Un monument historique, même reconstruit "à l'identique", perd énormément dans sa valeur. Déjà parce que la reconstruction à l'identique est dans la pratique impossible : il faudrait reprendre des techniques, des matériaux anciens qui ont disparus, et connaître exactement toutes les mesures, les dispositions, etc. On peut faire semblable, très proche, pareil, mais on ne peut pas refaire le monument ancien. Ensuite parce qu'il répond à une pensée de notre temps (la volonté de reconstruction à l'identique. Au XIXe, on n'y aurait pas pensé) et occidentale (la valeur historique d'un monument n'existe - ou du moins n'existait - pas en Asie, par exemple : un temple a une valeur non par son ancienneté comme bâtiment, mais par l'ancienneté du site ; les temples sont fréquemment détruit et reconstruit). Ainsi un monument reconstitué reste un monument moderne.
Aloïs Riegl a théorisé cela en 1903 dans Le culte moderne des monuments, où il distingue les valeurs accordées par le public à un monument : valeurs de mémoire (historique, d'ancienneté, commémorative), valeurs d'actualité (utilité, intérêt artistique). Dans un monument reconstitué, une bonne partie des valeurs de mémoire s'effacent.
Au passage, il en existe assez peu de monuments reconstitués en Europe. Certaines reconstitutions ont eu lieu après la seconde guerre mondiale ; d'autres ont été réalisées pour protéger les sites (Lascaux notamment ; on en parle toujours pour Pompei). Je ne compte bien sûr pas les restaurations, qui obéissent à une autre logique puisqu'il ne s'agit pas de reconstituer, mais d'assurer l'intégrité physique d'un monument.
Narduccio, Huyustus a opposé "la pierre" et "le vrai patrimoine de l'humanité [qui] est dans les livres et les arts". Par là même, il opposait "la pierre" (que je prends au sens restreint d'architecture qui je pense était le sien -à noter d'ailleurs que les monuments brûlés n'étaient pas en pierre, c'est un effet de style qui tombe un peu bizarrement-) aux "arts", ce qui me paraît un peu étrange. L'idée que "le papier" est Le patrimoine majeur est absurde à mon sens : c'est restreindre l'héritage commun de l'humanité à un savoir intellectuel étriqué et largement occidental, en négligeant les cultures orales, les cultures techniques et plus généralement tous les modes d'expression qui ne passent pas par l'écrit. Une société, une culture ne se bâtissent pas uniquement par des idées écrites, mais aussi par des symboles, par des lieux, par des savoirs oraux, par des savoirs-faire... qui construisent leur mémoires. Les patrimoines non-écrits, qu'il s'agisse d'architecture, de vestiges archéologiques, de patrimoine immatériel... ont au moins autant à nous apprendre que des écrits. Si Notre-Dame était détruite demain pour une raison inconnue, on perdrait un symbole, un lieu de mémoire, et aussi un très grand nombre d'informations historiques qu'on ne trouve pas dans du "papier". C'est d'autant plus vrai en Afrique, où les civilisations sont en grande partie orales. Il me semblait que c'était un lieu commun, mais peut être pas finalement...
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