Moujik Looping a écrit :
Comment est-ce que ces positions qui semblent contradictoires se conjuguent ? (favorable à l'ijtihâd, condamnation innovation, primauté absolue du texte etc.)
Je pense que c'est assez facile, si l'on se souvient que la pensée islamique est essentiellement juridique.
L'
ijtihad n'est pas une réflexion libre sur les textes sacré, comme celle qui se développera en Europe au XVIIIe siècle, mais la capacité des juristes musulmans à trouver des solutions nouvelles à certains problèmes, sans se référer explicitement aux textes, Coran et Traditions, et sans utiliser le raisonnement par analogie, le
taqlid, qui permet d'étendre simplement le contenu d'un verset ou d'un hadith à un ensemble de situations (par exemple : interdire toute boisson alcoolisée alors que le Coran ne parle que de vin). Et d'ailleurs, même quand elle était autorisée, elle n'était absolument pas ouverte à tous, mais, aux grands savants appelés pour cela
mujtahid.
La prescription de toute innovation (
bid'a) est tout-à-fait normale dans le cadre de pensée musulman (comme celui de l'Europe médiévale) où une idée nouvelle ne peut trouver une audience qu'en se présentant comme la réhabilitation d'un usage ancien recommandés par les fondateurs, victime de déviations qui avaient amené les gens à l'oublier pour lui préférer une erreur.
Le paradoxe juridique que décrit Joseph Schacht dans son
Introduction au droit musulman vient de ce que les penseurs hanbalites comme Ibn Taymiyya considèrent également le taqlid comme une innovation ! De même, ils rejettent le principe de consensus de la communauté, même quand ladite communauté est limitée aux savants. Ils ont donc implicitement adopté l'ijtihad pour présenter une théorie juridique censément basée sur la tradition et le consensus des compagnons du prophètes. Mais si les disciples d'Ibn Taymiyya ont adopté sa théorie juridique, ils ont également gardé le droit positif élaboré avant lui. De là vient certainement l'ambiguïté relevée par Charles Saint-Prot.
Si vous lisez le livre de Saint-Prot, je vous remercie de dire ce que vous en pensez quand vous l'aurez lu.
En tout cas, le rigorisme du hanbalisme n'est pas une invention occidentale : j'en ai lu une allusion dans un passage de Naguib Mafhouz.
Pour finir, il faut préciser que le hanbalisme a été une école ultra-minoritaire dans l'histoire du droit musulman avant la révolution saoudienne. Ces membres n'ont jamais accédé à des postes de gouvernement, si on ne compte pas le prologue Wahhabite écrasé par les Turcs, et le XXe siècle est donc probablement le premier où le droit hanbalite est confronté à la réalité à grande échelle.