Ce débat très intéressant, comme toujours lorsque la question posée est insoluble…
Quelques remarques en vrac :
1 – Quand on compare l’évolution des droits des femmes entre l’occident et les pays musulmans, il ne faut pas non plus tout confondre. Certes, en France par exemple, les femmes sont restées socialement mineures aux XVIIIème et XIXème siècle et n’ont eu le droit de vote qu’en 1945, certes, il y a de la violence conjugale … Mais je n’ai pas connaissance d’une époque où, en France, on pouvait lapider les femmes adultères, ou tuer une femme violée, et cela presque impunément.
2 – Je ne crois pas que la lecture des livres sacrés (Bible, Coran, Torah) permette de déduire les effets sociaux et économiques d’une religion. Une religion ne se résume pas à ses textes sacrés. C’est avant tout la manière dont ces livres sont interprétés, la force de droit qu’on leur accorde ou non, la quantité de pouvoir temporel dévolue au clergé, la possibilité pour les fidèles d’avoir ou non accès à ces textes, qui peuvent avoir cette influence. Par exemple la France de l’an mil et celle de 1900 sont toutes deux catholiques (au sens où l’écrasante majorité de la population se dit catholique). Elles ont la même Bible, pourtant les effets de la religion sur la société ne sont évidemment pas les mêmes.
Ou pour prendre un autre exemple : les évangiles disent « Il faut rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu » ce qui est généralement interprété comme une séparation temporel/spirituel. Mais pour un habitant de Rome en 1500, il semble bien que cette séparation était moins évidente que pour un Français d’aujourd’hui.
N’allons donc pas chercher dans le Coran les effets éventuels de l’Islam sur le développement économique, d’autant que :
Skipp a écrit :
on trouve dans le Coran tout et son contraire...
C’est d’ailleurs ce qui rend à mon sens la question insoluble : si on veut étudier à l’échelle de plusieurs siècles l’effet éventuel de « l’Islam », il faudrait d’abord arriver à donner de cet « Islam » une définition applicable à toutes les époques…
3 –
Noacyl a écrit :
C’est donc le refus d’adopter les nouvelles techniques occidentales qui a causé ce retard et non le fait qu’ils soient musulmans.
Je ne crois pas qu’une société « choisisse » ou « refuse » d’adopter les techniques de ses voisins. Elles les adopte, ou pas, selon un processus complexe dans lequel n’intervient pas que le volontarisme politique (comme au Japon au XIXème siècle) mais aussi : l’utilité de ces techniques au sein de la société, l’importance des échanges avec ses voisins, la possibilité de trouver ou former les « techniciens », la part laissée à l’initiative individuelle, les notions de prestige social, etc.
Par exemple, l’Empire Ottoman n’a pas « refusé » d’adopter la caravelle et les diverses techniques de navigation atlantique. Contrairement aux Portugais, les marchands ottomans n’avaient simplement aucun intérêt à investir dans des expéditions atlantiques visant à contourner l’Afrique, puisqu’ils avaient accès aussi bien à la Méditerranée qu’à l’Afrique orientale et à l’orient. De même le sultan n’avait pas besoin de navires militaires de haute mer. Enfin, l’auraient-ils voulu, il aurait encore fallu trouver les charpentiers navals compétents. Il y a donc là un exemple de facteur géographique (et non religieux) qui influence la diffusion des techniques et donc le développement économique.
Et on revient à la question initiale : parmi ces facteurs qui influencent la capacité d’une société à adopter les techniques des autres et à innover, est-ce que la religion joue un rôle ? Je pense que oui mais en ce qui concerne l’Islam il semble difficile de savoir lequel puisque, à l’époque médiévale, le monde musulman jouait plutôt le rôle de « moteur » contrairement à l’époque moderne.
4 – Certains auteurs pensent qu’en raisonnant à très grande échelle, la division entre de multiples états concurrents (comme l’Europe depuis les invasions barbares) a tendance à stimuler l’innovation technique par un effet de compétition, notamment militaire ou économique, alors que la présence de grandes entités unifiées serait un frein. Si on applique cette théorie à l’aire arabo-musulmane (du Maroc à l’Irak), on constate que la période VIIIème-XIVème siècles, où il n’y a pas eu d’unification politique de longue durée, correspond en gros à celle où le monde musulman était techniquement en « avance », ou au même niveau que l’Occident ; au contraire, une bonne partie du monde musulman a été unifiée à la période de l’hégémonie ottomane (XIVème-XIXème siècle) qui correspond au déclin face à l’occident. Il y aurait là une explication du sous-développement des pays arabo-musulmans sans faire du tout intervenir l’influence de l’Islam.