Il n'y a pas un stock constant de pauvres. Par contre, il y a des années de vaches maigres et des années de vaches grasses à un endroit donné.
Dans l'ouvrage collectif sous la direction des démographes Jean-Pierre Bardet et Jacques Dupâquier, intitulé "Histoires des populations de l'Europe", tome 1, Paris, 1997, page 203, je lis dans le chapitre sur les 12e et 13e siècle: "En France, dans le petit comté de Forez dans le Massif central, on a pu égrener le chapelet des difficultés à partir de 1277-1278. Il s'agit d'une succession de disettes couplées avec des pointes de mortalité, fames et mortalitas, en 1277-1278, 1285, 1287-1288, 1296 (famine générale), 1302, 1310-1311, 1315, 1321, et suivies d'une nouvelle série d'épisodes de ce type débouchant sur la famine de 1347, précédée de deux mauvaises récoltes et accompagnée d'une épidémie. Donc soixante-dix années manifestement très difficile (Fournial, 1967)." Page 215 : "la répétition des famines dues aux mauvaises récoltes engendre un exode des paysans qui vont chercher ailleurs des moyens de subsistance". Cela montre que même si une région est touchée par une famine, cela ne veut pas dire que cette région compterait beaucoup de personnes qui ne mangent pas à leur faim, car les personnes vont ailleurs. Page 216 : "En France, on a mis en évidence des zones de départ et des zones d'accueil. Parmi les premières, plusieurs du centre de la France (Limousin, Auvergne, Rouergue) mais aussi la Bretagne, la Saintonge et les Pyrénées occidentales, pays pour la plupart de sols pauvres où le redressement de la natalité a rendu disponible de nombreux jeunes incapables de s'établir sur place. Les régions d'accueil ont été nombreuses : Entre-Deux-Mers à l'est de Bordeaux, Quercy, et surtout région parisienne."
Dans le chapitre suivant sur les 15e, 16e, et 17e siècle, je lis page 245 : "Dans l'Europe classique, la famine est devenue un phénomène exceptionnel." "En revanche, on observe encore quelques famines locales et quelques disettes à large extension ; effets presque inévitables d'une mauvaise récolte" "elles sont provoquées soit par des opérations militaires comme on l'a vu ci-dessus, soit par des dérèglements météorologiques à court ou long terme. Les mauvaises années isolées sont dues généralement à des éruptions volcaniques d'envergure : par exemple, à la suite du volcan Laki en Islande en 1783, l'atmosphère a été polluée plusieurs années durant ; les hivers ont été particulièrement froids, et les récoltes compromises un peu partout en Europe." Page 246 : "Le caractère spectaculaire de ces crises appelait une explication. J. Meuvret crut la trouver dans la théorie des crises de subsistance qui remporta un succès considérable, pendant une vingtaine d'années, chez les historiens. Pour lui, presque toutes les grandes mortalités du passé étaient dues non à la guerre, ni à l'épidémie, mais à la hausse du prix des grains à la suite d'un mauvaise récolte (J. Meuvret, 1946) ; les maladies que les sources mentionnent presque toujours lors des crises démographiques, n'auraient été que la conséquence d'une mauvaise alimentation. Dès l'origine, cette théorie a été combattue par d'autres historiens (P. Chaunu, 1966), qui ont mis en évidence l'existence de chertés sans mortalités, et de mortalités sans chertés. On a noté aussi que la crise semblait épargner certains villages et même certaines provinces ; qu'elle frappait le plus souvent à la fin de l'été, après la moisson, et non à l'époque de la soudure comme devrait l'impliquer la théorie". Page 247 : "Les crises d'origine frumentaire sont généralement brèves, par exemple celle de 1709-1710".
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