Dans Les Cahiers de Science & Vie, décembre 2004, page 13
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Où était située la Lutèce gauloise, celle d'avant la conquête romaine? Nous ne disposons pour le dire que des maigres indications données par César dans la guerre des Gaules. En -52, une bataille décisive de la conquête romaine s'y déroule. Ce n'est pas César mais Labiénus, son homme de confiance, qui mène les opérations. César connaît toutefois la ville pour y être venu un an auparavant, Il décrit Lutèce comme « un oppidum des Parisii situé sur une île de la Seine ». Et c'est tout... La difficulté vient de ce que le latin ignore l'article défini (s'agit-il d'« un » oppidum, ou de « l'oppidum » ?) et de l'ambiguïté du mot lui-même, Comme le souligne Didier Busson, « ce terme employé pour parier des places fortes gauloises recouvre sans doute des réalités différentes, allant du simple refuge à l'agglomération fortifiée ». Quoi qu'il en soit, il n'y a aucune trace d'oppidum dans l'île de la Cité. D'où la quête de sites alternatifs: ce que Didier Busson appelle joliment « la recherche de l'oppidum perdu », Nanterre est actuellement le plus prometteur de ces différents sites. Certes, Nanterre n'est pas une île mais sa localisation dans un méandre de la Seine (qui était plus resserré alors) est entourée par les eaux, ce qui revient - presque - au même. Les fouilles, menées fin 2003 au nord-ouest de la ville actuelle, par un jeune archéologue de FINRAP, Antide Viand, ont donné des résultats plus que significatifs. Une nécropole gauloise d'une trentaine de tombes (allant du IV' siècle au Ile siècle avant Jésus-Christ) et surtout un vaste quartier d'habitation (du milieu du 111 siècle avant Jésus-Christ jusqu'au 111 siècle de notre ère). Cette agglomération de plus de 15 hectares (alors que l'île de la Cité n'en fait que la moitié) était structurée en quartiers ayant chacun une fonction propre: zone cultuelle, zone artisanale (où l'on a retrouvé les traces d'une activité diversifiée: textile, boucherie, céramique, orfèvrerie...), zone d'habitation avec au centre une sorte de lieu de rassemblement (où l'on a retrouvé de nombreux ossements d'animaux ainsi qu'une fourchette à chaudron). En définitive une organisation spatiale assez remarquable. Les installations collectives étaient également d'une grande qualité: les fossés, entretenus et curés, drainaient les eaux usées au-delà du bourg. Chaque maison disposait d'un puits privatif paré de pierres. Bref, une organisation très élaborée que l'on peut à juste titre qualifier de « contexte proto-urbain ». Attention toutefois à ne pas en conclure trop vite que Nanterre était l'oppidum décrit par César Reste en effet le problème du maintien du nom: Lutèce a gardé le même nom sous les Gaulois et sous domination romaine, ce qui tendrait à prouver que les deux villes étaient soit au même endroit, soit très proches. L’habitude romaine était en effet de rebaptiser la ville quand celle-ci était déplacée. Si la Lutèce gauloise avait été sur le site de Nanterre, la Lutèce gallo-romaine se serait appelée autrement... Conscient de ces difficultés, Antide Viand se garde de toute hypothèse hâtive et exclusive. Il montre au contraire que l'éventail des interprétations est très large: Nanterre et l'île de la Cité étaient peut-être des oppidum d'importance équivalente, mais il est possible aussi que Nanterre soit l'oppidum principal et que l'île de la Cité soit secondaire, ou inversement que l'oppidum de l'île de la Cité soit le plus important et que Nanterre ait surtout une vocation de lieu de culte. La prudence reste donc de mise.