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Cela ne m'explique pas de savoir pourquoi ils n'ont pas cherché à évoluer en collaborant avec de nouveaux artistes et pourquoi ils n'ont pas cherché à créer de nouvelles chansons au lieu de chanter "Tutti frutti" ou "Whole lotta shakin" à chaque album. Il n'y avait pas que des hippies californiens dans le monde de la pop azméricaine.
C'est pourtant une des explications, que vous ne voyez pas parce que vous ne saisissez pas l'étendue du fossé idéologique, social, culturel et politique qui, aux US, sépare des gens comme disons Jerry Lee Lewis et Jim Morrison: d'un côté, un "white trash" du Sud, sorte de cul terreux inculte, sans instruction, ultra religieux, ultra-conservateur et patriote, pro-guerre du Vietnam, raciste et xénophobe, nourri de country music etc.
De l'autre, un fils à papa de la bonne bourgeoisie américaine, wasp (presbytérien), fixé en Californie, père amiral, études supérieures à UCLA, assez intello, grand lecteur et passionné de culture européenne (Nietzsche, Rimbaud, Céline, Blake les cinéastes de la Nouvelle vague etc), fan de musique black, en rebellion ouverte contre la religion, l'impérialisme US, le Vietnam, son milieu bourgeois etc.
Ce sont deux classes sociales complètement à part, qui ne se fréquentent pas, et ne s'apprécient pas: la bonne bourgeoisie méprisant les infréquentables rednecks/petits blancs du Sud, qui la détestent en retour, surtout quand elle se boboise.
Vous vous étonnez que les vieux rockers n'aient rien su dire d'autre que "whole lot of shakin going on", "tutti frutti" et "bebop a lulla"; mais tous ces individus ont du quitter l'école à 13 ou 14 ans.
Cela ne signifie nullement qu'ils étaient tous stupides--quoique...--simplement qu'ils étaient limités dans leurs formes d'expression par leur manque de culture.
Vous étonner que Chuck Berry, Presley, Lewis etc n'aient pas suivi le mouvement rock prog/psyché, c'est un peu comme de s'étonner qu'Hervé Vilar ou Frank Alamo--dans un genre différent-- n'aient pas fait du Led Zeppelin: ce sont deux mondes musicaux différents, deux mondes tout court différents, entre lesquels il ne peut guère y avoir de communication--heureusement.
Et non, il n'y avait pas que des hippies californiens dans le renouveau musical américain des 60s, mais presque: c'était tout de même essentiellement à San Francisco et Los Angeles que le mouvement de contre-culture avait lieu, avec tous ses brillants développements musicaux.
Il y avait bien quelques groupes à New York, dans un style justement beaucoup plus tendu, agressif et pas bisounours du tout (Lou Reed et le Velvet Underground) et aussi les Stooges, de Detroit, mais l'épicentre des 60s, c'était la Californie, et tous les musiciens qui voulaient se faire un nom y rappliquaient de tous les coins perdus des US.
Le mouvement punk américain a justement été, entre autres, un recentrage musical et culturel sur NewYork aux dépens de la Californie.