Cuchlainn a écrit :
Par conséquent, je rejoins totalement Bergame sur la nécessité impérieuse de dresser un mur (légal) entre ce qui relève de l'expression citoyenne et du remonter d'information, et les diverses méthodes de persuasion d'efficacité proportionnelle au budget dépensé en "contreparties avantageuses du fait de se ranger à tel avis", même faites de manière transparente.
Ce que vous appelez transparence totale revient à voir chaque membre de "l'élite" se vendre au plus offrant, de manière notoire et officielle, et la situation des réformes de santé aux US le prouve : impossible de débattre de l'intérêt général, il y a beau temps que chaque élu est "affrété" par un privé pour en défendre l'intérêt.
Je vais vous donner deux exemples personnels pour bien vous faire comprendre qu'il est impossible d'interdire le lobbying.
J'ai été arbitre de foot pendant 8 ans. J'ai surtout officié chez les jeunes et dans les plus basses divisions départementales. Il faut bien commencer. Dans de nombreux clubs, un dirigeant venait accueillir l'arbitre que j'étais pour lui indiquer ou se trouvait le vestiaire réservé, pour régler les divers points qu'il fallait éclaircir avant la partie. Je recevais d'ailleurs les 2 entraineurs, à mon niveau, il y avait rarement un dirigeant (en fait, c'est l'entraineur qui était aussi le dirigeant de l'équipe) et je voyais très rarement un président de club ....
Quelques fois, j'ai eu affaire à des dirigeants soucieux de me montrer leurs équipes, ou leur travail sous un jour très favorable. Je me rappelle spécialement dd'un gars : "Vous savez, il faut s'occuper des jeunes, autrement ils sont dans la rue.", "Nous avons débuté l'année dernière, il n'y avait pas de club au village. Mais, c'est pas simple. ..." Bref, tout un laïus pour me convaincre que faire perdre son équipe serait pas bien. Comme si un arbitre avait un tel pouvoir. En fait, il faisait un boulot de lobbying. Malgré que je les trouvais assez sympas (ses joueurs, pas lui qui avait tendance à m'énerver un peu), ils ont perdu. Certains, ici, diront à juste titre que ce n'était pas de l'argent public qui était en jeu, mais, il s'agit juste d'un exemple. Et à de plus hauts niveaux, la communication, moi je dit le lobbying, ce fait avec de plus gros moyens.
Maintenant, je dois vous avoue que je fais la même chose, je fais aussi du lobbying. Je suis président d'un club qui regroupe des activités culturelles et artistiques. 2 ou 3 fois par an, je rencontre le maire. Un peu plus souvent, je rencontre un des adjoints au maire, et comme mes autres collègues présidents d'association, on en vient à parler des soucis de nos associations. En fait, mon association aurait besoin d'une salle de spectacle pour des pièces de théâtre ou des séances de cinéma, une salle de 100-150 places au lieu de la grande salle des fêtes de 800 places dans laquelle le son est déplorable.
Lors de l'Assemblée Générale Annuelle, j'invite le maire, comme il est d'usage et il vient environ 1 année sur 2. Et à la fin, on discute autour du verre de l'amitié (eh oui, on ne dit plus vin d'honneur ....). Et bien entendu, il pose rituellement la question de connaitre nos besoins et on lui parle de la salle de spectacle, puis aussi de l'atelier pour les céramistes qui est très limite vis-à-vis des normes et de l'atelier de modélisme qui se trouve au sous-sol de la salle des fêtes. Le maire écoute nos arguments et dit qu'il va les prendre en compte. Bien entendu, comme je suis un gars bien, sauf pour certains, je ne fais pas de cadeaux (et comme ce serait au dépend des finances de notre association, on préfère garder les sous pour ne pas augmenter nos cotisations).
Mais, si j'étais le président du club de foot, le maire m'écouterais mieux : le club de foot doit représenter environ 300 électeurs, sur une population totale de 2500 habitants. Et ça pèse. Donc, quand le président du club de foot demande un nouveau terrain qui correspond aux demandes de la fédération pour un club de division supérieure parce qu'il vise la montée, le maire dit qu'il va voir ce qu'il peut faire et l'année suivante le nouveau terrain est opérationnel.
Et oui, si on regarde la définition du lobbying, tout ce que je décrit, c'est du lobbying. Des "actions pour faire valoir nos points de vues ou nos intérêts auprès des élus". Si on interdit le lobbying, ai-je encore le droit d'inviter le député, le maire, le conseiller général, le conseiller régional et le président de la communauté de communes lors de notre exposition de peinture et de céramiques ? Ben oui, lors de la visite, j'en profite pour leur signaler que cette idée de salle polyvalente de la communauté des communes qui est en discussion depuis 10 ans correspond très bien à plusieurs de nos désiderata et que nous avons 300 membres au niveau du canton. Et ensuite, nous leur offrons un verre de vin (plusieurs s'ils le désirent) et quelques tranches de kouglof. Si on avait les moyens, est-ce que nous ne leur offririons pas un verre de bon champagne ou une œuvre d'art ?
Peu de conséquences ? On parle d'un équipement à environ 100 millions d'euros si on rempli le cahier des charges maximal et ça bloque parce qu'il y a plusieurs communes qui désirent l'avoir sur leur territoire. La version légère, c'est quand même 50 à 60 millions. "Vous reprendrez bien un verre de cet excellent riesling, monsieur le président ? Et ce projet de salle polyvalent, c'en est où ?"
Quelque part, c'est normal, c'est humain et c'est pour le bien de la collectivité. Et parfois, on apprend que de gros projets comme ceux-là ou plus gros, surtout plus gros, on fait l'objet de dessous de table. Et là, ce n'est plus normal.