Il faut relativiser le poids d'un libre-échange qui, s'il est espéré par une certaine élite au sortir de la WW2, est tout de même largement embryonnaire dans les années 45-73.
Idem pour "le protectionnisme qui serait à l'origine de la WW2", on le lit aujourd'hui comme un lieu commun (largement discutable d'ailleurs), j'aimerais bien voir un discours d'un Debré ou d'un Pinay qui dirait cela.
(Je laisse de côté la vision Montesquieusienne des pères de l'Europe qui ont pensé à rendre les deux économies française et allemande interdépendantes au point qu'elles ne puissent plus se faire la guerre: c'est l'exception, et limité à des domaines bien spécifiques de l'époque)
Jean Fourastié a été cité à juste raison dans ce fil comme inventeur de l'expression "Trente Glorieuses".
Or, il n'a jamais à ma connaissance évoqué la moindre influence de l'ouverture des frontières dans les 30 glorieuses.
Ouverture des frontières très faible, d'ailleurs.
La consommation de nouveaux biens se fait incontestablement avec de la production française: la 4 CV et la Dauphine, ce n'est pas de la Chrysler. La TV de l'ORTF, c'est du Grandin, pas du Sony. Frigidaire, c'est effectivement une marque de General Motors, mais fabriquée à Gennevilliers, il n'est donc pas question de libre-échange. Les Fiat ne sont venues en masse sur nos routes que dans les années 1980, les BMW et Mercedes que dans les années 1990.
Symbole emblématique du plan Marshall, les tracteurs Massey-Harris et Farmall, importés par milliers, au point que dans toute la France chaque fermier à la retraite croit avoir eu "le premier tracteur du plan Marshall". Certes. Je pense que le machinisme agricole est un des secteurs les plus concernés par les imports des USA (aujourd'hui encore, d'ailleurs). Mais même cela est à nuancer: la mécanisation des campagnes dans les années 50 s'est aussi largement faite avec des engins de marques Valence, Renault, Vierzon, Vicmar, Soberfon, Messidor, LMP etc.
Conclusion: Rien à voir pour moi avec le libre-échange. Les économies européennes de l'après-guerre sont largement keynésiennes, et le système keynésien fonctionne quand le périmètre économique est fermé.
Même chronologiquement, il y a un trop grand trou. On peut choisir plusieurs dates pour le commencement de l'ère du libre-échange. Pour ma part, je prends celle de janvier 1995, soit la conférence de Marrakech et la création de l'OMC. Avant cela, on est dans un monde où le principe est la limitation des échanges et où l'ouverture (GATT, accords ACP...) est l'exception.
Enfin, pour revenir à Jean Fourastié, je m'étonne que personne dans ce fil n'ait mentionné la vraie raison selon lui des 30 glorieuses:
la démographieAprès guerre, nous sommes en Europe dans un système keynésien. Celui-ci s'appuie sur la consommation intérieure et la circulation de la monnaie.
Or, chaque enfant né après 1945, représente:
20 années de consommation,
. sans capacité de production (ce que le gamin consomme il ne peut le produire, ce sont donc les adultes qui doivent le faire pour lui, la consommation d'un enfant a donc un effet démultiplié sur l'économie par rapport à celle d'un adulte)
. sans risque de thésauriser (l'argent que génère l'enfant dans l'économie ne lui revient pas, il ne peut pas l'épargner, alors que l'épargne du travailleur est ce que redoute par-dessus tout un keynésien).