Alain.g a écrit :
Ce sentiment d'anti-parlementarisme que Vichy exploitera, est différent de la méfiance par exemple de de Gaulle envers les partis [...]
Voire...
Je dirais que De Gaulle a reporté contre les partis, et de façon souvent irrationnelle, la hargne qu'il aurait pu éprouver contre le système parlementaire. C'est très étonnant finalement que De Gaulle soit resté attaché de façon si forte à la démocratie : Jean Lacouture écrit avec raison que c'est de l'assemblée que De Gaulle a subi ses plus violentes déceptions.
La première avanie lui vient non pas de la hiérarchie militaire, qu'il avait jugée de longtemps et dont il n'attendait plus rien, mais du débat de l'Assemblée Nationale sur "l'armée de métier." Sans doute avait-il utilisé le mauvais drapeau (une armée professionnelle) pour étiqueter son projet, mais il a vu à cette occasion fonctionner la discipline des partis, et notamment du parti socialiste, qui s'opposera comme un seul homme à son projet, contraire à la tradition de la "levée en masse." (Alors qu'il lui suffira d'une brève conversation avec Léon Blum début 40 pour le retourner immédiatement en faveur des divisions cuirassées...) Une séance de l'assemblée et (boum !) fin de la croisade de De Gaulle.
Déception plus violente encore quand il assiste à la séance d'investiture de Paul Reynaud - lequel se fait traiter de belliciste... en pleine guerre - et évidemment avec l'épouvantable passation des pleins pouvoirs au maréchal Pétain.
Hors s'il n'appréciait pas les partis, De Gaulle avait rencontré parmi les politiques des hommes de qualité qui partageaient avec lui ce qu'il mettait plus haut que tout : le sens de l'état.
Le De Gaulle qui arrive à Londres en juin 40, sortant par le haut de la panique de Bordeaux, et qui assiste de loin à l'abdication du parlement de la République, a quelques bonnes raisons de douter du système parlementaire et même de la démocratie.
Cette phrase de René Cassin :"Vous voyez que j'avais raison ! Nous avons fini par faire de De Gaulle un démocrate" montre quelle a pu être la profondeur des doutes du général.
D'où sans doute une conception très personnelle et très autoritaire de la démocratie, qui ressemble finalement à la façon dont il a mené formellement les institutions provisoires de la France Libre.
A noter que la critique du parlementarisme est très présente et parfois très virulente parmi les grandes figures de la résistance. Lorsque De Gaulle demande depuis Londres que les anciens partis soient associés au CNR, le moins qu'on puisse dire c'est que ça renacle dans les rangs des dirigeants de la résistance. Des gens comme Pierre Brossolette ont d'autant plus de mal à faire passer la pilule qu'ils la jugent eux-mêmes très amère.
A la Libération le sentiment anti-parlementaire est encore assez général pour que De Gaulle obtienne des Français qu'ils rejettent le premier projet de constitution, projet qui est une véritable caricature du régime d'assemblée. Mais il est encore lui-même trop marqué par sa hargne contre les partis pour s'abaisser à en créer un, et c'est encore de cette assemblée qu'il va subir les pires avanies. "On ne m'y reprendra plus..."
Je m'étends sur les états d'âme de De Gaulle parce qu'ils ont eu une conséquence nationale et permanente : la cinquième République, le manteau à sa taille. S'il n'y a plus de contestation du système parlementaire c'est que le parlement a perdu toute autorité politique dans le système démocratique le plus présidentiel du monde. Conséquence : le PR porte aujourd'hui le poids de toutes les attentes et de toutes les désillusions.
"Le pire des systèmes, à l'exception de tous les autres..." Le général sorti de l'Olympe qui l'a imposé en 1958 n'a dû sa constance démocratique qu'à la longue expérience de l'Histoire et à sa proximité permanente avec un passé millénaire dont il connaissait toutes les péripéties. Quand on se demande à quoi sert l'Histoire... "La dictature, je sais comment on y entre, je ne sais pas comment on en sort."