J'ai l'impression de revenir à une question déjà discutée. C'est quand même important de bien discerner ce qui est de l'ordre du savoir (pour ne pas dire de la science) et ce qui est de l'ordre de l'idéologie.
Non, Zunkir, je suis désolé, Clastres ne dit pas que "l'Etat n'est pas une fatalité".
Il part de la définition classique de l'Etat en tant que monopole de la violence, effectivement, celle qu'il prend chez Weber et Durkheim.
Et de là, il montre : Il n'y a pas de société humaine sans autorité, mais il y a des sociétés humaines sans violence.
Donc il découple la catégorie classique de la science politique, la catégorie autorité/violence. D'ailleurs, un autre ouvrage de Clastres s'intitule "Archéologie de la violence".
Pardonnez-moi mais c'est très différent.
Parce que deux conclusions que Clastres en tire, c'est :
1. Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas violence (ou coercition, ou pouvoir, etc.) qu'il n'y a pas autorité. Autrement dit : L'autorité qu'on trouve dans les sociétés primitives est différente dans sa nature que celle qu'on trouve dans nos civilisations, mais il y a bien une autorité.
2. C'est cette différence qui fonde l'histoire. Ce qui fait que les sociétés primitives sont primitives, c'est justement qu'elles ne connaissent pas l'Etat, selon Clastres. Ce pourquoi il propose de les appeler "an-historiques".
Donc un énoncé du type "selon Clastres, l'Etat n'est pas une fatalité" n'est pas un énoncé correct : A partit du moment où une société entre dans l'histoire, l'Etat est une fatalité en quemque sorte. Plus précisément : c'est la constitution d'un Etat qui la fait entrer dans l'histoire.
Peut-être que cette théorie est contestable, sans doute même. Après tout, ce n'est jamais que la théorie de Clastres. Et d'ailleurs, elle s'oppose à toute la tradition de l'anthropologie politique. Mais svp, rendons à Cesar ce qui appartient à Cesar, et arrêtons de lui faire dire le contraire de ce qu'il dit !
C'est rageant, parce que le pauvre Clastres, il essaie justement de s'opposer aux théories anarchisantes de l'anthropologie classique que, lui, il trouve naïves ! C'est Malinowski par exemple qui, quand il écrit sur les iles Trobriand, dit : Oh la la, incroyable ces populations "primitives", elles ne connaissent pas l'autorité, elles n'ont pas de chefs (pas de vrais chefs), elles ne connaissent pas la politique, etc.
Clastres dit : Mais si, elles connaissent l'autorité, il n'y a pas de société humaine sans autorité. En revanche, l'autorité n'y est pas politique au sens où nous l'entendons, cad l'autorité n'y a pas le monopole de la violence.
La nuance est difficile à saisir pour nous, mais c'est justement toutela problématique de Clastres : Cette nuance nous est difficile à comprendre parce que nous appliquons nos catégories à des sociétés de culture totalement différentes. Dans ces cultures primitives, "autorité" et "violence" sont dissociées, voila tout. Et pour Clastres, comprendre une société, c'est la comprendre en adoptant ses propres catégories, pas en l'étudiant à travers le prismes des notres, ce qui est la principale critique qu'il adresse à Malinowski et consorts.
Maintenant, une société sans autorité est peut-être possible, peut-être que certaines ont existé, je ne sais pas, c'est une autre question. Et si on a besoin de sources pour appuyer l'idée, la littérature anthropologique en regorge, vraiment.
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