Barbetorte a écrit :
Ce n'est pas l'avis de tous ceux qui ont investi alors que la CAC 40 était aux alentours de 6 000 alors qu'il est aujourd'hui, quinze ans après, à moins de 4 500, et encore moins de tous ceux qui ont inconsidérément investi dans les nombreuses start up qui ont fait faillite.
Le niveau actuel du CAC40 n'est pas dû qu'à la bulle Internet, il y a eu d'autres crises entretemps.
Cela dit je me souviens de la folie autour de l'explosion d'Internet, où les meilleurs économistes s'excitaient comme un gosse qui a trouvé un nouveau jouet.
Sauf erreur, la capitalisation du Nasdaq était plus élevée que le reste du NYSE : les entreprises de la "Netéconomie" étaient considérées comme ayant plus de valeurs que l'ensemble des autres sociétés, dites "brick and mortar." Lesquelles se demandaient gravement comment Internet allait bouleverser leur business model, pour s'adapter d'urgence à cette nouvelle donne, sous peine de disparaître.
il était ainsi évident que les futurs acheteurs de voitures choisiraient, personnaliseraient leur modèle, et commanderaient sur Internet. (Les concessionnaires Toyota ou Renault vont bien, merci.)
Sachant que Amazon, par exemple, était valorisée à 1000 fois son chiffre d'affaire... alors qu'elle perdait de l'argent. Il a fallu des années - et un nouveau PDG - pour qu'ils comprennent que le point-clé de leur business n'était pas la vitrine Internet, mais l'efficacité de leur logistique - toutes les activités hors écrans étaient regroupées à l'époque sous le vocable méprisant de "back-office" - qui conditionnait leur marge par rapport aux autres vendeurs de livres, à commencer par la grande distribution, plutôt solide sur la logistique et qui ne les avait pas attendus.
Sans compter le mépris envers des consommateurs qui ont leurs habitudes et qui n'allaient pas se mettre du jour au lendemain au paiement à distance. (Dans la pratique ça a pris des années et il reste une certaine prudence parfaitement justifiée.)
Et je parle d'Amazon, qui a survécu parce que son idée était sensée, mais combien de sociétés ont simplement disparu ?
Je me souviens d'un prof de l'ENSSIB (Ecole des sciences de l'information - documentaire, en fait - et des bibliothèques, à Lyon) qui n'avait que la "Netéconomie" à la bouche, et qui nous avait fait bosser en stage sur une étude de cas parfaitement réelle : en 99, le journal Le Monde considérait sérieusement que dans 5 ans la moitié de son lectorat serait informatique, et se demandait comment adapter son organisation interne.
Je lui ai fait remarquer que cette prévision me semblait parfaitement irréaliste. (un journal c'est quelque chose qu'on aime tenir entre ses mains, et de plus Le Monde, journal de référence, a une large part d'abonnements collectifs : typiquement, il était en lecture libre, à deux exemplaires... à la cafète de l'ENSSIB !
) Il n'a même pas pris deux secondes pour y réfléchir. Je venais pourtant de lui proposer un schéma d'évolution d'organisation qu'il avait apprécié, mais l'idée que je puisse aussi toucher juste sur ce point ne l'a pas effleuré. La "Netéconomie", on vous dit ! ("Le poumon ! " disait Molière. Le terme est aujourd'hui désuet, on parle plutôt des NTIC.)
En pratique, la prévision pouvait avoir un certain sens, parce que Le Monde diffuse aujourd'hui des articles gratuits, et a donc nettement augmenté sur le Web son lectorat "occasionnel" ou "je jette un oeil" mais pas à cinq ans en 99.
Le milliardaire Warren Buffet, investisseur légendaire surnommé "le sorcier d'Omaha" n'a jamais investi dans aucune société informatique ou Internet, parce que, dit-il, "il n'y comprend rien." Les bricks and mortar lui ont plutôt réussi.
Le problème d'Internet et de la nouvelle économie, c'est qu'on ne sait jamais qui va vous tuer.
Le pire ennemi du Monde ce n'était pas Médiapart ou le Huffington Post - apparus d'ailleurs seulement 10 ou 15 ans plus tard, sachant que Le Monde a su diffuser aussi sur le Web - mais les gratuits, style 20 Minutes. Du journal en bon papier bien matériel... (Tous les grands titres papier d'information sont aujourd'hui sous perfusion de l'Etat.)
De même Accord a su mettre ses réservations en ligne et s'adapter aux sites de réservation généralistes, mais ce qui les concurrence durement... c'est les particuliers qui louent des chambres. Là aussi l'idée a mis 10-15 ans à sortir, mais elle est meurtrière pour les hôtels des grandes villes touristiques.
(Amusant ce délai de 10 ans pour une idée évidente aujourd'hui. Comme disait Pierre Bénichou, il a fallu attendre 20 ans après la conquête de la Lune pour qu'on ait l'idée de mettre des roulettes aux valises.)
Bon, j'ai négligé la limite chronologique, mais l'explosion de la bulle Internet fait aujourd'hui partie de l'histoire.