Mais -je vais dire quelque chose d'extraordinaire- Hitler était peut-être un magicien. La question, c'est : qu'est-ce que c'est qu'un magicien ? Quel est
exactement le pouvoir du magicien ? Ce n'est pas un hasard si Weber s'est aussi intéressé à la théorie de la magie.
Une première manière d'y répondre -et une réponse à zunkir par la même occasion- consiste à appréhender un autre concept central dans la pensée de Weber : Le
Beruf.
Le Beruf, c'est, à l'origine, un concept de Luther. "Rufen" signifie "appeler" en français, et on traduit généralement "Beruf" par "vocation".
Une autre élément essentiel du chef charismatique, c'est donc qu'il est
appelé, peut-être au sens propre (c'est en tous cas ce que disent les prophètes) : Il a entendu une voix. C'est donc typiquement le chef par
vocation. Cela implique deux choses :
D'abord, il possède en quelque sorte un "tempérament politique", il a cette capacité au commandement qui fait les "vrais" chefs, les chefs "naturels". (C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, à l'époque moderne, il est capable de s'imposer à la bureaucratie.)
Ensuite, ce qui le caractérise est une conviction absolue. Il possède un destin -du moins, comprenons-nous bien, il en est convaincu- et ce, avant même que qui que ce soit ne le connaisse ou lui reconnaisse un quelconque talent. Il a un rôle à jouer, une mission particulière, et qui,
en fait, ne dépend aucunement du bon vouloir de ses contemporains. Une autre erreur est de penser que le chef charismatique est
choisi par ses fidèles. Non, selon Weber, lui, il accomplit simplement son destin, et ce sont les autres qui, en quelque sorte, s'y rallient, le suivent et le
servent dans cet accomplissement. La magie du charisme, c'est qu'alors, tout succès est
vu , aux yeux du chef comme à ceux de ses fidèles, comme la confirmation de sa nature extraordinaire et de sa vocation. Et peut alors s'enclencher un cercle vertueux qui ne prend fin que lorsque les revers s'ammoncellent.
Je réponds donc à Zunkir que, dans le cas pur, le chef charismatique n'est pas paranoïaque. Il est au contraire d'une inébranlable conviction en sa destinée. Tout le "truc" est que c'est sans doute cette conviction qui entraîne la conviction des autres. Et plus cette convicton est forte, puissante, profonde, plus -peut-on penser- elle est "efficace".
Mais surtout, ne pas penser que le chef charismatique est dans une relation instrumentale avec cette capacité à convaincre autrui : Si c'était le cas, il ne serait pas convaincant, justement. En réalité, tout le monde sans doute, a pu en faire l'expérience : Ce sont justement les individus qui ne
cherchent pas particulièrement à convaincre, mais dont on sent qu'ils sont éminemment convaincus
eux-mêmes de ce qu'ils disent, qui sont les plus convaincants. Tous les formateurs en techniques de vente vous le diront : Le bon commercial, c'est celui qui est
véritablement persuadé que son produit est le meilleur.
Alors si le chef charismatique possède une qualité personnelle, c'est celle-là : Il est intimement, profondément convaincu d'avoir une mission à accomplir, un destin à réaliser. Seulement, cette conviction à elle seule, ne suffit pas, tous ne sont pas suivis pour autant. Il y faut sans doute aussi certaines conditions, par exemple des circonstances socio-historiques particulières. Pour un Hitler qui relève l'Allemagne, une Jeanne d'Arc qui libère une France épuisée, un Socrate qui réforme la pensée grecque décadente, un Bonaparte qui profite de la Révolution et conquiert l'Europe, le monde est plein de simples psycho-rigides ou de vrais illuminés qui entendent des voix, mais qui n'ont pas rencontré d'écho.