Après quelques jours passés aux AN et une moisson extra-ordinaire, j'ai commencé la réalisation des appartements impériaux sur le jardin.
Ils sont desservis par un escalier dit de l'empereur précédé d'un vestibule à l'angle du pavillon de Flore. Un petit plan (connu) pour replace cela! L'escalier est ici en 1, désigné comme "escalier de l'appartement d'habitation". Le vestibule est dans le prolongement, vers la cour (en haut du plan), sous l'extrémité droite de la Galerie de Diane
Extrait de Lenôtre,
Les TuileriesCet escalier date des aménagements réalisés sous Louis XIV, et constitue alors l'escalier de la Reine. Les plans successifs publiés par G. Fonkenell semblent attester de sa permanence pendant le XVIIIe et le XIXe.
L'élévation du vestibule de l'escalier a été réalisée à partir d'un relevé de 1847, une coupe de Lefuel en 1860 et le dessin de François Joseph Heim, "le départ de Louis XVIII en mars 1815", très fidèle aux plans, élévations et éléments de mobiliers connus.
Le départ de Louis XVIII, Heim François Joseph (1787-1865), Bayonne, musée Bonnat-Helleu
Tout en pierre, il s'ouvre par deux croisées sur la cour du Carrousel, séparées par une niche (qui abrite sous Louis Philippe une statue d'empereur romain). Comme l'atteste notamment la gravure (mais aussi d'autres témoignages), le vestibule est accessible aux voitures, d'où son pavage. C'est notamment d'ici que Joséphine quitte discrètement le palais en 1810.
Le côté nord est percé en son centre d'une porte et d'un escalier qui donnent sur la salle à manger. Les fenêtres sont attestées par le plan de 1847 et éclairent en second jour des pièces accolées à la salle à manger.
Le vestibule est couvert par une voûte en berceau qui se poursuit dans les pièces suivantes (salle à manger et salle des concerts) et qui de ce fait, je pense, fait partie de la structure d'origine de ce bâtiment construit sous Henri IV. A cette voûte pend une lanterne à 6 lumières.
Face à l'entrée, trois arcades, celle de gauche feinte, celle de droite occupée par une croisée qui éclaire un des "corridors noirs" qui longe l'appartement de l'impératrice. Celle du centre ouvre sur l'escalier. L'arcade de la croisée est plus basse que l'arcade du vestibule afin de ne pas"buter" sur l'une des volées de l'escalier (hauteur attestée par les plans).
L'escalier est composé d'une succession de volées portées par des voûtes en demi-berceau (tel que permet de le comprendre la vue en coupe de Lefuel en tout cas). Le dessin de Heim montre un garde corps en fer forgé avec les armes de France ; j'ai placé les armes impériales pour marquer l'état 1809 et correspondre à l'usage napoléonien "d'Empirisation" des symboles royaux. Un mémoire de restauration de 1810 atteste que les murs sont (ou ont l'apparence) de la pierre.
Le niveau du sol de la cour du Carrousel est environ 1.30 plus bas que celui des pièces du premier niveau côté jardin. Une première courte volée rattrape cette différence. C'est là que se concentre le mobilier : 4 banquettes et 6 tabourets.
Le premier palier est éclairé par une grande arcade et donne au sud (à gauche de la vue) sur les pièces du pavillon de Flore et au nord (à droite) sur l'antichambre de l'appartement de l'impératrice. Afin sans doute d'isoler cette pièce du froid de l'escalier, l'inventaire de 1809 mentionne "Une porte battante à 2 vanteaux et chambranle, garnie en foin, couverte en drap vert avec clouds dorés sur galons or faux" restituée ici, avec une seconde en face.
(Cette vue et la suivante sont prises du même point de vue).
Deux volées complétées par une petite intermédiaire permettent d'accéder au premier étage, 6 m plus haut.
Le palier de l'escalier donne sur une porte qui ouvre sur l'ancienne salle des gardes de la Reine, devenue celle de l'Empereur. Cette partie de l'escalier est éclairée par une grande fenêtre rectangulaire.
Il conduit par une dernière volée à une porte qui ouvre sur l'escalier du pavillon de Flore et par là à ses différents appartements. On aperçoit en haut une partie de la voûte à quatre voussures et l'entablement à consoles, seul élément décoratif attesté par la coupe de Lefuel. L'escalier a sans doute été laissé inachevé, comme l'escalier d'honneur.
Les deux paliers sont éclairés par une lanterne à 4 lumières.
Vue de l'ensemble de l'escalier depuis le palier de l'appartement de l'Empereur
L’escalier de la Reine, devenu escalier de l’Empereur, ouvre donc sur une série de pièces, donnant sur le jardin, qui constituent au XVIIe s les appartements (Grand et Petit) de la Reine Marie Thérèse, puis l’habitation des souverains du retour de Louis XVI au début du règne de Louis-Philippe. La décoration de ces pièces date donc pour l’essentiel des années 1666-1672.
La porte battante de l’escalier est maintenant ouverte sur l’antichambre de l’empereur ou salle des gardes.
Elle avait cette fonction du temps de Marie Thérèse, ce qui explique le caractère militaire de sa décoration. Elle conserve cette fonction avec le retour de la famille royale en octobre 1789, bien que la Reine loge au rez de chaussée, dans le futur appartement de l’impératrice.
Après la chute de la royauté en septembre 1792, ces appartements sont occupés par la Convention. La salle des gardes est d’abord convertie en une antichambre aux bureaux du Comité de Salut Public (1793-1795) puis devient la bibliothèque du Conseil des Anciens (1795-1799). Son état en 1800 est pitoyable. Leconte, dans son rapport de travaux du 12 ventôse an 9 (3 mars 1801), rapporte qu’ »elle avait subi tant de dégradations qu’on ne pouvait appercevoir (sic) ce qui l’avait originellement décoré ; une grande partie des lambris des ornements était détruite, et ce fut avec du temps et de grandes précautions qu’on est parvenu à retrouver et à faire revivre les superbes trophées qui décorent cette salle ; on rétablit ceux des lambris qui n’existaient plus ; on refit les trophées semblables ; on construit un poêle, on rétablit les parquets, les portes, les cloisons, etc… ».
Après le coup d’Etat du 18 Brumaire, et l’installation de Napoléon Bonaparte aux Tuileries, cette pièce est intégrée à l’appartement d’habitation du Premier Consul puis de l’Empereur, qui loge donc chez la Reine.
Dans la première moitié du règne, sans doute dès 1801, la pièce est séparée en deux parties par une cloison « mobile », qui isole le salon des pages, près de l’escalier, du premier salon qui occupe l’autre partie de la pièce, vers le nord. Cette cloison est supprimée lors de très importants travaux de réaménagement réalisés en 1808-1809 sous la supervision de Fontaine « Premier Architecte de Sa Majesté Impériale et Royale ».
La pièce telle qu’elle est reconstituée évoque donc l’état 1809-1814. Je me suis appuyé sur les coupes de Lefuel, les mémoires de restauration de Charles Moench, du doreur Chaise et du marbrier Hersent pour cette reconstitution.
La salle des Gardes est le lieu où se tiennent les pages de l’appartement et l’un des huissiers, d’où le nom de Salon des Pages qu’elle a aussi. La pièce s’anime surtout le matin, lors de la cérémonie du Lever de l’Empereur. Rien de versaillais dans cette cérémonie, décrite par Frédéric Masson. Pas de lever et d’habillage en public. Ce moment de la vie de l’empereur a lieu à partir de 9h. C’est un peu avant cette heure que la salle des gardes a été traversée par le « Service », c'est-à-dire les Grands Officiers qui viennent prendre leurs ordres de la bouche de l’empereur dans le Premier Salon (ou salon du Service) qui suit : le Grand Chambellan et le second chambellan de jour, le Grand Ecuyer et l’écuyer, le Grand maître et le maître des Cérémonies, le Grand Veneur et le lieutenant de vénerie, le préfet du Palais, le Grand Aumônier, l’Intendant général et le Trésorier de la Couronne, enfin, le Colonel général de service.
Le Lever terminé et le « Service » ayant quitté le Premier Salon pour retourner dans la salle des Gardes, il croise les « Grandes Entrées » qui ont accédé à la pièce par l’escalier de l’Empereur. A leur passage, les pages se sont levés de leurs banquettes. Ce terme de « Grandes Entrées », reprise de l’étiquette versaillaise, désigne en effet les Princes de la famille impériale, les cardinaux, les grands officiers de l’Empire, les officiers des maisons de l’impératrice, les présidents des grands corps de l’Etat et les premières autorités de Paris. Ils ont le privilège d’être reçus dans le Second ou Grand Salon par l’Empereur, après avoir attendu dans le Premier Salon. Ces trois pièces, Salle des Gardes, Premier et Second Salon, forment ce que Napoléon appelle dans l’étiquette du Palais Impérial ( 1806) « l’appartement d’honneur », accessible à la Cour, qui se distingue de « l’ appartement intérieur » (Cabinet de travail, Cabinet topographique, chambre, cabinet des bains) où seuls l’empereur et quelques familiers pénètrent. L’ensemble forme « l’appartement ordinaire » ou « appartement d’habitation » de l’empereur.
La salle des gardes est la plus grande pièce de cet appartement, sur un plan presque carré de 10m de côté environ. C’est aussi la plus lumineuse des trois salons « publics », car éclairée par deux fenêtres sur le jardin.
Le devis des travaux de Fontaine permet de savoir que la pièce est revêtue d’un parquet, qui remplace un dallage retiré à l’occasion des travaux de 1808 (qui semble-t-il ne couvrait que le salon des pages).
La décoration des murs est en deux parties, comme à Fontainebleau ou à Vaux le Vicomte : un lambris en partie basse et un revêtement en partie haute.
Le lambris est constitué de 14 panneaux verticaux (chiffre donné par Moench) en deux parties, sur un fond de marbre brèche blanc. Les trophées feints sont en faux bronze doré (ici évoqués par ceux de Hampton Court), et reposent sur une plinthe en brèche violette. Au dessus court une tenture en brocart vert à palmes avec une bordure en soie or et ponceau, livré par Pernon pour le cabinet du Premier consul à Saint Cloud et réutilisé ici en 1809.
Les murs sont percés de trois portes, chacune ayant son pendant feint : côté fenêtres, l’une donne sur l’escalier, l’autre sur le Premier Salon et, dans le fond, la troisième ouvre sur la Galerie de Diane. C’est la seule communication « officielle » entre les deux enfilades côté cour et jardin du palais.
Le mémoire de Moench indique que ces portes sont décorées de trophées similaires à ceux des panneaux.
On remarquera, par rapport à la vue en coupe et à la photo postées plus haut (Lefuel, 1860), que je n’ai pas évoqué les dessus de porte. En effet, alors que Moench les restaure dans les autres pièces, il ne fait pas mention de ces dessus de porte dans son mémoire ; par ailleurs, la longueur de la tenture en deux parties indiquée par l’inventaire (38.50 m) correspond au périmètre de la pièce moins les deux fenêtres, ce qui me conduit à pense que ces dessus de porte sont une création postérieure, sans doute du Second Empire (qui a transformé une partie de la décoration de cet appartement).
Le mémoire de Hersent, marbrier, permet de savoir que la cheminée est nouvelle en 1809. Elle est en marbre Sarrancolin et sa forme est précisée par la photographie. Elle est surmontée d’un « grand trophée » dont Moench indique qu’il représente un aigle posé sur un foudre et des trophées d’armes. Une composition de la chambre de Fouquet à Vaux évoque ce trophée.
Face à la cheminée, un poêle en faïence, installé en 1800 et remis en état en 1809, et qui semble-t-il permet de chauffer la galerie de Diane attenante. Ses dimensions sont celles indiquées par le mémoire du poêlier, et c’est un modèle de Compiègne (grand vestibule du palais) qui permet de l’évoquer.
La pièce est ceinturée par un entablement composé de consoles en marbre brèche blanche, soutenant une corniche de même et or. Les métopes sont en albâtre oriental, sur lesquels se détachent 92 patères à tête de lion en bronze rehaussé d’or réalisés en trompe l’œil par Moench.
Le plafond est l’apport principal du Premier Empire à cet appartement et à cette pièce. Il est connu par un dessin aquarellé de Percier et Fontaine.
Le Journal des Monuments de Paris, de Percier et Fontaine, indique p 14, que se trouvait là un plafond datant de Louis XIV et « qui tombait en ruine ». Dédié comme dans les autres pièces à Minerve, allégorie de Marie Thérèse, il « représentait Minerve foudroyant les Vices ; elle paraissait sur un fond de ciel à travers l’ouverture de la voûte d’un temple, dont les colonnes peintes en perspective sur un corps incliné et les corniches tendantes vers un seul point de vue » leur paraît « produire un effet faux et incorrect ».
Ils choisissent donc de remplacer ce plafond ruiné par « des compartiments subdivisés selon la forme de la voussure du plafond, dont le sujet principal représente Mars vainqueur, la lance en main, parcourant sur un char le Zodiaque (dont les signes figurent dans la bordure du cadre), et signalant chaque mois de l’année par une victoire (de Napoléon : Rivoli pour les Poissons, Iena pour le Cancer…)
Des attributs militaires et différentes figures, sous l’emblème de vertus guerrières, enrichissent cette composition et remplissent les voussures du pourtour sur les quatre faces ».
Viollet Le Duc, en 1849, précise que « Les voussures ont été peintes par MM. Vauthier, Lesueur et Pernotin, et les ornements, les trophées figurés en bronze par M. Pécheux. Mars, dans un char à deux chevaux, et les signes du Zodiaque, qui forment l’encadrement du plafond, sont de M. Lesueur ».
Le mémoire de Moench permet de savoir que les chairs de Mars, les chevaux et figures de la voussure étaient traités en blanc, le reste des ornements et les armes de Mars rehaussé d’or. La scène centrale se détachait sur un fond lapis, et les ornements « sculptés » de la base en marbre Sarrancolin.
Le mobilier de la pièce est très « banal » et constitue l’habituel ameublement d’une antichambre : 6 banquettes, 12 tabourets et 2 chaises peintes en bois bronze et or recouverts de velours vert. Seul le fauteuil en acajou dénote un peu. Deux consoles dorées, semble-t-il déplacées dans le salon Louis XIV sous le Second Empire sont mentionnées et placées ici au milieu des longs murs.
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Deux tables du modèle habituel en bois noirci et bazanne pour les huissiers sont mentionnées, que j’ai placé près des portes.
Un guéridon du modèle courant dans les palais impériaux complète les tables. Deux paravents en savonnerie doublés de soie rouge dissimulent sans doute des lits de veille.
L’éclairage est assuré par deux lanternes à quatre quinquets chacune, deux quinquets à pied (sur les tables) et deux flambeaux « de page » de 32 cm de haut en cuivre doré avec un autre plus petit sur le guéridon.
Un feu à quatre bornes garnit la cheminée.
Prochaine étape (dans quelques semaines!) : le Premier Salon de l'Empereur.