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Message Publié : 14 Fév 2009 21:57 
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Georges Duby
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Inscription : 27 Juil 2007 15:02
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Localisation : Montrouge
Depuis déjà quelque temps, un désenchantement du politique peut être observé aussi bien dans les médias de plus en plus critiques que dans les conversations particulières. L' histoire récente en porte témoignage depuis l'entre-deux guerres. Les institutions ne sont plus respectées et les hommes et femmes politiques peuvent être méprisés à l'exception des élus proches que l'on connait. Triste spectacle car il s'agit de la République et de la démocratie! Quelles sont les causes de ce discrédit ? Peut-on y remédier ? De Gaulle s'y était essayé en changeant les règles !

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Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.


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Message Publié : 14 Fév 2009 22:43 
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Plutarque
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Inscription : 24 Août 2008 16:03
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Localisation : Le Mans
Bonsoir,

voilà un sujet très risqué ! Mais tentons de le poursuivre en respectant la limite chronologique du forum. Je propose une référence bibliographique : Michel Henry, Du communisme au capitalisme. Théorie d'une catastrophe, 1990, Odile Jacob (rééd. 2008, L'âge d'homme), et plus précisément le chapitre VIII intitulé "La mort et le politique". Si d'autres forumeurs sont des lecteurs d'Henry (et il y en a :mrgreen: ), peut-être pourront-ils proposer une synthèse de ce chapitre. Je n'ai pas vraiment le loisir de m'y atteler ces temps-ci. Mais sans doute avez-vous la possibilité de consulter cet ouvrage, alain.g (qui doit se trouver dans toutes les bonnes bibliothèques municipales ) ? En tous les cas, je pense que ce chapitre permet de proposer une réponse - qui n'est sans doute pas la seule - mais qui est probablement l'une des plus fondamentales à la question que vous posez !
En espérant que la tenue du fil permettra sa longévité car cette question est tout à fait judicieuse... et au plaisir de lire la suite !

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Message Publié : 14 Fév 2009 22:54 
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Pierre de L'Estoile
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Inscription : 23 Mars 2005 10:34
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Localisation : Nanterre
D'abord, il faut partir de faits.
Les diatribes sur les politiciens "tous pourris" sont aussi vieilles que la politique. Et celles contre "ces jeunes qui ne respectent rien", que l'écriture elle-même. lol
Ensuite, où voit-on un désenchantement ? La participations aux élections récente est-elle problématique ? Qu'entendez-vous par "les hommes et les femmes politiques peuvent être méprisés" ?

Pour comparer, voici une représentation respectueuse de Louis XVIII du vivant de celui-ci. :wink:
Image

Donc, avant de vous interroger sur le grand chambardement, pourriez-vous donner quelques détails ?

Alain.g a écrit :
De Gaulle s'y était essayé en changeant les règles !
Cet exemple assez intéressant : j'ai lu récemment un article (dans La Politisation, de J. Lagroye) universitaire démontant point par point le discours de légitimation gaulliste contre la IVe république : la France de 58 n'était pas devenue ingouvernable, la participation n'était pas négligeable, les sondages d'opinion n'étaient pas défavorables au régime et la modification de la Constitution n'a pas été effectuée dans l'indifférence générale.

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Qui contrôle le passé contrôle l'avenir.
George Orwell


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Message Publié : 14 Fév 2009 23:45 
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Plutarque
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Inscription : 30 Juil 2008 0:28
Message(s) : 153
Pour ma part je pense que ce désenchantement est du au fait que les gouvernements qui se sont succédés n'ont pas réussi à résoudre les problèmes français, et je dis cela sans aucune opinion politique, cela vaut pour la droite comme pour la gauche. Les français considèrent que la classe politique ne peut rien faire pour améliorer leur vie. Ils n'ont plus aucune confiance en eux et chaque réforme est accueillie avec un mauvais a priori. De plus, cela est agravé par des attitudes quelques fois à la limite de la légalité de certains de nos politiques. Un remède serait un renouvellement profond de la classe politique. Il faudrait des jeunes, des gens plus proches du peuple, qui ont des idées concrêtes et réalisables. Mais bon ce sujet est en effet très risqué car on en viendrait à déborder sur un débat politique que l'on ne peut admettre sur un forum d'histoire.

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"Mourir n'est rien mais vivre vaincu c'est comme mourir tous les jours" Napoléon Bonaparte


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Message Publié : 14 Fév 2009 23:46 
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Georges Duby
Georges Duby
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Inscription : 27 Juil 2007 15:02
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Localisation : Montrouge
Nebuchadnezar a écrit :
Qu'entendez-vous par "les hommes et les femmes politiques peuvent être méprisés" ?
Le discrédit du politique est profond dans notre pays, il y a des sondages en ce sens, on n'y croit pas, pas d'efficacité, moralité suspectée, mais ce qui est frappant c'est de constater qu'il va jusqu'au mépris des parlementaires, collectivement et individuellement. Or, j'ai connu une quarantaine de parlementaires, tous sauf un, étaient honnêtes et obsédés par l'idée d'aider leur département et leur circonscription plus particulièrement, s'y consacrant 60 heures par semaine!
Bizarre de constater que les gens respectent plus les personnes qui réussissent par exemple sans faire "aucun cadeau à personne" que les élus qu'ils choisissent et qui se dévouent pour eux. Tapie a même été populaire, lui dont le métier était le dépeçage des entreprises en difficulté ??

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Message Publié : 15 Fév 2009 0:37 
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Pierre de L'Estoile
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Inscription : 23 Mars 2005 10:34
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Localisation : Nanterre
Alain.g a écrit :
Le discrédit du politique est profond dans notre pays, il y a des sondages en ce sens, on n'y croit pas, pas d'efficacité, moralité suspectée, mais ce qui est frappant c'est de constater qu'il va jusqu'au mépris des parlementaires, collectivement et individuellement.

Encore une fois : avec quelle époque comparez-vous ?

Citer :
Or, j'ai connu une quarantaine de parlementaires, tous sauf un, étaient honnêtes et obsédés par l'idée d'aider leur département et leur circonscription plus particulièrement, s'y consacrant 60 heures par semaine!
Et c'est tout à leur honneur. Mais ne touchez-vous pas du doigt une des données du problème : le clivage entre les niveaux politiques locaux et nationaux ?
D'une part, on voit des élus locaux condamnés pour abus de bien sociaux se faire réélire grâce à leur implantation locale.
De l'autre, il est souvent reproché aux parlementaires de polluer le travail législatif, qui concerne l'ensemble de la nation, par la défense de leurs intérêts locaux. Parallèlement, leur absentéisme est stigmatisé, alors que leurs électeurs sont ravis de les trouver dans leur permanence.

Citer :
Bizarre de constater que les gens respectent plus les personnes qui réussissent par exemple sans faire "aucun cadeau à personne" que les élus qu'ils choisissent et qui se dévouent pour eux. Tapie a même été populaire, lui dont le métier était le dépeçage des entreprises en difficulté ??
Le cas Tapie s'inscrit dans le climat particulier des années 80 et de la fascination pour les golden boys à la française, qui n'a pas duré. Récemment encore, il était reproché aux Français de trop admirer les perdants (Poulidor...).

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Message Publié : 15 Fév 2009 3:15 
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Philippe de Commines
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Inscription : 05 Jan 2008 16:29
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Localisation : France
Je ne peux qu'abonder dans votre sens, à part peut-être au sujet de Tapie. Il me semble que son succès allait au delà de la fascination pour les apparentes grandes réussites d'argent. L'homme avait (a) un charisme exceptionnel soutenu par une volonté de fer, et de plus, souvenez-vous, il était à peu près le seul à savoir clouer le bec de Le Pen en débat.

Pour le reste, je n'ai pas l'impression que le désanchantement envers la politique, s'il existe, soit en train de s'aggraver. L'engouement et la participation aux élections toutes récentes de 2007 indiqueraient plutôt le contraire.

Sur le fond, cette attitude de surveillance des "élites", de défiance envers elles, d'exigence et de jugement permanent et instantané, qui s'exerce envers non seulement les dirigeants politiques, mais également envers toute forme d'autorité (politique, intellectuelle, morale, juridique, etc...) et par extension envers toute la société, semble être une évolution de la démocratie vers ce que Pierre Rosanvallon appelle la Contre Démocratie. La thèse de Rosanvallon peut sembler annoncer les prémisses d'un totalitarisme d'un genre nouveau, une sorte de "totalitarisme démocratique et citoyen" dans lequel, pour schématiser à outrance, le contrôle et la défiance exercés en permanence par le corps social entraînent l'imposition d'une norme sociale étouffante et liberticide, ainsi que l'impossibilité d'agir. Dit autrement, la tension saine inhérente à la démocratie libérale est pervertie et devient un instrument totalitaire.

C'est un sujet de débat en soi, tout à fait stimulant...

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Les facultés de conceptualisation de l'empereur Constantin paraissent avoir été très limitées ; malgré de longues séances, les évêques ne semblent pas avoir réussi à lui faire bien comprendre la différence qui séparait l'orthodoxie de l'arianisme. (Y. Le Bohec)

Bref, un homme "au front étroit mais à la forte mâchoire" (J.P. Callu)


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Message Publié : 15 Fév 2009 8:15 
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Salluste
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Localisation : Paris
A l'instar de Nebuchadnezar, je ne saisis pas bien l'expression de désenchantement du politique. Ca me fait penser au désenchantement du monde de Max Weber (et plus récemment de Marcel Gauchet), donc à une définition religieuse (le dépérissement de la croyance et de la magie comme moyens d'expliquer le monde) ; appliquer au politique, ça signifierait donc la fin du politique divin, irrationnel, auquel on croit comme on croit aux astres ou au Paradis et à l'Enfer. Or, ce politique-là ne me semble jamais avoir existé. Même si le dirigeant politique a pu se prendre littéralement pour un dieu (ou l'action politique pour divine) à différents moments de l'histoire (de Pharaon au "culte" de la révolution française et de l'être suprême, avec toutes les nuances propres à chaque époque), je ne crois pas qu'on puisse parler de croyance et de foi pour autant.

Mais enfin, si l'on parle de façon plus profane de "crise" du politique (de la fin de la "foi" en l'action politique, au sens figuré), quelques remarques me viennent, liées aux différents niveaux de l'action politique : il me semble qu'il y a comme une atomisation de la "foi politique". Auparavant, on plaçait ses espoirs (ses "croyances") au plus haut niveau de l'action politique, celui de l'État, voire du supranational. On ne voyait l'intérêt général qu'au niveau le plus général justement. Maintenant, on voit les possibilités d'action politique à un niveau plus local, celui de la région, de la ville, voire du quartier. C'est ce que montre l'explosion des conflits de type Nimby (Not In My Backyard, "pas dans mon arrière-cour"), des associations de défense ou de promotion de ceci ou cela, etc. L'intérêt général est particularisé, si j'ose dire, mis en balance avec l'intérêt particulier, ce qui oblige à une concertation bien plus grande avant chaque mesure, avant chaque initiative politique. Mais est-ce une "fin du politique" ou une crise du politique, ou au contraire son raffinement, sa précision qui augmente ? Une démocratisation du politique (on doit prendre en compte l'avis de tout à chacun, on ne peut plus imposer à tous une mesure décidée "en haut" sans discussion) ?

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Message Publié : 15 Fév 2009 10:43 
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Plutarque
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Inscription : 24 Août 2008 16:03
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Localisation : Le Mans
A défaut de proposer une synthèse du chapitre que j'évoquais hier soir, voilà la présentation de l'ouvrage de Michel Henry, sur le site officiel qui lui est consacré. (NB : étant donné que la pensée d'Henry est complexe, pour une meilleure compréhension, j'ai copié tout le texte et ai juste signalé entre crochet le moment ou le résumé correspond au chapitre VIII).

http://www.michelhenry.com/ducommunisme.htm a écrit :
Du communisme au capitalisme, O. Jacob, 1990

L’effondrement des régimes dits socialistes ne fournit ici que le point de départ de l’analyse, aujourd’hui prophétique, des raisons métahistoriques de la crise qui est vouée à frapper durablement l’économie mondiale. Fort de sa grande étude sur Marx, M.H. dénonce la faillite de tout régime qui contrevient aux lois de la vie, c’est-à-dire de l’individu. Au-delà de la géoéconomie, il s’interroge sur le destin de l’homme dont est niée la réalisation et finalement la valeur. Le but de cet essai ne réside nullement dans une dénonciation historique ponctuelle, il désigne sur un tout autre plan une aporie à valeur générale, celle qui est au principe de la société, de l’économie, du politique – ces idéalités inévitables, ces grandes abstractions qui cachent et souvent écrasent la réalité de l’individu.

L’introduction expose le thème de l’essai : l’origine identique, en dépit des différences politiques, de l’échec des régimes de l’Est dû à une organisation rationnelle de l’activité humaine qui a abaissé l’individu et de celui, imminent, du libéralisme fondé à des fins de profit sur la force de travail, car il a lui aussi remplacé progressivement l’individu par un système d’abstractions : valeur, capital, intérêt etc. Des deux côtés, ce sont des lois mortifères qui régissent le monde.

Les chapitres I à IV se consacrent dans cette perspective à l’analyse du communisme. Marx avait désigné le travail vivant, sa force individuelle, comme origine de l’activité humaine – réflexion thématisée par M.H. in Marx II. L’individu crée l’économie parce que, submergé par son besoin, il oeuvre spontanément à satisfaire son malaise, faim, froid, douleur, et participe ainsi à l’engendrement continu de la vie. Or il est contre nature de prétendre régir intellectuellement cette relation du besoin au travail. Certes l’individu n’est jamais seul, toute société est société de production et de consommation. Mais, à l’inverse des idées de Marx, les régimes communistes se sont construits sur une idéologie à base d’abstractions, Société, Histoire, Classe, substituant à la société réelle, faite d’individus réels, une société abstraite, au mépris de la réalité spécifique des individus considérés comme de simples produits de la société. Avec ce résultat, les lois, la planification ne produisent rien et le besoin se satisfait grâce au pillage, au trafic, à la violence d’une partie des individus qui lèsent ceux qui travaillent encore. La vie ne se maintient que sous une forme sauvage, aveugle.
Il s’est institué un régime policier fondé sur le ressentiment, la dénonciation, en vertu de l’idée que tout individu se définit par sa classe d’origine. L’histoire est devenue celle de la lutte des classes, notion dont se moquait Marx. Au nom de ce racisme social ont été liquidées des couches entières de la population. Ne demeurent que les droits théoriques d’une classe misérable et impuissante, livrée à la niaiserie intellectuelle et morale.
Or le fascisme n’est rien d’autre qu’une doctrine qui procède à l’abaissement de l’individu de façon que sa suppression apparaisse légitime, c’est-à-dire que tout fascisme contracte un lien essentiel avec la mort. En frappant sa victime, le bourreau fasciste veut anéantir sa singularité et cela pour amener la vie à se nier elle-même. En éliminant des classes, le régime communiste a donc nié « la densité ontologique de l’individu » (M.H.), contrevenant au principe d’égalité de la condition métaphysique de l’individu engendré dans la vie comme un Soi absolu. Abaissement qui entraîne la ruine de la société.

Que se passe-t-il d’autre part dans les régimes capitalistes qui semblent positifs, permettant le libre accroissement de l’action, le dépassement de soi ? Car ce que nous appelons le monde n’est que l’effet de la praxis qui le transforme et l’univers économique est coextensif à l’histoire de cette transformation : le capitalisme fait fond sur la force de travail des individus capables de produire plus qu’ils ne consomment.
Il y a toutefois à la base du système une double dénaturation. La première vient d’une impossibilité principielle, la rémunération adéquate du produit du travail, car l’investissement subjectif dans une besogne donnée, sa pénibilité, varie selon les individus, c’est-à-dire que cette force de travail échappe à toute évaluation. Aporie analysée par M.H. dans Marx II. D’autre part, le troc d’antan a été remplacé par un équivalent objectif abstrait, l’argent, valeur d’échange à l’état pur, idéalité économique qui permet la dissimulation d’une inégalité : dans l’échange du capital investi dans le production pour rémunérer le travail, le capitalisme tire sa richesse de l’exploitation, non payée et inavouée d’un sur-travail, source réelle de la plus-value, tout le processus économique reposant sur le travail. La vie des individus ne sert qu’à produire de l’argent, elle est éliminée au profit du développement illimité de la productivité. Or produire de l’argent, est démettre le procès réel de sa finalité vitale.
De plus la subversion actuelle vient de la mutation structurale de la production sous l’effet de la technique. Le procès économique est enrayé, il y a pléthore de biens, sans argent pour les acheter. D’où chômage, paupérisation, énergie inemployée génératrice d’angoisse. Le capitalisme qui a perdu sa référence majeure à la vie entre dès lors dans une crise permanente.
L’élimination de fait de l’individu vivant dans le système techno capitaliste rejoint ainsi la négation théorique de cet individu dans les régimes marxistes où elle détermine une conception du politique qui se retrouve dans les démocraties occidentales. Comme l’économique, le politique ne constitue qu’un double irréel de l’organisation spontanée qui lie entre eux les individus. Son acte fondateur repose sur l’objectivation d’intérêts estimés collectifs. Or l’affaire de tous est une idéalité. Ce caractère référentiel prive le politique d’une autonomie de principe. Le marxisme a occulté à double titre le sens fondateur de la vie : parce qu’il résorbe l’individu dans sa classe sociale et qu’il ne comprend la réalité que comme économique. Il y parvient d’autant mieux que pour lui l’individu n’est rien. Le seul moyen pour celui-ci de surmonter son insignifiance est d’acquérir un pouvoir dans le politique.

[Chapitre VIII] Dès que le politique passe pour l’essentiel, le totalitarisme, conséquence de l’hypostase de celui-ci, menace tout régime concevable. Le politique contient en effet ce qui s’actualise dans la révolution, moment où dans l’histoire s’ouvre une ère proprement politique, le concept chéri de « peuple » ayant la même vacuité ontologique que celui de « classe ». Comme il est impossible à tous les individus de gouverner, la démocratie leur a substitué des délégués et devient l’affaire de quelques uns, hypocrisie qui est le fait de tout régime. Seconde perversion, l’affaire générale – urbanisme, irrigation, enseignement, transports, justice etc. – relève non de spécialistes mais de l’incompétence du politique, incompétence qui culmine dans l’administration qu’il met en place. Le préjudice que le politique inflige à la vie est le même en tout régime, c’est la dénaturation de tout ce qui est vivant. La catastrophe est donc celle d’une double aporie.

La vie est ainsi refoulée de toute part. D’un côté le communisme est un rationalisme radical, le Plan est aux commandes. De l’autre un procès de production purement technique va faire qu’il n’y aura plus ni travailleurs ni salaires. Le rendez-vous fabuleux du communisme avec la démocratie ne serait-il pas celui de Samarcande, dans le conte célèbre, celui d’un vivant qui fuit aux antipodes la Mort, qui l’attend justement là ? Et pourtant, dit M.H., la Vie est la vraie Raison, qui sait ce qu’il faut faire et qui est le vrai fondement de l’éthique.

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Message Publié : 15 Fév 2009 11:15 
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Pierre de L'Estoile
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Merci, Tristan Hylar, pour cette synthèse.

J'ai l'impression que si socialisme et capitalisme, dans leurs formes exacerbées, ont pu nier l'individu, c'est à cause de leur prétention à pouvoir apporter le bien commun, à terme. De ce côté-là, ils se rattachent à des systèmes religieux, qu'ils ont en général remplacés.

Et donc, leur délégitimation, qui entraîne la croyance - diffuse, non encore traduite dans des faits réels - que la politique "nationale" ou globale (construction européenne) ne mène à rien, puisque les grands mouvements révolutionnaires ou réformateurs ne s'expriment plus, vient du recul de la pratique religieuse des dernières années.

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Message Publié : 15 Fév 2009 11:35 
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Salluste
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Inscription : 12 Avr 2008 10:34
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Localisation : Paris
Nebuchadnezar a écrit :
J'ai l'impression que si socialisme et capitalisme, dans leurs formes exacerbées, ont pu nier l'individu, c'est à cause de leur prétention à pouvoir apporter le bien commun, à terme.

Leur prétention par rapport à quel réalité ? Quelle serait l'alternative ? Vouloir apporter le mal ? L'objectif du bien commun est le seul objectif possible, non ?
Nebuchadnezar a écrit :
leur délégitimation, qui entraîne la croyance - diffuse, non encore traduite dans des faits réels - que la politique "nationale" ou globale (construction européenne) ne mène à rien, puisque les grands mouvements révolutionnaires ou réformateurs ne s'expriment plus, vient du recul de la pratique religieuse des dernières années.

D'ordinaire on considère plutôt l'inverse : plus la croyance de type religieuse recule, plus la "foi" politique augmente. En abandonnant la solution religieuse, on s'en remet à des principes terrestres, la société, le politique.

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Message Publié : 15 Fév 2009 12:24 
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Pierre de L'Estoile
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Inscription : 23 Mars 2005 10:34
Message(s) : 2298
Localisation : Nanterre
Shinji a écrit :
Leur prétention par rapport à quel réalité ? Quelle serait l'alternative ? Vouloir apporter le mal ? L'objectif du bien commun est le seul objectif possible, non ?
Tout est dans l'ambition et surtout, la place accordée à ceux qui pensent autrement.
Le système communiste prétendait modifier la société pour atteindre un état idyllique. De cette croyance découlait la volonté d'écraser l'individu afin de construire malgré lui un bonheur que ses vieilles croyances l'empêchaient de concevoir.

Citer :
D'ordinaire on considère plutôt l'inverse : plus la croyance de type religieuse recule, plus la "foi" politique augmente. En abandonnant la solution religieuse, on s'en remet à des principes terrestres, la société, le politique.
Précisément : la foi, pas la pratique. Au cours du XXe siècle, les régions qui abandonnaient la foi dans la religion la remplaçaient par celle dans des systèmes politiques fonctionnant de manière similaire.
De nos jours, le déclin général de la pratique religieuse est liée à celui des grands systèmes politiques.

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Message Publié : 15 Fév 2009 12:33 
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Plutarque
Plutarque

Inscription : 03 Mars 2008 20:02
Message(s) : 182
Pour alimenter vos réflexions, un article de Bernard Lacroix dans Scalpel, "La 'crise de la démocratie représentative en France'" : http://www.gap-nanterre.org/spip.php?article2

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"Pénétrer de présent la tradition elle-même: premier moyen de lui résister." (Lucien Febvre)


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Message Publié : 15 Fév 2009 15:59 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 18 Nov 2008 22:34
Message(s) : 638
Huyustus a écrit :
Pour le reste, je n'ai pas l'impression que le désanchantement envers la politique, s'il existe, soit en train de s'aggraver.
Le désenchantement ne serait-il pas envers ces Français bien au chaud qui entretiennent un climat de haine ?
Alain.g a écrit :
j'ai connu une quarantaine de parlementaires, tous sauf un, étaient honnêtes et obsédés par l'idée d'aider leur département et leur circonscription plus particulièrement, s'y consacrant 60 heures par semaine!

Ce temps consacré à jouer les assistantes sociales est pris sur celui de leur travail national. Ceux qui cumulent les mandats aggravent leur cas. Ceci dit, il est en effet injuste et trop facile de les dénigrer en bloc.


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Message Publié : 25 Fév 2009 12:01 
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Thucydide
Thucydide
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Inscription : 22 Mai 2008 19:34
Message(s) : 42
Localisation : Sainte-Marie-de-Ré
Alain.g a écrit :
Depuis déjà quelque temps, un désenchantement du politique peut être observé aussi bien dans les médias de plus en plus critiques que dans les conversations particulières. L' histoire récente en porte témoignage depuis l'entre-deux guerres. Les institutions ne sont plus respectées et les hommes et femmes politiques peuvent être méprisés à l'exception des élus proches que l'on connait. Triste spectacle car il s'agit de la République et de la démocratie! Quelles sont les causes de ce discrédit ? Peut-on y remédier ? De Gaulle s'y était essayé en changeant les règles !


Peut-être que c'est simplement la démocratie la cause : le mécontentement institutionnalisé, la violence organisée. La démocratie est peut-être vaseuse par nature.

La défiance vis à vis des institutions est peut-être elle aussi un réflexe démocratique. D'un certain point de vue, Paul Didier, le seul magistrat qui avait refusé de prêter serment à la personne du maréchal Pétain, avait peut-être fait preuve de défiance à l'encontre des institutions.


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