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Message Publié : 06 Août 2015 12:43 
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D’où viennent les Arabes ?

Stricto sensu, ceux qui sont de lignage arabe viennent de la péninsule Arabique. C’est un système généalogique que l’on trouve dans la Bible. Leur ancêtre commun est Ismaël, fils d’Abraham, père des Arabes. Avec le prophète Mahomet, les Arabes se sont islamisés et ont entamé une conquête de tout le Croissant fertile, de la Palestine à l’Irak. Cette conquête, du VIIe au XIe siècle, a provoqué un phénomène d’arabisation, même s’il y avait déjà des Arabes dans le Croissant fertile avant la conquête. C’étaient des marchands, des Bédouins, ce dernier mot ayant longtemps désigné les Arabes. Dans ces premiers siècles de la conquête, la conscience arabe s’oppose à l’identité du peuple perse. Mais cette identité arabe se dissout à la fin de la conquête. On se définit alors par sa religion, son métier et son lieu de résidence. Pas par son identité arabe.

Les Européens, lors des croisades, ont-ils eu conscience de se battre contre les Arabes ?

Non. Ils désignaient leurs ennemis par le terme de Saracènes, déjà utilisé par les Romains pour qualifier les Bédouins du désert. Saracène donnera Sarrasin.

Qu’en est-il de la langue arabe ?

C’est la langue du Coran. Elle connaît avec la diffusion de cette religion un développement foudroyant jusuq’au Maghreb et aux confins de l’Indus, ce qui permet aujourd’hui à un musulman indonésien de comprendre un musulman marocain. […]

Qu’est-ce qui va provoquer la naissance d’une conscience arabe ?

Bonaparte, lorsqu’il fait appel, pendant l’expédition d’Égypte, à cette conscience pour susciter une rébellion contre l’Empire ottoman, ne reçoit aucun écho. Au début du XIXe siècle, personne ne se considère comme arabe. Il faut attendre la lente désagrégation de l’Empire ottoman, à partir de 1820. […] Les identités sont donc redéfinies. […]

Au XIXe siècle, en quelques décennies, on rattrape plus de trois siècles. Le monde arabe et ottoman avait raté la révolution de l’imprimerie. […] En 1880, une révolution éclate en Égypte, dont le slogan est « L’Égypte aux Égyptiens ». Ces mouvements nationaux se construisent contre les étrangers européens et ottomans. De 1820 à 1880, la région récupère quatre mille ans d’Histoire. Les hiéroglyphes sont déchiffrés en 1820, puis le cunéiforme assyrien en 1840, avant le sumérien, en 1880. Ce progrès redéfinit aussi les identités, par exemple pour la Syrie, qui redécouvre Baalbek, Palmyre et tout un passé prestigieux. […] Car comment se fait-il, se disent les Arabes musulmans, qu’avec la meilleure religion nous soyons soumis aux autres ? Comme ils découvrent la pensée européenne, ils découvrent le protestantisme, qui, à la fin du XIXe siècle, semble le summum de la modernité. On adopte un modèle protestant dont on n’a pas fini de payer le prix. Les protestants sont revenus aux temps des premiers chrétiens pour retrouver la littéralité du texte. C’est ainsi que s’est construit le premier salafisme.

[…] On envisage même un empire turco-arabe sur le modèle de l’Autriche-Hongrie. Pendant la Première Guerre mondiale, tout le monde essaie de soulever les populations. Les Allemands tentent d’exciter les Algériens, les Marocains ; la France et la Grande-Bretagne font de même avec les Arabes chez les Ottomans alliés des Allemands. […] En 1916, le discours du chérif Hussein qui se soulève à La Mecque est d’abord islamiste. Mais les Français et les Anglais lui expliquent qu’il doit donner une couleur nationaliste et arabisante à ses convictions. Quand la révolte arrive à Damas en 1918, elle est arabiste. L’émir Fayçal s’adresse aux Arabes, qu’ils soient fidèles de Jésus ou de Mahomet. Il faut apparaître arabe, c’est le ticket d’entrée. […] Vous prenez l’identité régionale et vous y ajoutez une supra-identité arabe. Tous les pays qui vont naître adopteront cette formule. […]

Qu’en est-il de l’Égypte ?

Depuis 1850, un appareil d’État, qui s’est émancipé, promeut une identité égyptienne. […] Elle devient indépendante en 1922, mais prend conscience que, si elle veut exercer une influence sur son voisinage, elle doit se doter d’une identité arabe. En 1930, les intellectuels égyptiens disent que l’Égypte est un pays de culture arabe. Dix ans plus tard, ils corrigent : c’est un pays arabe. Ils basculent dans l’arabisme, alors que se développent les mouvements des Frères musulmans, qui ont au départ une vision arabiste. Une fois que l’Égypte bascule dans l’arabisme, l’Afrique du Nord suit, à la fin des années 30. Ce nationalisme arabe, que les Français espéraient voir cantonné au Proche-Orient, est adopté par les élites maghrébines. […] Jusqu’en 1962, il y a deux grandes causes arabes, l’algérienne et la palestinienne, celle-ci demeurant la seule après 1962. Mais ces États s’étaient construits vers 1920 sous la houlette des Français et des Anglais, engendrant un autre problème essentiel. Ces États se sont constitués avec des idéologies arabes niant la légitimité de l’État. S’ils veulent être les plus forts, ils doivent supprimer ces frontières héritées de la colonisation. Tout le monde est d’accord sur le principe, personne sur l’application. Les Arabes qui ont du pétrole n’ont pas envie de le partager avec les autres. […] Il y a cinquante projets de fusion, cinquante accords signés, mais, hormis la fusion pendant trois ans entre l’Égypte et la Syrie (1958-1961), où la Syrie a vite voulu se libérer de la domination égyptienne, aucun n’a abouti. […] Après les années 1970, le monde arabe se stabilise : il n’y a plus de révolutions. […] Alors s’installe la nouvelle opposition entre nationalisme arabe et islamisme.

[…]

Le retard sur la modernisation occidentale conduit à un rattrapage autoritaire. On passe en force. C’est l’Iran du chah, la Turquie kémaliste, l’Égypte de Nasser, la Syrie et l’Irak baasistes. […]

Les leaders nationalistes arabes ont toujours respecté la religion et l’islam. Même s’ils voulaient alphabétiser les masses, ils étaient conscients qu’ils ne pouvaient pas lutter contre les croyances populaires. Il faut mesurer le choc qu’imposaient ces leaders nationalistes à leur population pour l’essentiel rurale et sans éducation : une marche forcée, un choc culturel immense. C’est un bond de trois siècles dans le temps.

Que voulez-vous dire ?

Qu’à partir des années 60 on demande à des populations pour qui les tribus et les réseaux familiaux sont depuis des siècles le seul lien social d’obéir à un État. C’est la même chose pour les populations arabes qui émigrent en Europe à la même époque. On parle de l’« intégration ». Mais les Européens ont mis trois siècles à sortir de l’obscurantisme et nous demandons à des gens qui vivent depuis des centaines d’années avec des valeurs rurales d’adopter immédiatement nos valeurs.

Henry Laurens, titulaire de la chaire d’histoire contemporaine du monde arabe au Collège de France, Le Point 2229, 40-46


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