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Message Publié : 10 Jan 2008 13:35 
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Plutarque
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Je confirme : en 1964, j'ai vu beaucoup de travaux à l'intérieur des palais .


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Message Publié : 16 Fév 2008 17:34 
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Lisotchka a écrit :
Je me souviens d'un vieux monsieur, dans un reportage, racontant que la reconstitution de la prise du Palais d'Hiver dans Octobre d'Eisenstein, avait fait plus de dégâts que la vraie...


Effectivement, si j'ai vu le même reportage que vous, seule une vitre du palais fut brisée. :wink:

Lisotchka a écrit :
Je pense que comme la révolution a été faite lentement, en diverses étapes, au final, il n'y a pas eut tant de vandalisme qu'en France à partir de 1789...


Je ne suis pas si sûr de cela... Tant pour la révolution Russe que pour la révolution française, ce sont les bourgeois qui ont le plus souffert du vandalisme. En effet, le manque de nourriture, poussait les paysans français ainsi que russe à attaquer les commerces. Donc je pense qu'autant d'acte de vandalisme ont été commis dans ces deux pays...
A vérifier

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Message Publié : 19 Fév 2008 19:24 
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Localisation : Ici et là, mais toujours devant un ordinateur!
Je parlais de vandalisme culturel (c'est l'abbé Grégoire qui a inventé ce mot pour parler des destructions patrimoniales en 1794).

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"L'opinion publique n'existe que là où il n'y a pas d'idées."
"On devrait toujours être légèrement improbable."
Oscar WILDE


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 Sujet du message : Re: St Pétersbourg
Message Publié : 06 Fév 2010 18:44 
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Jean Froissart
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Qu'il me soit permis de conter ici la naissance de la ville à l'aide du chapitre XXV "la fondation de Saint-Pétersbourg" du Pierre le Grand de Robert Kinloch Massie, aux éditions Fayard :

Ce fut peut-être le hasard. Au début, Pierre n’avait pas la moindre intention de bâtir une ville et moins encore une nouvelle capitale sur la Néva. Il voulait d’abord un fort pour garder l’embouchure du fleuve, puis un port afin que les navires commerçant avec la Russie puissent éviter le long trajet jusqu’à Arkhangelsk. S’il avait pris Riga en premier — port florissant, centre déjà important d’échanges avec la Russie et libre de glaces six semaines de plus que l’embouchure de la Néva —, Saint-Pétersbourg n’aurait peut-être jamais été construit. Mais Riga ne tomba entre ses mains qu’en 1710, et c’est à l’emplacement du futur Saint-Pétersbourg qu’il mit le pied pour la première fois sur le littoral balte. Il n’attendit pas. Savait-on ce que l’avenir réservait ? Saisissant l’occasion comme toujours, il commença à bâtir.

Bien des traits de Saint-Pétersbourg sont uniques. D’autres pays, dans l’exaltation de la jeunesse ou une frénésie de réformes, ont créé de nouvelles capitales en des lieux jusqu’alors désert : Washington, Ankara ou Brasília en sont des exemples. Mais aucun autre ne l’a fait en temps de guerre, sur un territoire appartenant encore théoriquement à un ennemi puissant et invaincu. De plus, 1703 était une date bien tardive dans l’histoire de l’Europe pour fonder une grande ville. A cette époque, des centres urbains importants avaient même surgi dans les colonies américaines : New York existait depuis soixante-dix-sept ans, Boston, depuis soixante-treize, Philadelphie, depuis soixante. En outre, Saint-Pétersbourg, aujourd’hui deuxième ville de Russie par ordre d’importance, qui fut capitale pendant deux cents ans, est la plus septentrionale de toutes les grandes métropoles du monde. La transférer à la même latitude sur le continent américain équivaudrait à faire surgir une agglomération de 3,5 millions d’habitants à l’entrée de la baie d’Hudson.

Quand Pierre sortit des forêts, là où la Néva se jette dans la mer, il découvrit un marécage parfaitement plat et vide. Le large fleuve décrit un coude en direction du Nord, puis coule vers l’Ouest jusqu’au golfe ; sur les dix derniers kilomètres, il se divise en quatre bras, qui coupent de nombreux cours d’eau serpentant au travers des marais, pour former plus d’une douzaine d’îles couvertes de broussailles et d’arbres rabougris. En 1703, toute la région gorgée d’eau n’était qu’une immense fondrière. Au printemps, les brouillards provoqués par la fonte des neiges et des glaces s’y accrochaient ; quand les vents du Sud-Ouest violents soufflaient du golfe de Finlande, ils refoulaient les eaux du fleuve, qui recouvraient alors bon nombre des îles. Les marchands eux-mêmes, qui utilisaient la Néva depuis des siècles pour atteindre l’intérieur du pays, n’y avaient jamais construit d’établissements permanents : l’endroit était trop sauvage, trop humide, trop malsain — inhabitable pour des humains. En finnois, neva signifie marais.

Le fort de Nyenskans était à 7 km en amont. Plus près de la mer, sur la rive gauche, un propriétaire finnois avait une petite ferme. Sur l’île Enisséri au milieu du fleuve, des cabanes de pisé, très primitives, abritaient quelques pêcheurs pendant les mois d’été ; chaque fois que l’eau montait, ils les abandonnaient pour se réfugier sur un terrain plus élevé. Mais aux yeux de Pierre, le fleuve au courant rapide et silencieux, plus large que la Tamise à Londres, était magnifique. C’est là qu’il décida de construire une nouvelle forteresse, plus importante, pour défendre l’embouchure récemment conquise. Les travaux commencèrent le 16 mai 1703, date de la fondation de Saint-Pétersbourg.

La forteresse qui devait porter le nom des apôtres Pierre et Paul serait assez vaste pour recouvrir toute l’île, afin d’être entièrement entourée par la Néva et ses affluents. Le côté Sud se trouvait protégé par le fleuve, tandis qu’aux abords des autres, des cours d’eau s’entrecroisaient sur des étendues boueuses. Comme l’île elle-même était basse, marécageuse et parfois inondée, il fallut commencer par apporter de la terre pour élever le sol. Les travailleurs n’avaient que des pioches et des pelles grossières ; faute de brouettes, ils mettaient la terre dans leur chemise ou dans des sacs et la transportaient à bout de bras jusqu’à l’emplacement des remparts.

Malgré tout, au bout de cinq mois, la forteresse commençait à prendre forme ; celle d’hexagone oblong flanqué de six grands bastions construits chacun sous la direction personnelle d’un ami du tsar, et portant chacun son nom : Menchikov, Golovine, Zotov, Troubetskoï et (Cyrille) Narychkine. Le sixième était celui de Pierre. Les matériaux employés à l’origine se limitaient à la terre et au bois ; mais par la suite, Pierre fit reconstruire les remparts avec des murs de pierre, plus hauts que les précédents. Ils se dressaient, sombres et implacables, à 10 mètres au-dessus des vagues de la Néva, défendus par des rangées de canons.

Juste à leur pied, une petite cabane en rondins servit de logis au souverain pendant la durée des travaux. Construite par des charpentiers entre le 24 et le 26 mai 1703, elle mesurait environ 17 mètres sur 6 et comprenait trois pièces : une chambre à coucher, une salle à manger et un bureau. Pas de cheminée, Pierre ayant l’intention de ne l’occuper que pendant les mois d’été. Il s’était efforcé de cacher qu’il s’agissait en fait d’une isba : les fenêtres aux panneaux de mica étaient grandes et treillissées comme en Hollande, les bardeaux du toit pentu, posés et peints pour imiter les tuiles, les murs, planés et couverts d’un réseau de lignes blanches pour imiter les briques. Telle elle subsiste aujourd’hui, ancêtre de toutes les demeures de la ville, protégée par plusieurs enveloppes extérieures.

Les travaux furent poussés en toute hâte, parce qu’à cette époque Pierre ne savait jamais quand les Suédois reviendraient. En fait, ils revinrent chaque été. En 1703, moins d’un mois après l’occupation du delta par les Russes, une armée de 4 000 hommes venue du Nord campa sur le bord de la Néva. Le 7 juillet, Pierre conduisit personnellement six régiments contre elle — quatre de dragons et deux d’infanterie, soit 7 000 hommes —, la battit et l’obligea à reculer. Il s’exposa continuellement au feu, si bien que Patkul, qui était présent, dut lui rappeler qu’il était « mortel comme les autres hommes, et qu’une balle de mousquet pourrait bouleverser toute l’armée et mettre le pays gravement en danger ». Durant ce premier été, l’amiral Nummers maintint neuf navires à l’ancre dans l’embouchure de la Néva, bloquant l’accès au golfe et attendant l’occasion d’intervenir contre les retranchements russes qui s’étendaient en amont. Pendant ce temps, Pierre était retourné sur les chantiers du lac Ladoga pour hâter les constructions, et finalement un certain nombre de bateaux, comprenant la frégate Standard, arriva devant la nouvelle forteresse. Incapables de s’attaquer aux forces supérieures de Nummers, ils attendirent que l’approche du mauvais temps l’obligeât à se retirer, après quoi Pierre fit sortir le Standard dans le golfe de Finlande.

Instant historique. La première croisière dans la Baltique d’un tsar russe sur un bateau russe. Bien qu’une pellicule de glace se formât déjà sous les vagues grises, Pierre avait hâte d’explorer. A sa droite, tandis qu’il faisait voile vers l’Ouest, il voyait les promontoires rocheux du littoral carélien se perdre à l’horizon en direction de Vyborg. A sa gauche, les collines basses de l’Ingrie déroulaient leurs ondulations jusqu’à Narva. Juste devant lui, à quinze milles du delta de la Néva, l’île que les Russes allaient appeler Kotline, futur emplacement de la base navale fortifiée de Kronstadt. Mesurant la profondeur d’eau autour de l’île, Pierre, qui tenait lui-même la ligne de sonde, constata qu’il n’y avait pas assez de fond au Nord pour permettre la navigation : mais au Sud, un chenal conduisait jusqu’à l’embouchure du fleuve. Pour protéger ce passage et implanter un avant-poste protégeant l’ouvrage plus important qu’il était en train d’établir sur Kotline, Pierre ordonna la construction d’un fort au bord du chenal, au milieu de l’eau. Entreprise difficile : il fallut traîner sur la glace des caissons remplis de pierres, puis les couler pour constituer des fondations. Mais dès le printemps, une petite redoute avec 14 canons sortait directement de la mer.

Dès le début, Pierre avait eu l’intention de transformer sa tête de pont sur la Baltique en port de commerce aussi bien qu’en base navale. Sur ses instructions, Golovine écrivit à Matvéev alors à Londres d’inciter les navires de charge à relâcher dans le nouveau port. Le premier, un Hollandais, arriva en novembre 1703, alors que le site n’était aux mains des Russes que depuis six mois. Apprenant que le bâtiment se présentait à l’embouchure, Pierre monta à son bord et prit lui-même la barre pour lui faire remonter le fleuve. La surprise du commandant, en découvrant l’identité de son royal pilote, n’eut d’égal que le plaisir de ce dernier, quand on lui dit que la cargaison de vin et de sel appartenait à son vieil ami Corneille Calf, de Zaandam. Menchikov donna un banquet pour l’officier qui reçut en outre 500 ducats. Pour célébrer plus dignement encore l’événement, le bateau lui-même fut rebaptisé Saint-Pétersbourg et définitivement exempté de tous droits et taxes russes.
Des avantages semblables furent promis aux deux bateaux suivants qui entreraient dans le nouveau port, et avant longtemps un autre Hollandais et un Anglais jetèrent l’ancre pour les réclamer. A partir de ce moment, Pierre fit tout son possible pour encourager les navires marchands étrangers à utiliser Saint-Pétersbourg. Il réduisit les taxes à moins de la moitié de ce que les Suédois levaient dans les ports baltes contrôlés par eux, et promit de vendre des produits russes à bas prix aux Anglais, à condition que ceux-ci vinssent les vendre à Saint-Pétersbourg plutôt qu’à Arkhangelsk. Par la suite, il devait faire usage de sa puissance souveraine pour détourner de leur route traditionnelle vers l’Arctique des proportions considérables de tout le trafic commercial russe, et les diriger sur les nouveaux ports de la Baltique.


Afin de renforcer son emprise sur cette récente possession, Pierre fit aussi de grands efforts pour construire des bateaux dans les chantiers du Ladoga. Il écrivait à Menchikov, le 23 septembre 1704 : « Ici, par la grâce de Dieu, tout marche assez bien. Demain et le jour après, trois frégates, quatre senaux, un bateau-poste et une galiote seront lancés. » Mais les eaux du lac étaient pleines de traîtrises, et trop de ces navires trouchaient ou sombraient sur la rive Sud, en approchant de Schlüsselbourg. Pierre décida alors que le remède était de transférer le principal chantier à Saint-Pétersbourg, pour éviter la traversée de Ladoga. Il posa donc, en novembre 1704, les fondations de nouvelles installations sur la rive gauche de la Néva, juste en aval de la forteresse Pierre-et-Paul. A l’origine, l’Amirauté n’était qu’un simple chantier de construction, vaste rectangle bordé d’un côté par l’eau et des trois autres par des rangées de cabanes en bois servant d’ateliers, de forges, d’habitations pour les ouvriers et d’entrepôts pour les cordages, les voiles, les canons et les pièces de bois. Sur la section centrale, utilisée pour les bureaux et qui devait devenir par la suite le quartier-général de la marine russe, s’élevait une mince flèche en bois surmontée d’une girouette ayant la forme d’un bateau. C’est à son pied, dans l’espace découvert entouré par les cabanes, que les bateaux de Pierre furent construits. Les coques assemblées au bord de la Néva étaient lancées sur ses eaux et remorquées jusqu’aux quais pour y être armées. Peu après sa fondation, Pierre, craignant que l’Amirauté fut trop exposée à d’éventuelles attaques suédoises, fit fortifier les trois faces du côté de la terre au moyen de hauts remparts en pierre, de glacis et de fossés qui dotèrent la ville d’un deuxième bastion, presque aussi puissant que la forteresse Pierre-et-Paul elle-même.

Plus le temps passa et plus la vision du tsar s’élargit. Il se mit à voir dans Saint-Pétersbourg bien plus qu’une forteresse gardant l’embouchure de la Néva, voire un entrepôt, des quais et des chantiers de construction pour les bateaux de guerre et de commerce sur la Baltique. Il se mit à la voir comme une ville. Or, un architecte italien, Domenico Trezzini, qui avait construit un beau palais pour le roi Frédéric IV de Danemark, arriva en Russie juste à ce moment-là. Son style, comme la plupart des architectes exerçant alors en Europe du Nord, avait été très fortement influencé par la Hollande, et c’étaient ces formes du baroque nordique qu’il protestant qu’il importait. Il avait signé, le 1er avril 1703, un contrat qui, faisant de lui le maître des constructions et fortifications du tsar, l’amena sans perdre de temps au bord de la Néva. Pendant neuf ans, tandis que les premières ébauches en rondins étaient reconstruites en brique et en pierre, Trezzini marqua la ville de son sceau. Les ouvriers peinaient encore sur les fondations en terre de la forteresse qu’il commençait à élever une petite église fonctionnelle ; et comme il manquait de matières nobles pour décorer l’intérieur, il couvrit ses murs de stuc jaune imitant le marbre. En 1713, il commença la construction de la cathédrale Pierre-et-Paul qui, après de nombreuses modifications, se trouve aujourd’hui encore au même endroit, avec sa flèche dorée qui s’élève à 120 m dans les airs."

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"L'Angleterre attend que chaque homme fasse son devoir" (message de l'amiral Nelson à Trafalgar)


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 Sujet du message : Re: St Pétersbourg
Message Publié : 06 Fév 2010 18:54 
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Jean Froissart
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Pierre doit gérer ou essayer de gérer la naissance de la ville, avec les avatars et ennuis inhérents à toute nouvelle cité éloignée de Moscou : population à trouver, contrée peu riche en ressources naturelles, éloignement de Moscou... Mais il y croit, malgré le scepticisme de ses compatriotes :

"Ces programmes de construction sans fin exigeaient une main d’œuvre effarante. Pour enfoncer les pilots dans les marais, abattre et traîner les troncs, charrier les pierres, faire disparaître les forêts, raser les collines, tracer les rues, construire les bassins et les quais, élever les maisons, creuser les canaux, aménager les chantiers navals innombrables, il fallait des bras et encore des bras. Aussi, année après année, Pierre lança-t-il des oukases appelant au travail à Saint-Pétersbourg charpentiers, tailleurs de pierre, maçons et surtout paysans sans qualifications. De toutes les régions de son empire, un flot de malheureux — cosaques, Sibériens, Tatars, Finnois — était dirigé sur le chantier. On leur donnait l’agent du voyage et de quoi vivre pendant six mois ; après quoi, s’ils étaient encore en vie, ils pouvaient rentrer chez eux, et leur place était prise par un autre contingent l’été suivant. Fonctionnaires locaux et nobles chargés par Pierre de les recruter et de les acheminer protestaient, disant que des centaines de villages étaient ruinés par le départ de leurs meilleurs éléments, mais il ne voulait rien entendre.

Les conditions de vie étaient effroyables. Les hommes, logés dans des cabanes dégoûtantes et surpeuplées, couchaient à même le sol mouillé. Scorbut, dysenterie, malaria et autres maladies les fauchaient par milliers. Les salaires n’étaient pas payés régulièrement, et les désertions, chroniques. On ne connaîtra jamais, bien sûr, le nombre exact de morts : à l’époque de Pierre on l’estimait à 100 000. Par la suite, les évaluations se réduisirent à 25 ou 30 000, mais personne ne nie que Saint-Pétersbourg ait été « une ville construite sur des ossements ».

Avec la main d’œuvre, il fallait importer les matériaux de construction. Les étendues marécageuses le long de la Néva ne fournissaient que bien peu de bois d’œuvre et presque pas de pierres. Les premières vinrent de la démolition du fort de la ville de Nyenskans ; ensuite, pendant des années, chaque charrette, chaque traîneau, chaque voiture, chaque bateau russe arrivant dans la ville dut apporter sa quote-part de pierres avec son chargement normal. Des bureaux spéciaux étaient installés sur les quais et aux portes pour les réceptionner, et s’il n’en avait pas, le véhicule ne pouvait entrer dans la ville. Parfois, quand elles étaient très demandées, un haut fonctionnaire décidait du sort de chacune. Afin de conserver le bois pour les constructions, il était interdit d’abattre les arbres dans les îles, et personne n’avait le droit de chauffer sa cabine de bains plus d’une fois par semaine. Les troncs étaient amenés des forêts du lac Ladoga et de Novgorod ; ensuite, des scieries nouvellement construites, actionnées par le vent et le courant, les débitaient en poutres et en planches. En 1714, quand on constata que les opérations étaient ralenties par le manque de maçons, Pierre décréta que jusqu’à nouvel ordre aucune maison de pierre ne pourrait être construite à Moscou, « sous peine de confiscation des biens et d’exil ». Peu après, il étendit l’interdiction à l’empire entier. Inévitablement, tous les maçons, dans toute la Russie, ramassèrent leurs outils et se dirigèrent vers Saint-Pétersbourg, à la recherche de travail.

La ville avait besoin d’une population. Or, bien rares étaient ceux qui choisissaient délibérément d’y vivre, aussi, dans ce cas-là encore, Pierre fit-il usage de la force. En mars 1708, il « invita » sa sœur Nathalie, ses demi-sœurs Marie et Théodosie, les deux tsarines douairières Marthe et Prascovie, ainsi que des centaines de nobles, de hauts fonctionnaires et de riches marchands à venir le rejoindre à Saint-Pétersbourg au printemps, et personne selon Whitworth « n’était autorisé à invoquer l’âge, les affaires ou la maladie pour s’en dispenser ». Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils n’étaient pas enthousiastes. Accoutumés à une vie facile dans les environs de Moscou, où ils avaient de grandes maisons et où tout l’approvisionnement était apporté de leurs propres domaines, ou acheté à bas prix sur les marchés florissants de la capitale, ils se voyaient obligés de construire à grands frais de nouvelles maisons dans un marécage balte, de payer des sommes exorbitantes pour des denrées qui avaient parcouru des centaines de kilomètres, et beaucoup calculaient qu’ils y perdaient les deux tiers de leur fortune. Ils détestaient en général l’eau dont le tsar raffolait, et aucun ne mettait le pied sur un bateau s’il n’y était pas obligé. Néanmoins, ils vinrent — ils n’avaient pas le choix. Négociants et boutiquiers les suivirent, un peu réconfortés à l’idée de vendre leurs marchandises à des prix monstrueux. Nombre d’ouvriers aussi, ayant achevé leur travail forcé, restaient sur place, ne voulant ou ne pouvant pas refaire à pied le long parcours jusque chez eux, et les nobles les engageaient pour construire les demeures exigées par le tsar. En fin de compte, des milliers d’entre eux se construisirent des maisons et s’installèrent à Saint-Pétersbourg, encouragés par Pierre qui ne manquait pas, quand il y était invité, de poser la première pierre et de boire un verre à la santé du propriétaire.

Ni l’emplacement ni le style des constructions n’était laissé au goût ou au hasard. Les familles nobles étaient priées d’adopter le « style anglais » à colombages pour leurs maisons sur la rive gauche de la Néva (celles qui possédaient plus de 500 serfs devaient les faire à deux étages) ; un millier de marchands et de commerçants fut contraint d’élever des maisons de bois sur la rive opposée. Construites en hâte par des ouvriers rétifs pour des propriétaires malheureux, ces nouvelles demeures avaient souvent des toits peu étanches, des murs fissurés et des planchers de guingois. Néanmoins, voulant ajouter à la majesté de la ville, Pierre finit par ordonner à tous les habitants fortunés dont les maisons n’avaient qu’un étage d’en ajouter un deuxième, et, afin de les aider, chargea Trezzini de faire des plans gratuits dans le style voulu pour des demeures de grandeurs différentes.

La plus grande partie de la ville étant bâtie en bois, des incendies éclataient presque toutes les semaines, et pour essayer de limiter les dégâts, le tsar organisa un système de surveillance constante. La nuit, des guetteurs postés dans les clochers des églises scrutaient les toits, et au premier signe de sinistre, celui qui l’avait repéré sonnait la cloche, dont le signal était aussitôt repris par les autres à travers toute la ville. Le tintamarre réveillait les tambours qui sautaient du lit et allaient battre de leur instrument dans les rues, bientôt pleines d’hommes courant au feu, la hache à la main. Les soldats qui se trouvaient sur place devaient eux aussi se précipiter pour prêter main forte. Finalement, tous les officiers civils ou militaires stationnés à Saint-Pétersbourg reçurent une affectation spéciale pour laquelle ils touchaient un petit supplément de salaire ; les absences entraînaient une sanction rapide. Pierre lui-même avait sa tâche et sa prime comme les autres. « Il est courant, dit un observateur étranger, de voir le tsar grimper au milieu des ouvriers, la hache à la main, au sommet de maisons en flammes, s’exposant à de tels dangers que les spectateurs tremblaient à ce spectacle... »

L’hiver, quand l’eau gelait, haches et hachettes étaient les seuls outils utilisables pour lutter contre les incendies. La présence de Pierre produisait toujours grand effet. Selon l’ambassadeur du Danemark, Juste Juel, « comme son intelligence est extraordinairement vive, il voit aussitôt ce qu’il faut faire pour éteindre le feu ; il monte sur le toit, se porte aux endroits les plus dangereux, incite les nobles comme le commun à aider aux efforts, et ne s’arrête qu’une fois l’incendie maîtrisé. Mais quand le souverain est absent, les choses sont bien différentes. Alors les gens regardent les feux avec indifférence, et ne font rien pour aider à les éteindre. Inutile de les sermonner, ou même de leur offrir de l’argent ; ils attendent simplement l’occasion de voler quelque chose ».

L’autre danger toujours présent était l’inondation. Saint-Pétersbourg était construit au niveau de la mer, et quand la Néva montait de plus de quelques dizaines de centimètres, la ville était envahie par les eaux.

« Le 9 à minuit, il vint de la mer par le Sud-Ouest un vent si violent que la ville était complètement sous l’eau, écrit un résident britannique en janvier 1711. Nombre d’habitants auraient été surpris et noyés si les cloches n’avaient pas été sonnées pour les réveiller et les faire grimper sur le toit de leur maison. La plus grande partie de celles-ci et du bétail a été détruite. » Presque chaque année à l’automne, la Néva débordait, les caves étaient inondées et les provisions perdues ; le courant emportait tant de planches et de poutres qu’on en arriva à considérer comme un crime passible de mort de les repêcher avant que le propriétaire pût les récupérer. En novembre 1721, un furieux coup de vent Sud-Ouest refoula une fois de plus les eaux du fleuve dans les rues, entraînant un deux-mâts qui s’échoua le long d’une maison. « Le dommage qu’elle [la tempête] a causé est inexprimable, écrivit l’ambassadeur de France à Paris. Il ne reste pas une seule maison qui n’ait eu sa part. Les pertes sont évaluées à deux ou trois millions de roubles... Le tsar, comme un autre Philippe d’Espagne [après la perte de l’Armada], a fait voir la grandeur de son âme par sa tranquillité ».

Quinze ans après sa fondation, alors que les grands palais s’élevaient le long des quais de la Néva, et que les jardiniers français plantaient des massifs de fleurs bien géométriques, la vie quotidienne à Saint-Pétersbourg était encore, selon les termes d’un étranger, « un bivouac hasardeux et précaire ». Une des difficultés tenait à ce que le région était incapable de se nourrir. Le delta, avec ses immenses étendues d’eau, de broussailles et de marais, produisait rarement de bonnes récoltes, et les années humides, celles-ci pourrissaient parfois avant de mûrir. Certes, la nature sauvage était secourable : il y avait des fraises, des airelles et une abondance de champignons que les Russes mangeaient comme une gourmandise se choix avec du sel et du vinaigre. Il y avait de petits lièvres à la chair sèche et coriace, dont la fourrure grise devenait blanche l’hiver, des oies et des canards sauvages ; les poissons pullulaient dans les rivières et les lacs, mais les étrangers regrettaient de ne pouvoir l’acheter frais, les Russes le préférant salé ou conservé dans le vinaigre. Mais malgré ce que fournissaient le sol, la forêt et l’eau, Saint-Pétersbourg serait mort de faim sans le ravitaillement envoyé de l’extérieur. Des milliers de charrettes chargées venaient de Novgorod et même de Moscou pendant les mois chauds, relayés par des traîneaux l’hiver. Si ces approvisionnements étaient un tant soit peu retardés en route, les prix augmentaient immédiatement dans la ville et les villages avoisinants, ou, à l’inverse du processus normal, c’était elle qui fournissait les denrées alimentaires à ses satellites.

Dans les étendues sans fin qui entouraient « Pieterbourg », hérissées de bouleaux malingres, de pins rabougris, de broussailles et de marécages, le voyageur qui s’aventurait en-dehors de la route se perdait très vite. Les rares fermes se trouvaient dans des clairières reliées par des sentiers que rien ne signalait, et les fourrés étaient infestés d’ours et de loups. Les ours étaient les moins dangereux parce qu’en été ils avaient assez à manger et l’hiver ils dormaient, mais les loups, nombreux en toutes saisons, chassaient par le froid en meutes agressives de trente ou quarante bêtes, la faim les poussant alors à entrer dans les cours de ferme pour attraper les chiens, voire attaquer les chevaux et humains. En 1714, deux soldats montant la garde devant la principale fonderie de Saint-Pétersbourg furent l’un dévoré sur place et l’autre si cruellement mordu qu’il mourut peu après. En 1715, une femme fut déchiquetée en plein jour dans l’île Vassililevski, non loin du palais du prince Menchikov.

Bien peu de Russes souhaitaient vivre dans cette contrée humide, désolée et dangereuse, ce qui n’a rien d’étonnant. Elle resta vide tant que la guerre et la peste décimèrent la plupart des indigènes de langue finnoise qui l’habitaient. Puis Pierre donna des terres à ses nobles et à ses officiers qui amenèrent leur famille, voire des villages entiers, pour s’y installer. Les gens simples, arrachés aux prairies et aux collines agréables des alentours de Moscou, souffraient horriblement mais ne se plaignaient pas. « Ils se soumettent cependant tous, tant grands que petits, avec une patience et une résignation surprenantes, écrivait Weber. Un Luthérien qui était ministre en Moscovie m’a raconté qu’ayant eu l’occasion d’interroger quelques paysans du pays sur leur créance, et leur ayant demandé s’ils savaient ce qu’ils devaient faire pour obtenir la vie éternelle, ils lui avaient répondu qu’il était même fort incertain si le Ciel était fait pour eux, et qu’ils croyaient que la félicité éternelle était réservée au tsar et à ses grands boyards. »

Il n’y avait pas que le commun qui détestât Saint-Pétersbourg. Nobles russes et ambassadeurs étrangers murmuraient et se demandaient combien de temps la ville survivrait à son fondateur. La tsarevna Marie déclarait : « Pétersbourg ne durera pas après nous. Puisse-t-il toujours rester un désert. » Quelques-uns seulement voyaient plus loin. Menchikov était de ceux-là, qui assurait que la ville deviendrait une autre Venise, et qu’un jour les étrangers feraient le long voyage uniquement par curiosité, pour jouir de sa beauté."

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Message Publié : 06 Fév 2010 21:36 
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Jean Froissart
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Issu de l'article "Saint-Pétersbourg" de Wikipédia, le plan de la ville en 1705, sous le règne de son créateur :

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Message Publié : 07 Fév 2010 17:38 
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Jean Froissart
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Inscription : 21 Sep 2008 16:42
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Localisation : Seine et Marne
Voici la fin de ce chapitre XXV du Pierre le Grand de Robert Kinloch Massie, qui montre l'amour de Pierre pour sa création et le mépris suédois de l'époque, mépris qui sauva la ville d'une tentative de siège par la flotte suédoise et l'armée de Charles XII :

"Les Suédois ne comprirent jamais l’attachement farouche de Pierre pour ces marécages, et sa détermination à garder la nouvelle ville devint le principal obstacle à la paix. Alors que la fortune des armes lui était contraire, il accepta de rendre tout ce qu’il avait conquis en Livonie et en Estonie, mais jamais il n’envisagea d’abandonner Saint-Pétersbourg et l’embouchure de la Néva. Rares étaient ceux qui en Suède comprenaient qu’il avait définitivement coupé en deux l’empire balte de leur pays, que le coin enfoncé entre les provinces Nord et Sud, interrompant les lignes de communication à travers le delta de la Néva, laissait présager leur perte. La plupart d’entre eux jugeaient le revers relativement peu important, très réparable, et Pierre stupide. Sachant avec quelle violence les vents refoulaient les eaux dans le delta et inondaient les îles marécageuses, ils pensaient que les éléments auraient vite fait de détruire l’embryon de ville. La nouvelle création devint la cible des quolibets, et toute la Suède adopta l’attitude suprêmement assurée de son roi : « Que le tsar se fatigue à fonder de nouvelles villes. Nous garderons pour nous l’honneur de les prendre. »

Pierre donna à la nouvelle-née le nom de son saint patron et elle devint la gloire de son règne, son « paradis », son « Eden », sa « chérie ». En avril 1706, il commençait ainsi une lettre à Menchikov : « Je ne peux m’empêcher de décrire ce paradis. Vraiment, ici nous vivons au ciel. » La ville finit par représenter — en brique et en pierre — tout ce qui était important dans la vie du tsar : sa fuite loin des intrigues ténébreuses, des fenêtres minuscules et des salles voûtées de Moscou ; son arrivée au bord de la mer ; l’ouverture à la technologie et à la culture de l’Europe occidentale. Il aimait sa création d’amour, trouvant un plaisir sans fin à voir le fleuve puissant se précipiter dans le golfe, les vagues clapoter sous les murs de la forteresse, la brise salée gonfler les voiles de ses bateaux neufs. La construction de la ville devint sa passion. Aucun obstacle ne pouvait l’empêcher d’exécuter son dessein ; il y consacrait son énergie, des millions de roubles et des milliers de vies. Au début, fortifications et défenses étaient son premier souci, mais au bout d’un an à peine, il écrivait à Tikhon Strechnev à Moscou, pour lui demander d’envoyer des fleurs d’Ismaïlovo, non loin de la capitale : « Surtout celles qui sentent. Les plants de pivoines sont arrivés en bon état, mais ni les balsamines ni la menthe. Envoies-en ! » En 1708, ayant construit une volière, il demandait à Moscou « 8 000 oiseaux chanteurs de diverses espèces. »

Après lui, une suite d’impératrices et d’empereurs transformeront le camp de rondins et de boue en une éblouissante cité à l’architecture plus européenne que russe, où la culture et la pensée allieront l’Est à l’Ouest. Une longue ligne de palais majestueux et d’édifices publics jaune, bleu pâle, vert pâle et rouge s’élèvera sur les 4,5 km de quai en granit bordant la rive Sud de la Néva. Avec son cadre d’eau, de vent et de nuages, ses 150 ponts reliant les dix-neuf îles, ses dômes et ses flèches dorés, ses colonnes de granit et ses obélisques de marbre, Saint-Pétersbourg sera appelée la Babylone des neiges et la Venise du Nord. Elle deviendra une source jaillissante de littérature, de musique et d’art, patrie spirituelle de Pouchkine, Gogol et Dostoïevski, de Borodine, Moussorgski et Rimsky-Korsakov, de Petipa, Diaghilev, Pavlova et Nijinski. Pendant deux siècles, elle sera aussi le théâtre où se jouera le destin politique de la Russie, tandis que les souverains s’efforceront de gouverner l’empire depuis la ville créée par Pierre. Et c’est là que se déroulera le dernier acte du drame qui parachèvera le ruine de la dynastie de Pierre. Son nom même changera quand le nouveau régime, cherchant à honorer son fondateur, décidera de donner à Lénine « ce qu’il a de mieux ». Mais ce nouveau nom reste encore dans la gorge de nombreux habitants. Pour eux, la ville est tout simplement « Piter »."

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"L'Angleterre attend que chaque homme fasse son devoir" (message de l'amiral Nelson à Trafalgar)


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