Une oeuvre musicale est affaire de rencontre... On peut bien sûr provoquer rationnellement la rencontre (éplucher les disquaires par ordre alphabétique ou chronologique, écouter tel ou tel parce qu'il est universellement connu et que cela rassure, entendre les comparaisons d'interprétation lors d'émissions radiophoniques en n'étant pas dupe des prismes et des faiblesses de ce genre d'exercice à la radio, etc.) mais comme la musique est affaire d'émotion, cela ne marchera pas si les notes ne vous TOUCHENT pas. Si vous n'êtes pas prêt à entendre telle musique, si vous n'êtes pas assez mûr pour apprécier Bruckner ou Mahler, si vous êtes tombé, par hasard, sur une interprétation bancale, vous risquez de passer à côté de chefs-d'oeuvre... Mais dans le fond, est-ce bien grave? Le tout est de continuer et puis un jour (cela peut être dans un embouteillage ou à un concert du Concertgebouw d'Amsterdam), vous entendez une musique, presque par hasard, qui résonne en vous. Il se peut que ce soit celle que vous rejetiez hier farouchement, tout comme cela peut être une nouveauté que la radio vous fait découvrir... Moi quand cela m'arrive, j'écoute toutes les interprétations disponibles grâce à l'immense discothèque de mon époux (oui je sais, j'ai de la chance) mais sans doute que vous faites differemment. La seule constante dans ces "coups de foudre", c'est que les oeuvres reflètent un état d'âme prégnant, plus ou moins conjoncturel, chez l'auditoire. Si vous avez l'impression que le ciel s'abat sur votre tête, que tout vous échappe, qu'au fond du tunnel, il fait toujours noir et que vous ne savez pas vraiment d'où vous vient la force de continuer, ce n'est pas à ce moment que vous écouterez les valses de Strauss ou la petite musique de nuit. Par contre, vous risquez fort d'être ému par le concerto n°1 pour piano et orchestre de Brahms, composé au moment où son ami de toujours, Shumann, perd la raison...
_________________ "Que ne nous ôte-t-on la peine de vivre et le trouble de penser!", TOCQUEVILLE, De la Démocratie en Amérique, "Quel despotisme est à craindre pour les nations démocratiques?"
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