Barbetorte a écrit :
Pierma et moi sommes donc d’accord, il y avait malentendu. Ce qui caractérisait de Gaulle au pouvoir était un fonctionnement des institutions respectant les principes de la démocratie dans un style qui l’était assez peu et qui agaçait beaucoup.
Pour revenir au Sénat, quelles modifications de son rôle et de sa base électorale ont été apportées par les constituants de la Ve République ?
Fondamentalement, les constituants de la Ve n’ont pas apporté de modification majeure dans les rapports entre les deux assemblées. Ce sont les rapports entre l’exécutif et le législatif ainsi que le rôle dévolu au président de la République qui ont été profondément modifiés.
L’autre grande innovation fut le Conseil Constitutionnel. Sous la Troisième République, les sénateurs se considéraient comme le gardien des principes républicains. Il manquait un organe habilité à juger de la constitutionnalité des lois. Cela revient beaucoup plus logiquement à une cour constitutionnelle n’ayant que des pouvoirs juridictionnels qu’à une assemblée parlementaire.
La presse d’opinion jusque dans les années 1970 faisait entendre la voix de l’intelligentsia plus que celle de la nation et cette intelligentsia s’est distinguée par son aveuglement. Si l’on excepte quelques personnalités comme Raymond Aron ou François Mauriac, l’intelligentsia n’a pas su apporter de réponse pertinente aux grandes questions des années d’après-guerre comme celles de la décolonisation, des rapports nord-sud, de l’idéologie communiste, de la place de la France et, plus largement, de l’Europe entre les deux grandes puissances mondiales.
Mais aussi, comment une personnalité indépendante pouvait-elle approuver un de Gaulle qui s’identifiait avec la nation et qui proclamait : « Après moi le chaos ? ». A moins d’être François Mauriac ou André Malraux, on était enfermé dans l’alternative soit de porter la voix de son maître soit de se situer dans l’opposition.
Réactions sur plusieurs points.
Les institutions de la 5ème république pratiquées par de Gaulle n'étaient pas autoritaires. C'est la société qui était ainsi. Le pouvoir politique, quoique beaucoup moins concentré, n'était pas moins partisan sous les régimes d'assemblée de type 3ème ou 4ème républiques.
De Gaulle avait une vision impérieuse et souveraine de l'exercice du pouvoir autant que de la légitimité et de la responsabilité démocratique.
Ce qu'il y a de plus admirable dans sa conception du pouvoir, c'est que son sens de la responsabilité démocratique et de la légitimité démocratique était à la hauteur de son sens de l'Etat, son sens de l'intérêt national, et son sens de la responsabilité du chef.
De Gaulle pouvait agir fortement, avoir une politique forte, quitte à ce qu'elle soit tranchée, clivante, parce qu'il prenait un soin scrupuleux à ce que sa personne et son action soient revêtues d'une incontestable légitimité populaire. D'où la pratique du référendum, les dissolutions, avec à chaque fois un principe cardinal énoncé clairement, sans ambiguité et sans concession :
"Vous m'avez élu comme chef pour diriger notre pays. Voilà ce que je ferai, pourquoi je le ferai. Tant que j'aurai votre approbation je le ferai. Quand j'aurai besoin de changer de politique je retournerai devant vous pour vous demander d'approuver ce changement. Et si vous ne m'approuvez pas, je démissionnerai parce que je ne peux pas gouverner sans l'approbation de la majorité du Peuple."
A comparer avec les pratiques détestables des Mitterrand, Chirac, Hollande, et dans une moindre mesure Giscard (le premier à avoir évoqué la perspective d'une cohabitation s'il perdait les législatives de 1978) et Sarkozy (qui a annoncé la couleur sur un mini-traité qui allait devenir le traité de Lisbonne mais n'a pas respecté le mandat donné par ses électeurs en faisant du traité de Lisbonne tout autre chose qu'un simple traité technique améliorant le processus de décision au Conseil de l'UE).
Pour eux, surtout les trois premiers, c'est se faire élire sur des mensonges et une arnaque, et considérer ensuite que le cadre juridique constitutionnel leur donne un chèque en blanc pour toute la durée de leur mandat, et rebelote pour tenter de se faire réélire. Pas étonnant dès lors qu'il y ait des mouvements de rue. Quand les personnes incarnant les institutions agissent sans mandat légitime, la démocratie est en crise.
Le plus démocrate de tous les présidents de la 5ème république, de très loin, c'était de Gaulle. Les autres, depuis au moins 1981, ne sont que des aventuriers carriéristes méprisant les électeurs.
Concernant le Conseil constitutionnel, je rappelle qu'à l'origine il fut créé pour corseter le Parlement et s'assurer que ce dernier respecterait bien le domaine de la loi tel que prévu par l'article 34 de la constitution. C'est la révolution de palais du 16 juillet 1971 (celle ayant permis de contrôler que pour l'essentiel les projets de loi du gouvernement soient désormais soumis au contrôle du respect de principes juridiques supérieurs, ceux de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des préambules de 1958 et 1946), puis la réforme constitutionnelle de 1974 (ouvrant la voie de la saisine du Conseil constitutionnel par l'opposition), puis enfin celle de 2008 (qui en instaurant la QPC, permet à tout justiciable de remettre en cause la constitutionnalité des lois en vigueur) qui a transformé profondément le Conseil constitutionnel en l'instrument du contrôle de l'exécutif et de la majorité parlementaire.
Une telle transition a été tout sauf facile ou évidente, étant donné la conception de l'exercice du pouvoir qui était celle de la France : non seulement la France révolutionnaire mais avant elle la France monarchique. La révolution n'a pas tant procédé à une transformation de la conception impérieuse de l'emprise du pouvoir sur la société qu'à un transfert de souverain : du roi à l'Assemblée représentant la Nation. Le principe était que la loi était l'incarnation de la volonté nationale. Alors soumettre la loi à une norme, c'était un vrai bouleversement conceptuel comme symbolique.