Je suis donc allé consulter les Grands Chroniques de France, disponibles sur internet.
Voici ce que j’ai appris concernant notre sujet. J’en suis désolé, c’est un peu long.
C’est l’édition de Paulin Paris, datée de 1836, qui est disponible, et non pas l’édition de Jules Viard, datée de 1920 à 1952, et à laquelle Bernard Guenée fait référence lorsqu’il cite ces Chroniques. 6 tomes ici, de à peu près 500 pages chacun. Je les ai parcourus à la recherche de numéros de Rois, ou d’informations à ce sujet. Et j’ai lu avec soin les deux « dissertations » dans lesquelles l’éditeur expose sa démarche, ainsi que sa longue conclusion (plus de 20 pages) où il présente ses sources.
Je m’attendais à trouver dans ces dissertations et cette conclusion de nombreuses références à Primat, puisque, à commencer par Bernard Guenée, l’immense majorité des historiens qui évoquent les Grandes Chroniques de France précisent que Primat en est l’auteur, ou plutôt le traducteur (il s’est appuyé sur plusieurs chroniques successives, écrites en latin).
Pas trace de Primat dans ces dissertations. Elles mentionnent, sinon comme auteur du moins comme premier rédacteur de ces Chroniques, un autre personnage, un « ménestrel » d’Alphonse de Poitiers (un des frères de Saint-Louis).
Dans la conclusion, il se trouve que c’est le dernier ouvrage cité (parmi plusieurs dizaines) qui est de Primat. Certes, c’est sans doute le hasard de l’ordre dans lequel sont présentées les sources qui a ainsi placé Primat à la toute fin, mais c’est tout de même assez amusant de devoir attendre la dernière de ces 3000 pages pour voir le nom de celui que beaucoup considèrent comme étant à l’origine de cette œuvre.
Venons-en aux numéros de Roi.
Dans le texte, le seul Roi numéroté est Charles V (le cinquiesme du nom). Avant lui je n’ai noté dans le texte de numéro pour aucun Roi. Déception puisque j’avais compris de Bernard Guenée que Primat avait systématisé le procédé de numérotation des Rois dans ces Chroniques.
Deux éléments positifs toutefois.
En premier lieu un passage, qui traite des derniers Mérovingiens. On peut lire ce passage : « Son fils Dagobert fut couronné après lui. Il fut appelé le second Dagobert, pour le premier qui fonda l’abbaye de Saint-Denis […]. Car le premier Dagobert engendra Loys [Clovis], et Loys Thoderic [Thierry], Theoderic Childebert, Childebert ce second Dagobert […] ». Point très intéressant : une note de l’éditeur nous apprend que ce passage est un ajout du traducteur. Autrement dit, on voit bien ici Primat apporter un complément au texte latin avec cette tentative de numérotation.
Tentative intéressante donc mais limitée, puisqu’aucun des autres Rois cités n’est numéroté (nous avons ici Clovis II, Thierry III et Childebert III). On peut expliquer cette attention particulière à distinguer ce Dagobert second de son illustre prédécesseur, en comparaison des Rois intermédiaires laissés dans le flou, par le fait que Primat est moine de l’abbaye de Saint-Denis, dont il rappelle que Dagobert Ier est le fondateur.
Tentative de numérotation au résultat douteux malheureusement, pour la raison qu’il s’agit en fait de Dagobert III. En effet, entre Dagobert Ier et ce Dagobert « second », on trouve dans une autre branche un Dagobert II.
Autre élément positif concernant la numérotation : l’en-tête qui figure sur chaque page. Sur chaque page paire figure « Grandes Chroniques de France ». Et sur chaque page impaire figure le nom du Roi en activité.
Et là, ma quête de numéro est enfin satisfaite, puisque figure dès son couronnement Clotaire II, ainsi numéroté. Après lui figurent d’autres Mérovingiens, également numérotés, et, je le précise, avec le numéro que nous leur attribuons aujourd’hui.
Pour les Carolingiens aucun numéro, uniquement les surnoms (Charles le Chauf, Loys le Baube …). Pour les Capétiens, avant Charles V on trouve comme seul Roi numéroté le fils de Saint-Louis, Philippe III (« Phelippe III »). Mais, je le répète, ce numéro ne figure que dans l’en-tête. Je n’ai trouvé aucun numéro, ni dans le texte ni dans les têtes de chapitre, avant Charles le cinquiesme.
Une question vient alors : peut-on être sûr que ces en-têtes sont le fait de Primat, et non pas de l’éditeur, Paulin Paris ? Ce ne serait pas impossible. Bien évidemment, lorsqu’il fait référence à un Roi dans une note ou dans ses dissertations, il le nomme avec son numéro. Il se pourrait donc que pour ces en-têtes il ait fait de même, afin de permettre au lecteur de s’y retrouver plus facilement.
Mais on peut se demander alors comment il aurait fait son choix pour la période Mérovingienne, où il y a le plus souvent plusieurs Rois en activité. Ainsi, lorsque Clotaire II est couronné, règnent également son oncle Gontran et son cousin Childebert. Quelle que soit la raison du choix effectué en faveur de Clotaire II, on peut supposer que Paulin Paris en aurait dit deux mots quelque part. Je n’en ai pas trouvé trace.
A l’opposé, on trouve trace d’un tel choix sous la plume de Primat (ou de l’auteur des Chroniques). En effet, à la mort de Clovis, il décrit le partage entre ses quatre fils, les nomme tous Roi, mais précise qu’il considère comme Roi de France celui qui règne sur Paris. C’est Childebert. Et l’en-tête à partir de ce passage est bien Childebert. Puis ce sera Clotaire, Charibert (« Cherebert »), Chilperic et enfin Clotaire II.
Cela plaide en faveur d’un en-tête décidé par Primat.
Vont également dans ce sens les en-têtes des dynasties suivantes, qui reprennent les noms de l'époque (Charles le Chauf etc...).
Mais un élément plaide contre. Il s’agit de notre Dagobert que Primat nomme « second », et qui est pour nous Dagobert III. L’en-tête pour la durée de son règne est Dagobert III. En contradiction avec son qualificatif de « second ».
Cette contradiction pourrait s’effacer avec une hypothèse sur le sens de « second ». En cherchant bien, on trouve en effet que « second » peut signifier autre chose que « qui suit immédiatement le premier ». On relève ainsi « sans second » utilisé comme « sans égal, sans pareil ». Avec un tel sens, l’ajout de Primat pourrait se lire comme le fait qu’il s’agit d’une autre Dagobert que le bien connu Dagobert Ier. Et on a vu la raison pour laquelle Primat pouvait tenir tout particulièrement à singulariser son bon Roi Dagobert.
Disons le il serait assez agréable d’accepter cette hypothèse puisqu’alors nous pourrions conclure que ces en-têtes sont de Primat, et qu’elles sont donc bien la première tentative de numérotation des Rois. J’ai tout de même du mal à le faire. Car il faudrait alors accepter aussi que Primat ait ici nommé un Dagobert « second » qu’il savait être le troisième du nom, sans préciser ce point. Cela me paraît étrange.
La réponse à ces nouvelles questions se trouve sans doute dans l’édition à laquelle se réfère Bernard Guenée, et que je n’ai pas pu consulter : celle de Jules Viard, en dix volumes édités entre 1920 et 1952.
Si quelqu’un peut m’indiquer où la consulter, je suis intéressé. Et d’ici un mois ou plus je poste une autre tirade du même acabit.
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