Cette chanson écossaise du XVIIe siècle est un pamphlet assassin contre George Ier, le premier souverain de la dynastie hanovrienne dont les descendants occupent toujours le trône d'Angleterre. Les Stuart n'ayant pas eu de descendants légitimes (seulement des bâtards, Charles II en eut 14 officiellement reconnus mais aucun enfant avec sa femme, et la reine Anne eut plusieurs enfants mais aucun ne survécut) et une loi en interdisant l'accès à toute personne dynaste de religion catholique, le trône anglais échut, après des péripéties trop longues à raconter ici, à George Ludwig, électeur de Hanovre, qui devint roi en 1714 à l'âge de 54 ans.
La légende veut qu'il n'ait jamais appris à parler anglais (il communiquait soi-disant avec ses ministres en latin de cuisine, c'est sans doute exagéré), il était de physique peu avantageux ( son surnom était "pig snout" (quelque chose comme "nez de cochon"), il s'intéressait sans doute plus aux affaires du Hanovre qu'à celles de l'Angleterre et mourut d'ailleurs en Allemagne, d'apoplexie suite à une indigestion après s'être empiffré.
En plus d'être laid, brutal et antipathique, il arrivait au trône avec un lourd bagage: il avait épousé pour arrondir les possessions et la fortune familiale Sophie Dorothée de Celle, fille du duc George de Brunswick-Lüneburg; les deux fiancés s'engagèrent à contre- coeur dans ce mariage arrangé célébré en 1682. Il ne s'intéressait qu'à la chasse et à la guerre, tandis que Sophie-Dorothée était jolie, vive et sociable et aimait la musique et la danse.
Les choses se détériorèrent immédiatement entre eux: George trompa sa femme avec des maitresses hideuses comme l'obèse Sophia-Charlotte von Kielmannsegg, sa demi-soeur illégitime (fille de son père Ernst August avec sa maitresse la comtesse Platen) et la squelettique Ehrengarde Mélusine von der Schulenbürg. Sophie-Dorothée trompa son mari avec le comte suédois Philipp Christoph von Königsmark, officier mercenaire dans l'armée de son-beau-père, séduisant, cultivé, bon danseur, qui avait eu des aventures avec plusieurs des plus belles femmes d'Europe, et avec des moins belles, comme la comtesse Platen ci-dessus mentionnée.
Une correspondance assez torride s'ensuivit, souvent en langage codé, portée par des messagers sûrs pour convenir de rendez-vous secrets.
A plusieurs reprises, George essaya d'étrangler publiquement sa femme; malgré les violences conjugales de George, les époux mal assortis eurent néanmoins deux enfants. La correspondance tomba entre les mains du beau-père de Sophie, sans doute grâce aux machinations de la dangereuse comtesse Platen. Königsmark fut exilé mais retrouva un emploi dans l'armée d'un autre prince allemand, l'électeur de Saxe. Au cours d'une beuverie, il eut l'imprudence de révéler les secrets d'alcove du mari de Sophie; la von der Schulenbürg se plaignit à George d'avoir été insultée. Une confrontation eut lieu entre les deux époux et George essaya de nouveau d'étrangler sa femme. Celle-ci prit alors la décision de s'enfuir avec Königsmark mais ils ne purent mettre leur projet à exécution: sortant de chez Sophie-Dorothée, le comte disparut: il fut sans doute saisi par les gardes de George et assassiné. Son corps ne fut jamais retrouvé: on suppose qu'il fut enterré dans un coin du palais dans un lit de chaux vive pour éviter les odeurs (le romancier Pierre Benoit a raconté cette sombre histoire dans un excellent roman intitulé "Königsmark)" ou jeté dans la rivière Leine une pierre au cou. Ce scandale royal fit du bruit dans toutes les cours d'Europe pendant des années.
Sophie fut condamnée pour "malicious desertion" par un tribunal de complaisance, ses enfants lui furent enlevés et elle fut assignée à résidence dans un des châteaux allemands de l'électeur de Hanovre où elle vécut jusqu'à sa mort trente deux ans plus tard. Son mari s'empressa de détruire son testament (il n'était pas son héritier) et saisit ses propriétés.
Voici la chanson: "Cam ye o'er fra France":
http://www.youtube.com/v/L9omHUYo ... re=relatedCette fois-ci, j'ai choisi la version d'un groupe rock/folk, "Steeleye Span"; l'énergie du rock s'accorde très bien avec la violence truculente des paroles.
Même traduites en français, ces paroles restent absconses parce que d'une part, elles sont cryptées: aucun nom propre n'est mentionné, les grands personnages auxquels la chanson fait allusion sont désignés uniquement par des surnoms, qu'il s'agisse des nobles jacobites ou des membres de la cour du roi hanovrien. De plus, la chanson est une attaque en règle contre les moeurs sexuelles royales (c'est une façon habituelle de discréditer les grands personnages que de les accuser de toutes sortes de vices et de perversions; George Ier fut ainsi accusé par les Jacobites d'inceste, de masturbation et d'homosexualité). De plus, l'auteur des paroles utilise des termes du langage populaire de l'époque ou des métaphores sexuelles obscures pour évoquer ces turpitudes. Ce texte requiert donc un sérieux décodage:
Cam ye o'er frae France? (arrivez-vous de France?)
Cam ye down by Lunnon? (êtes-vous passé par Londres?
Saw ye Geordie whelps (avez-vous vu Geordie le petit morveux? ; Geordie est George Ier bien sûr)
And his bonny woman? (et sa traînée? ; bonny woman = femme de mauvaises moeurs)
Were ye at the place (êtiez-vous à l'endroit)
Ca'd the Kittle Housie? (qu'on nomme le bordel; "kittle house" vient de kittle = chatouiller, titiller))
Saw ye Geordie's grace (avez-vous vu Sa Grâce Geordie)
Riding on a goosie? (chevauchant une putain? ; a goosie est un mot d'argot désignant une prostituée; von der Schulenbürg était surnommée "the goose")
(l'allusion à la France réfère au fait que, après chaque échec des tentatives de restauration jacobites, beaucoup de jacobites pourchassés par le gouvernement anglais allaient se réfugier en France et trouvaient asile à la cour des Stuarts, au château de Saint Germain en Laye mis à leur disposition par Louis XIV. Le bordel réfère au palais de Saint-James où habitait George Ier)
Geordie he's a man (Geordie c'est un homme)
There is little doubt o't; (ça ne fait pas de doute)
He's done a' he can (il a fait tout ce qu'il a pu)
Wha can do without it? (mais qui peut s'en passer?)
Down there came a blade (est arrivé un galant)
Linkin' like my lordie; (qui a fait l'amour comme George)
He wad drive a trade (il a fait ses affaires)
At the loom o' Geordie. (au métier (à tisser) de Geordie)
(cette strophe fait allusion au fait que George n'a plus de femme (elle est emprisonnée en Allemagne) mais qu'il ne peut pas se passer de sexe (allusion à ses deux maîtresses), qu'il a fait tout ce qu'il pouvait, mais qu'un galant (Königsmark) l'a cocufié avec Sophie (a fait ses affaires au "métier à tisser" (métaphore sexuelle) de Geordie); la rumeur attribuait la paternité de George II à Königsmark.
...
Jocky's gane to France, (Jocky est allé en France)
And Montgomery's lady; (et la femme de Montgomery)
There they'll learn to dance: (là-bas ils vont apprendre à danser)
Madame, are ye ready? (Madame, êtes-vous prête (à danser)?)
They'll be back belyue (ils reviendront bientôt )
Belted, brisk and lordly; (harnachés, gaillards et hardis)
Brawly may they thrive (puissent-ils vivre et prospérer)
To dance a jig wi' Geordie! (pour danser la gigue avec Geordie)
(Jocky est un terme désignant les Ecossais, comme on dit "les rosbifs" pour les Anglais, ici il désigne le "old pretender" James III.
Sidney Montgomery, comte de Godolphin, était le chambellan dévoué (et amant selon certains) de la reine Marie-Béatrice de Modène, femme de James II et mère de James III; c'est elle que désigne l'expression "Montgomery's lady".
Cette strophe dit que le prétendant jacobite et son entourage sont partis en France; de là, ils reviendront avec des subsides, des armes et des troupes et ayant appris à danser, danser ayant ici le sens de "se battre"; ils seront ainsi prêts à "danser" avec Geordie.
Hey for Sandy Don! (hourrah pour Sandy Don!)
Hey for Cockolorum! (hourrah pour Cockolorum!)
Hey for Bobbing John,(hourrah for Bobbing John!)
And his Highland Quorum! (et son quorum écossais!)
Mony a sword and lance (plus d'une épée et d'une lance)
Swings at Highland hurdie;(sont aux mains des des Highlanders)
How they'll skip and dance (comme ils vont sauter et dancer)
O'er the bum o' Geordie! (sur le cul de Geordie!)
(Sandy Don est Alexander (prénom dont le diminutif est Sandy) GorDON of Auchintool, général de Pierre le Grand pendant 15 ans et meilleur chef militaire des Jacobites. Cockolorum (quelque chose comme "jeune coq", le coq était l'emblème de la famille Gordon) est le surnom d'un autre Gordon, le marquis d'Huntly, très actif dans la cause jacobite. Bobbing John est John Erskine, comte de Mar, leader "inepte" du soulèvement jacobite de 1715, ainsi surnommé parce qu'il était une vraie une girouette, passant pas moins de 6 fois des rangs jacobites aux hanovriens, et inversement (de "to bob" = flotter, se balancer). Quorum signifie assemblée, et le "Highland quorum" réfère aux deux réunions tenues par les jacobites écossais pour préparer les détails du soulèvement de 1715, dont l'une se tint au château de Braemar, domaine du comte de Mar, sous le prétexte d'une partie de chasse.
Pour ce décodage, j'ai utilisé ce lien, qui donne des précisions supplémentaires:
http://www.telusplanet.net/public/presc ... yeoer.html