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Message Publié : 23 Mai 2008 16:55 
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Polybe
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La discussion qui suit a été divisée du sujet "la démission en politique", car elle aborde longuement un cas particulier (qui n'est pas une démission) dans un sujet qui se veut général. (P.M.)

Et le Président de la République Albert Lebrun ?

Bonjour à toutes, et bonjour à tous, lol

Vous oubliez l'irrégularité la plus flagrante de l'histoire constitutionnelle française : le refus du Président du Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF), Charles de Gaulle de réinstaller, même provisoirement, Albert Lebrun dans ses fonctions présidentielles à l'automne 1944, pour lui transmettre officiellement ses pouvoirs.

Rappelons quelques dates essentielles :

* Albert Lebrun est élu Président de la République Française (suite à l'assassinat de Paul Doumer) le 10 mai 1932, pour sept ans (donc jusqu'au printemps 1939), par l'Assemblée Nationale (réunion de la Chambre des Députés et du Sénat) à Versailles.

* Albert Lebrun est réélu Président de la République Française le 5 avril 1939, pour de nouveau sept ans (donc jusqu'au printemps 1946), par l'Assemblée Nationale (réunion de la Chambre des Députés et du Sénat) à Versailles.

* c'est le 12 juillet 1940 que le Maréchal Pétain le démet verbalement de ses fonctions, sans qu'il ait démissionné. Il se réfugie chez son gendre à Vizile (Isère). Où il sera arrêté en août 1943 par les Allemands et incarcéré dans le Tyrol.

* le 25 août 1944 à l'Hôtel de Ville de Paris Georges Bidault, le Président du "CNR" (Conseil National de la Résistance), presse Charles de Gaulle de proclamer la République. Celui-ci refuse, arguant qu'elle n'a jamais cessé d'exister !…

* en septembre 1944 Albert Lebrun, est libéré à Vizile (Isère). Il rencontre en octobre 1944 le général de Gaulle (Président du GPRF) et lui propose, puisque c'est lui le seul et véritable Président de la République française de lui transmettre solennellement ses pouvoirs. De Gaulle refusera de lui donner satisfaction…
Voir : http://pagesperso-orange.fr/freysselina ... Lebrun.htm

D'ailleurs le général de Gaulle cherchera à salir Albert Lebrun dans ses "Mémoires de guerre" en disant de lui : « Comme chef de l'État, deux choses lui avaient manqué : qu'il fût un chef ; qu'il y eût un État ».

Et pourtant, c'est bien de Gaulle qui était dans l'illégalité car la Troisième République ne pendra officiellement fin que le dimanche 21 octobre 1945 où le peuple français est appelé aux urnes, d'abord pour un référendum, puis pour une élection de députés. Cette élection fut unique dans les annales des votations nationales française car elle s'est déroulée en trois temps :
* 1°) il fallait répondre OUI ou NON à la question suivante : voulez-vous que l'Assemblée élue ce jour soit constituante ?
* 2°) en cas de réponse positive à la première question, il fallait répondre à une deuxième question : voulez-vous que les pouvoirs de l'Assemblée constituante soit limités ? (sept mois pour faire une constitution qui sera soumise à référendum).
* 3°) enfin il fallait élire les députés pour la première fois depuis 1936.

Si, comme le parti Radical (dirigé par Edouard Herriot) le demandait, la réponse à la première question avait été NON, les députés élus ce jour auraient été élus à une assemblée législative de la TROISIÈME RÉPUBLIQUE, qui aurait alors continué son existence…

Si, comme le demandaient les autres partis, la réponse à la première question avait été OUI, les députés élus ce jour auraient été élus à une assemblée constituante chargée de préparer la constitution de la QUATRIÈME RÉPUBLIQUE.

Voici le choix des principaux partis aux deux questions de ce référendum :
* général de Gaulle (Président du GPRF) : OUI - OUI ;
* Mouvement Républicain Populaire (MRP) et parti socialiste (SFIO) : OUI - OUI ;
* Parti Communiste Français : OUI - NON ;
* parti Radical et mouvements de droite : NON - OUI ;

Verdict du peuple français : OUI à la première question à 96,37 % et OUI à la deuxième question (à laquelle le Parti Communiste appelait vigoureusement à répondre NON) à 66,49 %. Voir le site : http://www.denistouret.fr/conshistoire/1940-1946.html

Donc ce n'est que le 21 octobre 1945 que la TROISIÈME RÉPUBLIQUE a officiellement cessé d'exister selon le vœu de 96,37 % des citoyens français.

Roger le Cantalien. :rool:


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 Sujet du message : Re: La démission en politique
Message Publié : 23 Mai 2008 17:04 
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Philippe de Commines
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roger15 a écrit :
Et le Président de la République Albert Lebrun ?

Bonjour à toutes, et bonjour à tous, lol

Vous oubliez l'irrégularité la plus flagrante de l'histoire constitutionnelle française : le refus du Président du Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF), Charles de Gaulle de réinstaller, même provisoirement, Albert Lebrun dans ses fonctions présidentielles à l'automne 1944, pour lui transmettre officiellement ses pouvoirs.




Merci Roger le Cantalien pour cet exposé très précis, comme d'habitude :wink:

Sur le fond, franchement, réinstaller Lebrun en 44, c'était une façon de dire que rien ne s'était passé, le peuple ne l'aurait pas compris n'est-ce pas ?
D'autant que ledit Lebrun avait été inexistant en 40.

Quant à la citation suivante :
Citer :
* le 25 août 1944 à l'Hôtel de Ville de Paris Georges Bidault, le Président du "CNR" (Conseil National de la Résistance), presse Charles de Gaulle de proclamer la République. Celui-ci refuse, arguant qu'elle n'a jamais cessé d'exister !…


C'est du de Gaulle, ou du Churchill, comme on veut : de la vraie parole d'homme d'état brute de décoffrage, à un moment où il aurait pu amuser la galerie en proclamant la République... (mais c'est contradictoire, sur la forme, avec le refus de réinstaller Lebrun, ne serait-ce que pour une passation de pouvoir). De Gaulle voulait que pour la république, rien ne se fût passé. Mais le politique qu'il était savait bien qu'au moment des faits, à la libération, ce n'était tout simplement pas possible de dire cela.

Mais la juste pensée ne s'embarrasse pas toujours d'expliquer son cheminement au commun des mortels :wink:

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Bref, un homme "au front étroit mais à la forte mâchoire" (J.P. Callu)


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 Sujet du message : Re: La démission en politique
Message Publié : 24 Mai 2008 12:40 
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Polybe
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Bonjour Huystus, lol

Merci tout d'abord pour ton encouragement. ;)

En effet, je ne suis pas un universitaire bardé de diplômes, comme semblent l'être beaucoup d'Internautes de ce forum "Passion-Histoire", je ne suis qu'un modete retraité des PTT, qui n'a qu'un simple BEPC. Aussi un petit encouragement, comme tu l'as fait si gentiment, ça met du baume au cœur de ceux qui comme moi n'ont pas fait d'études universitaires en histoire, mais qui osent cependant poster des sujets sur ce forum historique… :oops:

Maintenant, sur le fond, je trouve que tu es plutôt injuste envers ce pauvre Albert Lebrun quand tu écris : « D'autant que ledit Lebrun avait été inexistant en 40 ». Albert Lebrun n'a pas été plus inexistant en 1940 que Raymond Poincaré ne l'a été en 1914-1918. Il faut avoir toujours présent à l'esprit que sous la Troisième (et sous la Quatrième d'ailleurs) République le Chef de l'État n'avait qu'un rôle de représentation honorifique (certains disent qu'il ne faisait "qu'inaugurer les chrysanthèmes"). La réalité du pouvoir était exercée par le seul Président du Conseil.

Le dimanche 7 juillet 1940 Albert Lebrun a cependant sans doute sauvé la République, en faisant échec à l'initiative de Pierre-Etienne Flandin qui a proposé cet après-midi-là à une réunion du Sénat, à la salle de la Société Médicale de Vichy, de demander la démission d'Albert Lebrun : « Quel besoin y a-t-il pour cela de changer la Constitution ? Nous sommes réunis ici, sénateurs et députés. Le Président de la République est également à Vichy. L'Assemblée Nationale est convoquée. Rien de plus simple, dans ces conditions, que de demander à M. Lebrun de donner sa démission et de nommer le Maréchal Pétain à sa place. Il suffira ensuite de lui conférer les pleins pouvoirs. Ainsi nous obtiendrons le résultat désiré, tout en respectant la Constitution. » (journée du 7 juillet 1940, tome III ["La fin du régime (26 juin - 10juillet 1940)"], page 178, "Quarante jours qui ébranlèrent l'Occident" Jacques Benoist-Méchain, éditions Albin Michel, 2ème trimestre 1957).

A la page 180 Jacques Benoist-Méchain raconte l'entrevue, ayant eu lieu ce même jour à 18h30, entre le Président Lebrun et les trois sénateurs venus lui demander de démissionner :
« M. Lebrun reçoit les trois parlementaires [les trois sénateurs Flandin, Candace et Mistler] avec la plus parfaite bonne grâce, selon son habitude. Mais il se cabre instinctivement, en entendant leur exposé, et leur déclare qu'il n'est plus du tout d'accord avec eux - mais alors, plus du tout - lorsque ceux-ci lui demandent de démissionner.
- Je ne vois pas pourquoi je donnerais ma démission ! s'exclame-t-il. La situation est des plus claires : les Chambres vont être saisies d'une proposition de loi, déposée par le gouvernement. Ou bien cette loi leur agrée, ou bien elles la rejettent. Dans le premier cas, je m'efface ; dans le second je constitue un nouveau gouvernement. Je ne puis concevoir aucune autre procédure. »

En refusant de démissionner, Albert Lebrun a obligé les partisans du Maréchal a envisager la création de "l'État français" pour remplacer la "République française". S'il avait démissionné et que Philippe Pétain soit devenu Président de la République française, doté des pleins pouvoirs, l'histoire politique de la France d'après-guerre aurait peut-être été différente de ce qu'elle a été…

Roger le Cantalien. :rool:


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 Sujet du message : Re: La démission en politique
Message Publié : 24 Mai 2008 22:01 
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Philippe de Commines
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Lebrun, comme Paul Reynaud, comme Herriot, président de la Chambre, comme Jeanneney, président du Sénat, étaient hostiles à l'armistice : pourquoi ces 4 hommes se sont résolus à permettre à Pétain d'accéder à la présidence du Conseil , lui le chef des partisans de l'armistice ?? Lebrun est une énigme pour moi ; il a le pouvoir de désigner le président du Conseil, ce n'est pas négligeable, et il réagit en pleine débâcle comme s'il devait exercer ses fonctions dans des conditions normales : le chef de la faction "jusqu'au-boutiste" (Reynaud) s'effondre, il choisit le chef de l'opposition...

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 Sujet du message : Re: La démission en politique
Message Publié : 24 Mai 2008 22:50 
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Polybe
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Bonsoir Liber Censualis, lol

Si Albert Lebrun a choisi de nommer Philippe Pétain Président du Conseil, suite à la démission de Paul Reynaud, c'est parce que le jour en question (16 juin 1940) les Allemands occupaient Paris depuis deux jours déjà et commençaient dangereusement à se rapprocher de Bordeaux, où s'étaient repliés les pouvoirs publics. Albert Lebrun savait que l'armistice était désormais inévitable et que pour mettre fin aux hostilités le choix du "vainqueur de Verdun" lui semblait alors le plus judicieux.

Il n'est pas sûr que le choix du jusqu'au-boutiste Georges Mandel aurait été apprécié des autorités militaires françaises, et a fortiori des autorités allemandes avec qui il allait bien falloir négocier les conditions de l'armistice.

Roger le Cantalien. :rool:


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 Sujet du message : Re: La démission en politique
Message Publié : 29 Mai 2008 22:52 
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Philippe de Commines
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Je ne crois pas que le choix de Pétain se soit fait dans ces conditions... Lebrun, les présidents des chambres, Reynaud bien sûr, et une partie importante du cabinet étaient hostiles à l'armistice... et puisqu'on parle de "démission en politique" ici, celle de Reynaud est vraiment surprenante !!!

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 Sujet du message : Re: La démission en politique
Message Publié : 31 Mai 2008 10:19 
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Polybe
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Bonjour Liber Censualis, lol

Pourquoi Paul Reynaud a-t-il démissionné au soir du 16 juin 1940 ? Eh bien, tout simplement parce qu'il a craqué nerveusement, la pression des énormes responsabilités qui pesaient sur ses seules épaules, en ce jour dramatique du 16 juin 1940 (peut-être le jour le plus dramatique de toute l'histoire de France) a été si forte qu'il a préféré se décharger du fardeau devenu trop lourd pour lui.

Anthony Drexel-Biddle, ambassadeur des États-Unis à Bordeaux, rencontre Paul Reynaud à 19h30 ce 16 juin 1940. Il est frappé par le changement de l'aspect physique du Président du Conseil français : « Il était devenu littéralement gris de panique, et quelqu'un qui l'aurait vu deux semaines auparavant, ne l'aurait pas reconnu. »

Philippe Pétain a-t-il joué le double jeu avant l'armistice ? Pas du tout, tous les membres du gouvernement français, le Président de la République Albert Lebrun, le Président du Sénat Jules Jeanneney et le Président de la Chambre des Députés Édouard Herriot savaient tous que si le Maréchal Pétain obtenait la présidence du Conseil, son premier geste serait de demander l'armistice.

D'ailleurs, il n'était pas le seul à le souhaiter. Paul Reynaud a déclaré ceci, à propos de sa démission, lors du procès du Maréchal Pétain en 1945 : « Je me suis trouvé en face de cette situation : les deux Vice-Président du Conseil (Philippe Pétain et Camille Chautemps) et un grand nombre de ministres hostiles à la continuation de la guerre… On a discuté depuis, la question de savoir s'il y avait, ou s'il n'y avait pas de majorité en faveur de l'armistice. Le Président de la République était convaincu qu'il y avait majorité. Comme vous le savez, on ne compte pas les voix au Conseil des ministres. De mon point de vue à moi, cela n'avait aucune importance, car un gouvernement homogène, qui a une voix de majorité à la Chambre, peut gouverner ; mais un chef de gouvernement qui, sur une question vitale, a contre lui ses deux Vice-Présidents et un grand nombre de ministres, ne peut pas gouverner. Il doit démissionner et refaire un gouvernement s'il en est chargé. »

Roger le Cantalien. :rool:


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 Sujet du message : Re: La démission en politique
Message Publié : 31 Mai 2008 11:12 
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Philippe de Commines
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Dans sa biographie, Thibault TELLIER dit que Reynaud aurait pu bénéficier d'un réel soutien de l'opinion s'il avait eu la force morale de tout faire pour poursuivre la lutte. C'est pour cela que, ayant lu cette bio, avec tout ce qui y est écrit concernant la force de carractère de Reynaud, je m'étonne qu'il ait démissionné (d'autant que les chambres mises en sommeil ne pouvaient géner son action).

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Message Publié : 31 Mai 2008 18:45 
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Polybe
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Liber censualis a écrit :
(…) concernant la force de caractère de Reynaud, je m'étonne qu'il ait démissionné (d'autant que les chambres mises en sommeil ne pouvaient gêner son action).

Bonjour Liber Censualis, lol

Les chambres étaient peut-être mises en sommeil, mais leurs deux Présidents, Jules Jeanneney pour le Sénat, et Edouard Herriot pour la Chambre des Députés, étaient omniprésents à la préfecture de Bordeaux en ces jours décisifs de la mi-juin 1940 autour d'Albert Lebrun, le Président de la République, et de Paul Reynaud, le Président du Conseil.

Jules Jeanneney, le Président du Sénat, a évoqué dans son "Journal Politique - septembre 1939 -juillet 1942" retrouve et publié par son petit-fils, Jean-Noël Jeanneney, en 1972, à la librairie Armand Colin, cette journée dramatique du dimanche 16 juin 1940 qui occupe pas moins de cinq pages de ce "journal" !…

En voici un extrait :
« 19H30 : Herriot dîne avec nous et mon fils Noël. Nous avons été convoqés pour 21 heures par Lebrun, rue Vital-Carle. Nous nous y rendons ensemble.

Paul Reynaud s'y trouve. Il expose qu'à la dernière réunion du Conseil des Ministres, l'idée d'interroger l'Allemagne sur ses conditions d'armistice, sinon de paix, a pris corps. Une fraction importante du Cabinet, les militaires en tête, en sont partisans chaleureux. Parmi les civils, Pomaret, Ybarnégaray, Chautemps sont les plus empressés à suivre. Bien que la décision n'ait pas été prise, elle risque de prévaloir. Elle n'a pas été mise aux voix. Au Conseil, en effet, une préoccupation dominante est de ne jamais faire apparaître les désaccords. On parle sans fin, puis on omet sans relâche de conclure. Lebrun s'en dit consterné, mais omet de réagir (sait-il que ce serait son devoir ?). Reynaud rappelle que, cédant au courant, il avait engagé conversation avec Churchill sur les moyens d'envisager honorablement une paix séparée, au cas où on y serait acculé. La formule qu'il avait présentée d'abord n'avait pu être accueillie. Churchill vient d'en soumettre une nouvelle(mise en commun intégrale des ressources). Reynaud va la soumettre au Conseil. Si elle n'est pas acceptée et si le Conseil estime que l'on doit, au moins à titre de renseignement, consulter les Allemands sur leurs intentions, il ne consentira pas à se charger de cette mission, car elle contredit tout ce qu'il a fait et dit jusqu'ici. Il se retirera. Il ne met pas en doute que, lorsque l'Allemagne aurait fait connaître ses conditions, il s'ensuivrait contre elle une telle réprobation dans le pays que la volonté de résistance s'en trouverait rétablie chez les hésitants. Il lui paraît "tactique" de subir cette interrogation, si le Conseil en est d'avis. Mais il répète avec force qu'il s'interdit cela quant à lui. C'est un "abcès à crever" peut-être. Mais l'opération, ce n'est pas lui qui la fera. Non et non !

Herriot et moi, nous nous trouvons, cette fois encore d'accord. Nous formulons l'espoir que le Conseil renoncera à interroger l'Allemagne et s'emploiera uniquement à renforcer la collaboration anglaise. Nous admettons de même et sans hésitation, que si le Conseil est d'un autre sentiment, Paul Reynaud ne pourra assurément que démissionner.

J'insiste auprès de Reynaud. Il doit faire l'effort maximum pour arrêter le Conseil sur la pente mauvaise. Qu'il se garde de croire que ce puisse être une bonne tactique que de pressentir l'Allemagne. Ce serait détendre inévitablement le ressort de la résistance et - j'insiste sur ce mot - "couper le jarret au pays". Gare. Je l'en conjure…

Un Conseil des Ministres doit être tenu à 22 heures dans la salle même où notre entretien s'est poursuivi. Cette heure approche. Il faut conclure. Lebrun demande : « Si le Conseil impose la consultation et que, comme il se conçoit, Reynaud la refuse… qui ? » Herriot et moi répondons ensemble : « Reynaud ». Lebrun dit : « Reynaud, oui… Mais si ce n'est pas possible… Pétain ? (et d'un geste désolé et las) Pétain ! ». Lebrun ajoute : « Pétain a dit ouvertement : J'ai mon cabinet là, dans ma poche, tout prêt. » Les apparences sont en effet pour cela. On s'est beaucoup agité autour du Maréchal ces jours derniers…

Quant à nous, Herriot et moi, nous nous en tenons à : « Reynaud » - et sortons.

La salle qui précède celle du Conseil est pleine de ministres en attente. Je la franchis, à dessein, sans faire plus que serrer quelques mains et monte en voiture, sans attendre Herriot, pour rentrer rue Castejas.
»

Voilà le témoignage de première main du dernier Président du Sénat de la Troisième République.

Roger le Cantalien. :rool:


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Message Publié : 31 Mai 2008 22:25 
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Philippe de Commines
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L'attitude de Reynaud est effectivement énigmatique : pourquoi cet homme partisan déclaré de continuer la lutte, s'est-il entouré simultanément de défaitistes (comme Pétain ou Weygand) et de "jusqu'au-boutistes" (comme de Gaulle, Mandel ou Campincchi)... Qui plus est, il semble à l'origine de la nomination de Pétain par Lebrun, lui-même incapable de sortir du simple jeu parlementaire, comme l'auraient exigé les circonstances. L'avènement de Pétain ne s'imposait pas.

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 Sujet du message : Re: La démission en politique
Message Publié : 01 Juin 2008 2:08 
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Marc Bloch
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Liber censualis a écrit :
Dans sa biographie, Thibault TELLIER dit que Reynaud aurait pu bénéficier d'un réel soutien de l'opinion s'il avait eu la force morale de tout faire pour poursuivre la lutte. C'est pour cela que, ayant lu cette bio, avec tout ce qui y est écrit concernant la force de carractère de Reynaud, je m'étonne qu'il ait démissionné (d'autant que les chambres mises en sommeil ne pouvaient géner son action).


Que signifie "réel soutien de l'opinion " quand le pays est envahi aux deux tiers , ou presque, que un million d'hommes sont prisonniers et que des millions de personnes ont quitté leur domicile et errent sur les routes ? Poursuivre la lutte avec quoi ? Il n'y avait guère qu'un repli en A.F.N., pays vide d'industrie et de ressources.
Il faudrait quand même sortir de sa bulle et éviter de pérorer comme dans une conversation mondaine.

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Message Publié : 01 Juin 2008 2:19 
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Philippe de Commines
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De toute façon, le sujet de ce fil n'est pas de savoir si on aurait pu ou dû continuer la lutte ou pas, ni non plus de disserter au sujet de l'étendue de la raclée reçue ; il s'agissait, comme roger15 l'avait exposé, d'aborder le problème institutionnel posé en juin 1940 et après la Libération par le cas d'Albert Lebrun, qui n'avait pas démissionné en 40, et était formellement toujours en activité en 44.

Mais puisque hors sujet il y a, je vais en profiter pour y ajouter une remarque.
C'est vrai que quand j'ai appris à l'école que la France avait subi une débâcle en juin 40, j'en ai été fort contrarié, et j'ai probablement passé bon nombre de rêveries à échafauder des scénarios d'enfant à l'issue desquels l'armée française était finalement victorieuse des allemands, sans avoir besoin de l'aide de ses alliés...

Mais bon, la raclée, c'est la raclée, je ne vois pas comment la France aurait pu espérer quoi que ce soit à continuer, à part davantage encore de morts. C'est vrai que le gouvernement et la chambre s'exilant comme un seul homme à Londres, ça aurait eu de la gueule, mais on n'est déjà plus dans le militaire, et c'est une autre histoire...

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 Sujet du message : Re: La démission en politique
Message Publié : 01 Juin 2008 8:35 
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Philippe de Commines
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Citer :
Il faudrait quand même sortir de sa bulle et éviter de pérorer comme dans une conversation mondaine.

Vous ètes décidément fort sympathique M Faget... et toujours plein de bon sens.

A quoi a servi l'armistice ? qu'en est-il sorti de bon pour les français ?? j'attends votre leçon d'histoire avec l'humilité qu'elle requiert.

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Message Publié : 01 Juin 2008 8:51 
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Localisation : Lorraine
Il y a une bonne dizaine de sujets tournant autour des conditions de l'armistice, des possibilités ou pas de poursuivre le combat, dans le forum "2ème GM". Merci d'éviter de dévier cette discussion portant sur un problème constitutionnel.

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Message Publié : 01 Juin 2008 10:17 
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Polybe
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Localisation : Maurs-la-Jolie (Sud-Ouest du Cantal)
Bonjour Madame Plantin-Moretus, lol

Merci pour votre recadrage : en effet, il ne s'agit pas dans ce "topic" de disserter sur le fait s'il fallait ou non signer les deux armistices fin juin 1940 avec l'Allemagne et avec l'Italie, mais du refus du général Charles de Gaulle (Président du GPRF, Gouvernement Provisoire de la République Française) à l'automne 1944 de reconnaître que c'était bien Albert Lebrun le Chef de l'État constitutionnel de la France, qui n'avait pas démissionné de ses fonctions de Président de la République française le 12 juillet 1940, mais avait été "remplacé" par le Maréchal PhilippePétain, Chef de "l'État Français".

Le refus du général de Gaulle était-il constitutionnel oui ou non ?

Roger le Cantalien. :rool:

- 1er PS : pour nourrir votre réflexion, voici ce qu'Albert Lebrun a déclaré en 1945 lors du procès du Maréchal pétain : « Le lendemain je reçois la visite du Maréchal Pétain. Je le revois toujours entrant dans mon cabinet. Monsieur le Président, me dit-il, le moment pénible est arrivé ; vous avez toujours bien servi le pays. L'Assemblée Nationale a créé une situation nouvelle. D'ailleurs je ne suis pas votre successeur ; un nouveau régime commence. »
(voir : http://www.avocats.fr/space/gilles.deve ... 3F0E930149 ).

- 2ème PS : pour avoir le texte précis des "lois constitutionnelles" de "l'État Français", voir le lien Internet : http://mjp.univ-perp.fr/france/co1940.htm#1


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