Vous écrivez
"Les Juifs pourraient dire que Dieu ne leur a pas donné de livre, mais son alliance, et la terre d'Israël.
Quant aux Chrétiens, Dieu leur a tout simplement envoyé son fils.
On peut donc en conclure que ce passage du Coran fait référence à des doctrines juives ou chrétiennes qui ne font pas partie des courants que nous connaissons - pour le christianisme, on a parlé de la branche des Ebionites. L'Evangile dont il est question ici est donc un texte tout différent des quatre canonique.
En fait, la vision d'un Dieu donnant un Livre sacré dont il garde l'original est propre à l'Islam, parmi les trois grandes religions. Mais je sais que c'était aussi un dogme chez les Assyriens (j'essaierai d'en savoir plus) et je me demande s'il n'y a pas eu partage de croyance.
A moins qu'on ne suppose une influence perse avec l'Avesta du zoroastrisme.
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Sur ce sujet, Michel Chodkiewicz (ancien directeur du Seuil et grand islamologue) explique, après avoir rappelé les différences entre le Coran et Bible (au niveau du mode d'écriture, pas au niveau théologique s'entend) :
"
la dénomination de ahl al-kitab que les musulmans appliquent aux juifs et aux chrétiens si elle peut être, en référence à la Torah, acceptable par les premiers, soulève une objection théologique chez les seconds : pour eux, c'est la relation au Christ qui définit le chrétien et non la possession des Ecritures. Objection recevable, en effet, si l'on s'en tient au sens littéral de kitab, celui d'"écrit". d'autres significations seraient toutefois à considérer : dans le langage coranique, les révélations successives sont présentées comme autant d'écrits divins. Cela n'implique pas nécessairement qu'elles aient été données aux hommes sous la forme matérielle que ce terme évoque aussitôt. De surcroît, le verbe kataba a aussi le sens de "prescrire" et, selon la préposition qui le suit (li ou 'ala) il instaure un droit ou un devoir. Quand Dieu dit (Cor. 6:12) kataba 'ala nafsihi l-rahma, "Il s'est prescrit à Lui-même la Miséricorde", il ouvre aux hommes un droit à sa Miséricorde. Quand le Coran énonce (4:103) que la prière est un kitab mawqût, il affirme simplement qu'elle doit être accomplie à heures fixes et non pas qu'elle est un livre. Quand un musulman lit le Coran, le volume qu'il a entre les mains ne doit d'ailleurs pas être dénommé "Coran" mais mushaf, "codex" : la révélation n'est pas confondue avec son support. Seule une exploration de la littérature mystique me permettrait, cependant, de montrer que l'interprétation commune n'épuise pas les contenus du mot kitâb et permettrait donc de comprendre le sens profond de l'expression ahl al-kitâb".
Source : Michel Chodkiewicz, "Les musulmans et la parole de Dieu", extrait des actes du colloque tenu les 18-19 avril 1998 intitulé : "Bible et Coran. Les usages du Livre saint dans le christianisme et l'islam"; Revue de l'Histoire des Religions, volume 18, fascicule 1, janvier-mars 2001, p.15.
Je profite de l'occasion pour recommender à tou(te)s la lecture des très riches travaux menés par M. Chodkiewicz, en particulier sur Ibn Arabi et l'émir Abd al Kader : érudition et pédagogie au rendez-vous.
Pour en revenir au mot
kitab, n'oublions pas que les mots d'une langue, en particulier pour les langues sémitiques, sont porteurs de tout un univers mental, et d'une profondeur qui dépassent des traductions restrictives. La langue arabe est à la fois symbolique et polysémique... ce qui ne facilite pas la compréhension de l'homme moderne.