Je termine en ce moment un ouvrage à venir sur le sujet, et cela m'a permis d'aller plus avant encore. Je ne modifierai pas énormément mon article sur histoire-pour-tous, mais je nuancerai certains passages, en approfondirai d'autres :
- le lieu de la bataille : impossible d'être catégorique. Moussais est une théorie parmi d'autres, peut-être l'une des plus sérieuses, mais surtout basée sur les travaux de Roy et Deviosse qui, s'ils sont fouillés, sont quand même sujet à caution sur de nombreux points aujourd'hui. F. Micheau montre par exemple que la traduction de "balât" est à revoir (issue de sources arabes), et qu'on doit plus comprendre "palais" que "voie" (romaine), ce qui remet en cause quand même pas mal de choses. On peut en fait aujourd'hui seulement dire que la bataille s'est déroulée entre Poitiers et Tours, peut-être plus proche de cette dernière...
- la date : là c'est encore plus complexe, entre sources latines et arabes...J'aurais plutôt tendance à dire 732-733, plutôt que de choisir l'une des deux...Certains sources parlent même de 734, d'autres confondent cette bataille avec celle de Toulouse (721)...
- les circonstances : difficile de trouver les motivations d'Abd el-Rahman. La conquête ? Théorie impossible à affirmer : Micheau dit que c'est une razzia, Guichard que c'est une razzia, peut-être prémices à une conquête. Les sources qui parlent de femmes et d'enfants suivant l'armée islamique sont très postérieures et chrétiennes...Le gouverneur a probablement voulu punir le Berbère Munnuza pour son alliance avec Eudes d'Aquitaine, et surtout ses tentatives de sédition, puis en aurait profité pour lancer une razzia sur des lieux riches comme les abbayes et monastères de la région (le but étant probablement Saint-Martin de Tours)...Difficile de trouver d'autres raisons...Quant à l'intervention de Charles Martel, elle est opportuniste. Probablement pas pour punir Eudes de sa "trahison" (certaines sources chrétiennes l'accusent en effet de traîtrise par son alliance avec Munnuza, voire avec le gouverneur d'Al Andalus). Peut-être parce qu'Eues l'a appelé à l'aide après le désastre de Bordeaux...
- la bataille : la seule source qui détaille la bataille est l'Anonyme de Cordoue (ou Chronique mozarabe, ou de 754). Un historien militaire (Bachrach), l'utilisant tout en mélangeant avec ses connaissances sur l'armée carolingienne, en tente un récit, qui n'est pour moi qu'en partie convaincant, notamment sur les mouvements de troupes. On peut dire, pour résumer, que les Francs, qui n'avaient quasiment pas de cavalerie (elle se développera plus sous Charlemagne), ont résisté aux archers ennemis (l'arc arabe tirant plus loin qu'eux), puis à une charge, sans doute en partie de cavalerie. Les Arabes se sont débandés une fois leur gouverneur tué, mais les Francs ne les ont pas poursuivis. Le lendemain, CM pensait affronter une nouvelle fois l'armée ennemie devant son camp, mais celui-ci était vide. Pourtant, difficile encore d'être catégorique, vu que certaines sources disent que CM a franchi les tentes ennemies pour tuer Abd el-Rahman, d'autres que c'est Eudes qui a détruit le camp...Le plus important tout de même : c'est une défaite décisive, au moins tactiquement, surtout avec le gouverneur tué. On ne sait pas trop ce qu'il est advenu du reste de l'armée : on lit parfois qu'elle a été détruite, d'autres qu'elle a passé les Pyrénées après avoir pillé la région pendant plusieurs semaines...
- les conséquences : pour faire vite, la bataille n'est pas une escarmouche anodine. Deux chefs s'affrontent, l'un est tué, ce n'est pas rien déjà. Mais les conséquences sont diverses : > la bataille nuit au bout du compte à l'Aquitaine, mais à moyen terme car CM ne s'installe pas, et attend la mort d'Eudes en 735 pour vraiment tenter de s'incruster en Aquitaine. Et encore, la région tombe véritablement sous domination franque plus tard encore. > la bataille n'a pas arrêté une invasion, vu que le gouverneur ne visait que le pillage, à court terme en tout cas. Elle a en revanche poussé les Sarrasins à chercher d'autres routes, et c'est pour cela qu'ils se tournent vers la Provence, où ils s'accordent avec Mauronte, pour occuper des villes comme Arles et Avignon. Après Poitiers, il y a plusieurs batailles, dont une sur la Berre, en 737, mais aussi des échecs comme la reprise de Narbonne (puisqu'elle ne tombe qu'en 759).
La postérité de la bataille, qui grossit son importance, est donc bien le fait de son habile utilisation politique, par CM lui-même déjà, puis par d'autres souverains comme Louis IX plus tard. Et évidemment au XIXe siècle et aujourd'hui. Pourtant, CM est loin d'être toujours en odeur de sainteté, si je puis dire, dans les sources ecclésiastiques du Moyen Âge. Sa popularité jusqu'à nos jours est très fluctuante...
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