Gouverner en islam entre le Xe siècle et le XVe siècle (Iraq jusqu'en 1258, Syrie, Hijaz, Yémen, Égypte, Maghreb et al-Andalus)La question est extrêmement vaste, puisqu’elle englobe une grande partie du monde islamique sur 5 siècles. Imaginez travailler de la même manière sur toute l’Europe de Hugues Capet à François Ier… Il est donc majeur, avant toute chose, de se concentrer sur les cadres géographiques et chronologiques. Petit résumé qui n’évite pas les simplifications, mais qui sera peut-être utiles pour des gens n’ayant aucune base en islam médiéval. Il n’a évidemment pas de prétention exhaustive ou d’immense exactitude scientifique, mais seulement celle de mettre un pied à l’étrier aux agrégatifs qui débarquent dans ce monde compliqué. N’hésitez pas à amender, corriger ou à compléter les approximations.
Grosso-modo, l’espace peut être divisé en deux grandes parties : l’Occident (Maghreb – tel qu’on l’entend de nos jours + Espagne) et le Proche-Orient (là encore, une notion récente, mais la moins mauvaise pour désigner toute la zone de l’Égypte à l’Anatolie en passant par la Syrie, l’Iraq occidental et la région au nord de l’Iraq, entre Tigre et Euphrate, qu’on nomme Jezireh).
Chronologiquement, le Xe siècle marque une accentuation de la fragmentation du monde islamique. Après la mort de Muhammad, le monde islamique s’était constitué et avait été gouverné en un seul bloc, tout d’abord par quelques personnages appelés califes bien guidés, ou rashidun (Abu Bakr, Omar, Uthman, Ali), puis par la dynastie des Omeyyades. Celle-ci fut renversée en 750 par la dynastie des Abbasides, qui installa sa capitale à Baghdad et continua de prétendre à régner sur l’ensemble du monde islamique.
En fait, dès le IXe siècle, des indices de fragmentation apparaissent, en Iran oriental comme en Égypte et dans l’Occident musulman. Des dynasties vassales, mais fortement autonomes, émergent en Égypte (Tulunides) et au Maghreb (Aghlabides). Des descendants de la famille Omeyyade trouvent refuge en Espagne (on les appellera Omeyyades d’Espagne ou de Cordoue), mais n’utilisent pas le titre de calife, sans pour autant reconnaître le califat abbaside.
Au Xe siècle, la fragmentation du monde islamique éclate au grand jour, si l’on peut dire. En Ifriqiyya (c’est-à-dire, grosso modo, dans une région englobant la Tunisie actuelle et l’est de l’Algérie) apparaît une dynastie shiite, celle des Fatimides, qui revendique le titre de calife dès 909. Cette dynastie s’installe en Égypte en 969, où elle bâtit la ville d’al-Qahira, ville palatiale qui deviendra le Caire. Voyant cela, les Omeyyades d’Espagne prétendent également au titre de calife, à partir de 929. Le pouvoir abbaside est donc réduit, d’autant plus qu’une forte tutelle est exercée sur le califat par une dynastie iranienne, celle des Buyides, à partir de 945. Ceux-ci, concrètement, dépouillent le calife de ses prérogatives militaires et financières, tout en lui conservant son titre.
C’est dans ce contexte qu’a lieu une première vague d’invasions turques, au XIe siècle : l’invasion seljukide. Arrivés d’Asie Centrale, ils traversent l’Iran (s’y installent un moment, mais ça ne nous intéresse pas dans le cadre de la question), prennent Baghdad en 1055, et reprennent le rôle des Buyides en tant que tuteurs du calife abbaside. Ils parviennent également à remporter une victoire majeure contre les Byantins à Manzikert, en 1071, et s’installent en Anatolie. On les appelle Seljukides de Rum, ce dernier terme étant un dérivé de « Romain » et signifiant occidental.
Ces Seljukides de Rum – ceux que l’on accuse d’avoir interrompu le pèlerinage à Jérusalem, à tort ou à raison – imposent leur pouvoir sur la zone syrienne, en mettant en place des Atabegs, c’est à dire des gouverneurs, qui rapidement se succèdent de manière dynastique dans les principales villes de la région (Alep, Damas…). C’est la période des croisades (de la fin du XIe à la fin du XIIIe siècle), et l’émiettement du pouvoir au Proche-Orient est alors très fort.
Pendant ce temps, en Occident musulman, les choses ont pas mal bougé aussi. Le XIe siècle marque une période d’émiettement du pouvoir en Espagne, avec la période dite des Reyes de Taïfas : des petits royaumes centrés autour d’une ville principale. De l’autre côté de la Méditerranée, les vassaux des égyptiens fatimides (Hamadides et Zirides) et les zénètes du Maroc sont soudainement, au XIe siècle, submergé par une vague berbère venue du monde saharien . Les Almoravides, des fondamentalistes religieux, s’imposent à Marrakech en 1062, puis traversent Gibraltar en 1086 et conquièrent l’Espagne. Quelques décennies plus tard, les Almohades – même profil ethnique et religieux – suivent grosso modo le même chemin, en s’imposant à partir de 1130 au Maghreb, puis en Espagne à partir de 1145.
Mais en Espagne, c’est aussi la période de Reconquista. Une défaite écrasante à Las Navas de Tolosa, oblige les Almohades à quitter le territoire. Ne reste bientôt en Espagne qu’une minuscule dynastie sur un minuscule territoire autour de Grenade, les Nasride, qui se maintiennent jusqu’en 1492. Au Maghreb, les choses se gâtent également pour les berbères : du côté algérien, des 'Abd al-wadides se révoltent et prennent le pouvoir en 1236 ; un an plus tard, les Hafsides trouvent leur indépendance en Ifriqiya, autour de la ville de Tunis, et les Marinides mettent définitivement fin à la période berbère en 1269, en prenant Marrakech.
Si l’on se projette à nouveau dans la zone orientale (le lien entre les deux zones étant évidemment un élément complexe à gérer pour les candidats), les choses bougent également à partir de la fin du XIIe siècle. Saladin, le neveu encombrant de l’atabeg de Damas, un de ces gouverneurs plus ou moins inféodés aux Seljukides, est envoyé en Égypte à la rescousse des Fatimides. Il les sauve si bien qu’il prend leur place, profite de la mort du calife pour proclamer son propre pouvoir au Caire en 1171. Il se lance ensuite dans une réunification de la zone syrienne sou son propre pouvoir et fonde la dynastie des Ayyubides. Sa victoire à Hattin en 1187 sur les croisés, et la reprise de Jérusalem, lui confèrent un prestige et une légitimité forts ; malheureusement, ses successeurs sont beaucoup plus faibles, à nouveau le pouvoir se morcèle.
Ces successeurs de Saladin, membres de la dynastie Ayyubide, font appel pour se protéger à des esclaves-soldats, les Mamluks ; de plus en plus nombreux, ceux-ci finissent par prendre le pouvoir pour leur propre compte au Caire en 1250. Les premières années sont difficiles et chaotiques, mais deux événements leurs permettent d’asseoir leur pouvoir jusqu’au début du XVIe siècle (ouf, on en voit la fin !) : la bataille d’Ayn Jalut, menée par Baybars en 1261, et qui met fin à l’avancée des Mongols, puis la prise de Saint-Jean d’Acre par Qala’un, en 1291, qui met fin aux croisades.
Les Mongols ? Parlons-en, car leur rôle est majeur, même s’ils ne rentrent pas strictement dans le cadre de la question. Pour faire très simple, ce sont encore une fois des populations originaires d’Asie Centrale (de l’actuelle Mongolie), qui déferlent sur le monde islamique au début du XIIIe siècle, mené par Gengis Khān, puis par ses successeurs. Ils ravagent plusieurs villes, et, date fondamentale, s’emparent de Bagdad en 1258, pillent la ville, brûlent la bibliothèque. C’est pourquoi la question sur l’Irak s’arrête en 1258 : ensuite, ils s’installent dans la zone iranienne et dans le sud de la Russie actuelle, en plusieurs branches, mais ces dynasties ne sont pas dans le sujet. Par contre, la prise de Baghdad est fondamentale : le califat est renversé et ne peut plus se relever. Le calife abbaside se réfugie la queue entre les jambes en Égypte, où les Mamluks l’accueillent pour renforcer leur propre légitimité, mais sans lui autoriser aucun pouvoir.
Plus au nord, une nouvelle force commence à se développer. Parmi les populations turques qui nomadisent en Anatolie, une dynastie s’impose peu à peu : celle des Ottomans, dont les débuts sont mal connus, attachés un temps aux Seljukides, et qui finissent par s’imposer en Anatolie. L’absence de la notion d’Anatolie est je pense due au fait que le concepteur du sujet ne voulait pas les inclure. Toutefois, ils sont à prendre en compte, puisqu’ils s’étendent tout au long du XVe siècle. Ce sont eux qui prennent Constantinople en 1453, puis Le Caire en 1517, mettant fin à la dynastie Mamluke et à la question d’agreg, je pense, par la même occasion.
Et maintenant, quelques références de base et quelques thèmes identifiables (je ne mets pas les manuels type U Colin, Carré Histoire : ne m’en servant que rarement, je n’ai pas d’avis sur la question et vous les connaissez déjà ; j’essaye de rester francophone, même si la majeure partie des ouvrages valables sur l'histoire islamique est en anglais – ou en espagnol pour l’al-Andalus ; n’hésitez pas à compléter, je suis un peu sèche sur certains thèmes très historiques, étant plutôt orientée histoire de l’art dans mes études). :
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Outils fondamentaux :
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L’encyclopédie de l’Islam, 2e édition (Souvent abrégée en EI2). Attention, les entrées sont souvent au nom arabe, il y a un thésaursus pour s’y retrouver. Demande quand même une maîtrise de base avant de se plonger dans les articles, qui peuvent être ardus, mais qui proposent toujours une excellente biblio et un point de vue globalement à jour.
*Janine et Dominique Sourdel,
Dictionnaire historique de l’Islam, PUF, 1re ed. 1996, mais réédité plusieurs fois, pour la dernière en 2008 si mes souvenirs sont bons. Très très pratique pour débuter, avec une bonne biblio de base, des entrées par dynasties, personnages et thèmes. Tendance un peu culturelle, les deux auteurs étant portés sur l’histoire de l’art.
*Trois tomes de la Nouvelle Clio, intitulés
États, Sociétés et cultures du monde musulman médiéval, Xe-XVe siècle. Bon, bah la Nouvelle Clio, quoi. Le volume 1 est introuvable à l’achat.
*Evidemment, faire un tour dans l’Histoire et la Documentation photographique. Martinez-Gros a participé récemment au numéro de l’Histoire sur al-Andalus.
*Les cartes du site
Qantara et les cartes faites par l’atelier cartographique de Sciences Po pour le département des arts de l’Islam du Louvre (
sur le site de la catothèque) pourront s’avérer très utiles.
*Pour une première approche plutôt pas mal, dans un anglais accessible : James E. Lindsay,
Daily life in the medieval islamic world, Cambridge 2005, qui ne traite pas vraiment la vie quotidienne, mais de plein d’éléments politiques, religieux, militaires. C’est lisible et ça peut être une bonne lecture de vacances, ou une ouvrage où piocher. Un glossaire, des généalogies, une bonne biblio.
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Sur la succession des dynasties*Clifford Edmund Bosworth,
Les dynasties musulmanes, Sindbad, 1996. Une fiche avec les souverains de chaque dynasties et les événements marquants.
De manière, Bosworth est très bon à lire. Par chance, celui-ci est traduit.
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Administration, État… La question du califat et du rapport au pouvoir centralDominique Sourdel,
L’État impérial des califes abbasides, 1999
Vraiment fondamental : A. K. S. Lambton,
State and government in Medieval islam, 1981.
P. Crone.
God’s Rule : Government and Islam. 2004
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Justice et droit N.J. Coulson.
Histoire du droit musulman, traduit en 1995 au PUF.
(Je sèche un peu sur cette partie, proche de la thélogie).
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Rôle et composition de l’armée, dont problème des mamluks David Ayalon,
Le phénomène mamelouk dans l’Orient islamique, PUF, 1996
Chapitre 8 de Michael Bonner,
Le jihad, origines, interprétations, combats, Téraèdre, 2004, intitulé empires, armées, frontières, p. 145-191.
C. Yovitchitch,
Forteresses du Proche-Orient : livre d’archéologue sans immense intérêt pour la question, mais utile pour son premier chapitre, un historique très précis, et éventuellement son intro et sa conclusion pour l’importance des forteresses ayyubides à la période des croisades. Ne pas rentrer à l’intérieur : trop précis et architectural.
Bien mais en anglais :
Patricia Crone,
Slaves on horses. The evolution of Islamic polity Cambridge, 1980.
H. Kennedy,
The armies of the caliphs. Military and Society in early Islamic state, 2001
Yaacov Lev,
War and society in the eastern mediterranean, 7th -15th centuries, Brill, 1996
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Religion et pouvoir (sunnisme/chiisme, minorités religieuses, assassins) Parce qu’il faut connaître les bases de l’islam :
J. et D. Sourdel,
L’islam, coll. Que sais-je, dernière édition en 2009. De manière générale, vous pouvez vous ruer sur cet auteur, qui a fait rééditer récemment un manuel dans la collection des PUF sur l’Islam médiéval (les manuels avec une couverture verte).
M. A. Amir-Moezzi et al.
Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, 2007. Une BIBLE (ou plutôt un Coran, étant donné le contexte…).
Pour la traduction du Coran, éviter Kazimirski, qu’on trouve pas cher dans de nombreuses éditions, mais qui est beaucoup trop datée (avec l’usage de terme comme islamisme pour islam, par exemple). Celle de Denise Masson fait généralement consensus pour l’exactitude, celle d’Hamidullah est moins littérale mais se trouve sur Internet.
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Rapport avec la chrétienté : croisades, commerce et diplomatie Cécile Morrisson,
Les croisades, QSJ. Pratique et basique, en partie disponible sur Cairn.
Anne-Marie Eddé, Saladin – énorme et passionnant pavé biographique, pas forcément à lire in extenso dans le cadre de la préparation, mais à picorer, connaître et citer. Récent.
Sur le commerce occidental, il y a eu une question sur pays d’Islam et monde latin à l’agreg en 2001, avec les manuels qui vont bien.
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Villes et campagnes -
Catalogues d’exposition utiles à la fois pour l’art et la civilisation de manière plus générale .
Trésors fatimides du Caire, cat. exp. IMA.
L’Orient de Saladin, cat. exp. IMA.
Les Andalousies de Damas à Cordoue, cat. exp. IMA.
Pour l’instant, c’est ce que je vois de plus évident, mais certainement pas exhaustif ni tout à fait à jour.