Mon cher Tonnerre, vos notions économiques me surprennent.
Tonnerre a écrit :
Cette discussion requiert le rappel de quelques notions économiques et historiques.
1/Le coût de conception, de construction de la machine n'est pas assumé par l'industriel qui l'achète, que ce soit un métier a tisser Jacquard il y a plusieurs centaines d'années ou une machine high tech de nos jours. Ce n'est pas son problème, donc ça n'entre pas dans les calculs de rentabilité, contrairement à l'entretien.
Quand l’industriel achète la machine, il rémunère bien le vendeur pour les coûts de conception et de construction. Il peut aussi développer et construire lui-même la machine. C’est ce que je voulais dire.
Tonnerre a écrit :
2/ Une machine peut coûter plus cher à l'achat qu'un esclave ou que plusieurs mois de salaire d'un ouvrier mais par définition, à terme, elle rapporte davantage; en effet, elle coûte moins cher en entretien et salaires sur la durée, remplace X humains, et permet d'augmenter la productivité car elle peut travailler 24/24.
Dans ces conditions, le calcul de rentabilité est évident et va dans le sens du remplacement de l'être humain. Si ce n'était pas le cas, la mécanisation n'aurait pas eu de raison d'être.
3/Lié a 2/, la rentabilité d'une machine se calcule à terme; une machine n'est pas amortissable pendant la première semaine, ni meme généralement les premiers mois.
Toute la question est là.
D’une part, le coût d’achat de la machine peut forcer l’industriel à emprunter et donc créer un coût financier qui vient s’ajouter au coût d’entretien.
Et surtout, l’industriel cherche à amortir son investissement dans une durée finie qui dépend, notamment, des conditions économiques et du risque qu’il est prêt à prendre. Vous dites « à terme », « dans la durée »… Mais justement, on amortira l’investissement d’autant plus vite que l’économie faite sur le coût de la main-d’œuvre est importante.
Réciproquement, pour reprendre un exemple, si on cherche à amortir l’investissement en 10 ans, on acceptera de payer la machine 10 fois l’économie annuelle qu’elle procure. Au final, il s’agit bel et bien de comparer le coût (essentiellement ponctuel) de la machine et celui (sur la durée, oui, mais une durée finie !) de la main-d’œuvre.
On acceptera donc de la payer plus cher si la main-d’œuvre est chère.
Tonnerre a écrit :
4/comme cela a été dit a plusieurs reprises, les esclaves n'ont pratiquement pas coexisté historiquement avec des types d'industrie modernes. Ce sont deux réalités economiques généralement--sauf aux US--séparées dans le temps. La question de remplacer des esclaves par une machine moderne est toute théorique et ne se posait donc pas en réalité, c'est un anachronisme. A noter cependant qu'aux US, les esclaves n'ont pas a ma connaissance été utilisés dans des usines et pourtant, rien ne s'y opposait en théorie.
Je n’appliquais pas ce raisonnement aux types d’industries modernes car à mon avis en 1750, "les jeux sont faits" ; au contraire, comme je voulais le montrer par mon exemple, mon argumentation se fonde sur le fait que ce type de raisonnement économique a très bien pu s’appliquer dès le Moyen-Age, même de manière plus sommaire évidemment, et pas forcément par tout le monde ; mais à la base il suffit de savoir compter.
Comme l’a mentionné Foulques, la première société par actions connue a été créée à Toulouse au XIIème siècle. Il s’agissait de construire des moulins à eau sur la Garonne pour moudre le blé. Le Moyen-Age occidental est plein de ces exemples d’utilisation de la force hydraulique pour actionner des soufflets de forge, battre le métal, fouler la laine, etc…
Je pense que des gens capables de créer une société par actions étaient bien capables de calculer s’ils avaient intérêt à supporter le coût de l’investissement correspondant au moulin, par rapport à l’économie (notamment de main-d’œuvre) qu’ils faisaient. Et je ne vois pas pourquoi leurs homologues musulmans en auraient été incapables.
D’ailleurs, il n’est même pas nécessaire de faire le calcul : en général, ceux qui font le mauvais choix finissent par faire banqueroute, alors que ceux qui ont fait le bon choix sont imités…
Et enfin, je redis que cela ne s’applique pas uniquement au domaine industriel : des progrès techniques ont également existé dans l’agriculture, les mines, les travaux de bâtiment ou de génie civil…
Tonnerre a écrit :
5/ L'existence de main d'oeuvre servile abondante n'a pas empêché que des perfectionnements simples économisant la main d'oeuvre humaine soient adoptés en Islam, par ex. pour des systèmes d'irrigation, puisque vous donnez cet exemple. Je pense à la construction de réseaux de rigoles alimentés par des roues à eau à traction animale.
Je n’ai jamais dit que la main d’œuvre bon marché empêchait les perfectionnements économiques. Simplement, elle stimule moins la recherche de ces améliorations qu’une main d’œuvre plus chère. Je ne pense pas que le développement économique du Moyen-Orient se soit bloqué, mais qu'il était plus lent que celui de l'Europe.
Tonnerre a écrit :
Toute cette argumentation repose sur la notion erronnée que l'esclavage coûte moins que toute autre forme de main d'oeuvre. Il n'en est rien, sinon on peut supposer que le capitalisme l'aurait conservé.
Cela ne prouve rien : le capitalisme aurait sans doute aussi préféré conserver la journée de 15 heures et l’interdiction des syndicats.
Tonnerre a écrit :
Cette notion de l'esclavage non rentable a été développée par différents économistes; selon ceux-ci, l'esclavage n'est pas adapté aux modes de production modernes, il tend à disparaître dans les sociétés qui développent ces modes de production modernes.
Les planteurs européens puis américains, jusqu’aux années 1860, développaient l’argument inverse, et ils n’ont pas tous fait faillite. Le débat ne me semble pas tranché, d’autant plus qu’il faut distinguer l’esclavage de la traite. Mais peu importe puisque je ne me référais pas à cette période.
Il me semble malgré tout très probable que le coût de la main-d’œuvre servile en terre d’Islam aux XIII-XVIIIème siècles était inférieur à celui de la main d’œuvre salariée en Europe.