier moment, on remplaça le condottiere par Antonio de Volterra et par le prêtre Stefano, hommes malhabiles à jouer de 1’épée, «les moins désignés pour un tel geste, tant par leur peur d’expérience que par leur tempérament».
L'ATTENTATJacques Heers a écrit :
A l’église, la foule envahissait déjà la nef pour entendre la messe. Laurent s’y trouvait, accompagné du jeune cardinal Riario, mais Julien n’était pas là et l’on apprit que, souffrant encore de sa blessure ou en proie à un mauvais pressentiment, il était demeuré chez lui. Pazzi et Bandini allèrent le chercher et, «malgré toute leur haine et toute la conscience qu’ils avaient d’un si grand forfait, gardant toute leur âme, toute la ténacité d’esprit qu’il fallait pour dissimuler, tant dans la rue que dans la cathédrale, ils le divertirent de toutes sortes de plaisanteries et facéties de jouvenceaux au cours desquelles, sous couleur de caresses amicales, ils ne négligèrent pas de le palper de la main et même de l’étreindre du bras pour s’enquérir s’il portait cuirasse ou quelque autre protection». Aussitôt entrés dans le sanctuaire, ils le frappèrent. Julien, atteint de tant de coups si violents que l’un de ses assaillants se blessa, tomba à terre et mourut avant que l’on puisse le secourir.
Mais Laurent échappa à la mort et ce fut, disait-on alors, par une sorte de miracle ou par un heureux hasard qui le fit entourer de plusieurs amis. Le meurtrier manqua de cœur au dernier instant, impressionné par la majesté du tyran revêtu de la pompe des ornements princiers, entouré d’un magnifique cortège.
[...] de même, Antonio de Volterra, qui n’était en rien homme d’épée, aurait crié, en approchant Laurent mais encore trop loin: «Ah, traître !» Ce seul mot le perdit et tous les conjurés avec lui.
Légèrement atteint à la gorge, poursuivi par Bandini, qui, après Julien, avait tué Francesco Nori, ami des Médicis, malheureux de se trouver là, Laurent se réfugia dans la sacristie. «I1 se retira au revestiaire de l’église, dont les portes sont en cuivre, que son père avait fait faire. Un serviteur, qu’il avait fait délivrer de prison, deux jours devant, le servit bien à ce besoin et reçut plusieurs playes pour luy.»
LES RÉSULTATSJacques Heers a écrit :
L’archevêque Salviati, deux de ses parents et Jacopo Pazzi sont pendus sur place, exposés la pendant de longues heures.
Renato Pazzi, qui n’avait pris aucune part au complot et se trouvait dans sa maison de campagne, y fut pris et, lui aussi, ramené a Florence pour être torturé et exécuté. Galeotto, déguisé en femme, s’était enfermé dans Santa Croce et Giovanni dans l’église de Santa Maria degli Angeli. On les y retrouva pour les interroger, les condamner et les mettre à mort. Guglielmo Pazzi, beau-frère de Laurent, qui s’était toujours tenu a l’écart de ces néfastes projets, fut exilé, contraint d’abandonner son épouse cloîtrée dans le palais de la via larga et d’aller vivre dans un bourg de la campagne qui devait être à plus de 5 milles de Florence, pour que ses amis ne puissent l’aider ou simplement le visiter trop aisément, et à moins de 20 milles pour que l’on puisse le prendre a tout moment et le faire comparaître devant un tribunal. Mais il réussit a s’enfuir et gagna Rome sans être arrêté.