Je reprends sous Firefox version 3.5, qui ne fait pas trembler la fenêtre d'édition des messages dans Passion-Histoire comme avec Internet Explorer version 8. Quelle fut la réaction de Pierre le Grand à ce siège suédois de Poltava (suite du chapitre XXXIV de la biographie de Robert Kinloch Massie) :
"Pendant ce temps, sur la rive Est de la Vorskla, les forces russes se concentraient, commandées par Menchikov, le plus agressif des généraux de Pierre, qui avait installé son quartier général dans le village de Kroutoï Béreg, tandis que Chérémétev approchait, venant du Nord-Est avec l’armée principale. Menchikov avait pour ordre d’observer les Suédois de l’autre côté de la rivière, et de faire ce qu’il pouvait pour aider la garnison de Poltava — ce qui n’était pas facile. Entre la rive Est, très basse, où se les Russes et la rive Ouest dont les escarpements dominaient de plus de 60 m les murailles de la ville, la rivière serpentait à travers un dédale de marais infranchissables pour une grande armée et même pour de petits groupes. A plusieurs reprises, les Russes essayèrent d’envoyer des renforts aux assiégés, allant jusqu’à tenter de construire une route avec des sacs de sable, mais tous ces efforts échouèrent. Le problème des communications fut finalement résolu par des boulets de canon creux bourrés de messages échangés par-dessus la rivière entre Menchikov et Kéline.
A la fin du mois de mai, Chérémétev arriva avec ses masses d’infanterie, mais malgré leur supériorité numérique, les généraux russes ne savaient que faire. Le colonel Kéline les avait avertis que ses provisions de poudre étaient dangereusement réduites, que le minage était à peu près achevé, et qu’il estimait ne pas pouvoir tenir au-delà de juin. Or Menchikov et Chérémétev, qui ne voulaient pas que la ville tombât, n’étaient pas prêts non plus à provoquer un engagement général — à coup sûr aussi dramatique qu’une tentative de franchissement en masse de la Vorskla en face d’une opposition suédoise résolue. Sachant néanmoins que l’heure décisive approchait, Menchikov fit demander à Pierre, qui venait d’Azov à travers la steppe, de se hâter. Celui-ci répondit, le 31 mai, qu’il marchait aussi vite que possible, mais plutôt que de perdre l’avantage qui pourrait se présenter, l’armée devrait si nécessaire se battre sans lui. Cependant, comme Poltava tenait toujours, les chefs russes décidèrent d’attendre encore un peu.
Pierre arriva le 4 juin, et, alors qu’il avait eu l’habitude de nommer un de ses généraux commandant en chef, ne prenant lui-même qu’un grade subalterne, cette fois il assuma l’autorité suprême. Il amenait avec lui 8 000 nouvelles recrues pour renforcer les troupes qui se préparaient à la bataille, et son arrivée galvanisa les soldats qui escarmouchaient déjà vigoureusement le long de la rivière. Le 15 juin, une attaque surprise sur Stary Senjary dans la région occupée par les Suédois libéra 1000 Russes faits prisonniers l’hiver précédent à Véprik, tandis que des cosaques restés fidèles au tsar pillaient une section du train des équipages suédois.
La grande confrontation approchait. Les deux armées étaient proches l’une de l’autre, commandées par leurs souverains respectifs, dont chacun était conscient de l’imminence du paroxysme. Charles, confiné dans un espace de plus en plus réduit, allait être obligé de briser l’étau. Pierre le comprenait et l’acceptait, lui qui par le passé avait refusé de tout risquer sur un seul coup. Sa stratégie portait enfin des fruits. L’ennemi était isolé : sur la ligne de communication avec la Pologne, le feld-maréchal Goltz disposait d’une force importante capable soit d’empêcher l’arrivée d’une armée de secours, soit de couper la retraite de Charles lui-même, et les effectifs de Pierre sur la Vorskla étaient désormais deux fois plus importants que ceux des Suédois. C’est donc avec un optimisme féroce qu’il écrivit, le 7 juin, à Apraxine : « Nous nous sommes rassemblés tout près de nos voisins, et, avec l’aide de Dieu, nous aurons certainement ce mois-ci notre affaire avec eux. »
Quelques jours après son arrivée, il réunit tous les généraux sous sa tente, et ensemble ils examinèrent la situation. Poltava allait tomber, ce n’était qu’une affaire de temps, et une fois entre les mains des Suédois, elle servirait de point de ralliement pour les renforts que Charles espérait autant que Pierre les redoutait ; or avec eux, même en cette saison, il pourrait s’ouvrir la route de Moscou. L’enjeu était assez considérable pour contraindre Pierre et ses généraux à prendre une décision capitale : afin de diminuer la pression sur la garnison de Poltava et empêcher la chute de la ville, le gros de l’armée russe devait être engagé sur et une bataille, de grande envergure, peut-être décisive, livrée au plus tard le 29 juin. A cette date, Pierre espérait avoir concentré toutes ses forces, y compris les cosaques de Skoporadski et 5000 cavaliers kalmouks commandés par le khan Ayouk. Mais pour être opérationnelle, l’armée serait obligée de passer sur la rive gauche de la rivière, d’où Pierre pourrait lancer une attaque de flanc contre les lignes suédoises encerclant la ville. A tout le moins, même si un engagement majeur n’avait pas lieu, la présence de l’armée russe obligerait l’ennemi à prélever une partie importante des forces déployées devant Poltava, ce qui soulagerait d’autant la ville. De plus, une position sur le flanc suédois permettrait au tsar de faire intervenir son artillerie de campagne, nombreuse et puissante. Ses canons, pour l’heure muets et inutiles sur la rive Est, pourraient tirer dans le camp suédois.
Où et quand traverser ? Pas question de forcer le passage du large cours d’eau boueux et marécageux sous le feu de l’ennemi, comme Charles l’avait souvent fait. Au lieu de cela, Pierre de monter des opérations de diversion le long au Nord et au Sud de Poltava pour détourner l’attention des Suédois, tandis que le principal corps de bataille traverserait vers Pétrovka, à une dizaine de kilomètres au Nord de la ville ; il y avait là des endroits assez peu profonds pour que les cavaliers puissent les franchir. Ronne passerait le premier avec dix régiments de cavalerie et de dragons, suivis par dix régiments d’infanterie aux ordres de Hallart. Une fois que cette force aurait établi une tête de pont et un camp retranché à Séménovka, à 1500 m au-dessous du gué, Pierre amènerait le gros de l’armée. Ronne et Hallart se mirent immédiatement en position et tentèrent, dans le nuit du 14, un franchissement qui fut repoussé. Mais Kéline fit savoir à Poltava qu’il ne pourrait plus tenir longtemps, aussi Pierre décida-t-il d’essayer à nouveau immédiatement.
Les Suédois savaient très bien qu’une traversée était imminente à Pétrovka, aussi dans la nuit du 15 au 16 juin, leurs troupes restèrent-elles en alerte. Rehnskjold commandait les dix régiments de cavalerie et les 16 régiments d’infanterie qui engageraient le combat avec les Russes en train de franchir la rivière. Son plan consistait à laisser une partie de l’armée ennemie parvenir à la rive Ouest, après quoi il attaquerait pendant qu’il avait encore un avantage numérique, et repousserait les avant-gardes ennemies dans la rivière. Charles garda le commandement des troupes devant Poltava et le long de la Vorskla au Sud de la ville, dans l’intention d’attendre là le début de la bataille, car il avait repéré qu’aucune force russe importante ne traversait dans ce secteur ; ensuite il remonterait vers le Nord pour rejoindre Rehnskjold à Pétrovka. La tactique semblait judicieuse, mais avant qu’elle put être mise à exécution, le désastre frappa.
17 juin 1709, vingt-septième anniversaire de Charles. Pendant ses neuf années de campagne, il avait eu une chance extraordinaire puisque, malgré une balle perdue reçue à Narva et et une jambe cassée en Pologne, il n’avait jamais été sérieusement blessé. Et voilà qu’au moment le plus critique de sa carrière militaire, la fortune l’abandonna brusquement.
A l’aube, ce matin-là, il se rendit au village de Nijny Mliny au Sud de Poltava, pour inspecter les positions suédoises et cosaques le long de la Vorskla. A cela de bonnes raisons : la bataille attendue au Nord de la ville, au moment du franchissement des Russes, attirerait la plus grande partie de l’armée suédoise dans ce secteur, et avant de permettre cette manœuvre, Charles voulait être sûr que les défenses au Sud de la rivière étaient assez fortes pour repousser tout passage. Sur la rive opposée, un élément de cavalerie russe faisait de son mieux pour occuper les Suédois dans le cadre des opérations de diversion ordonnées par Pierre. Une tentative de traversée avait déjà été repoussée. Charles arriva vers 8 h du matin avec un escadrons de trabans, et se mit aussitôt à inspecter les hommes et les positions le long de la rivière. Des Russes de l’élément précédemment refoulé restaient dans l’une des nombreuses îles au milieu du lit, et ils se mirent à tirer sur le groupe des officiers suédois. Un traban fut tué en selle, mais le roi, sans le moindre souci de sa sécurité, poursuivit sa lente progression sur la berge, puis, l’inspection terminée, fit faire demi-tour à son cheval. A l’instant où il tournait le dos à l’ennemi, une balle le frappa au talon.
Elle perça la botte, s’enfonça dans le pied, brisa un os et ressortit finalement près du gros orteil. Le comte Poniatowski, noble polonais accrédité par le roi Stanislas auprès de Charles XII, se trouvait à côté de celui-ci et remarqua qu’il avait été touché, mais le souverain lui ordonna de ne rien dire. Bien que la blessure dût être atrocement douloureuse, le roi poursuivit sa tournée, et ce n’est que vers 11 h, presque trois heures après avoir été frappé, qu’il rentra à son quartier général. A ce moment, les officiers autour de lui avaient remarqué son extrême pâleur et le sang qui dégouttait de sa botte gauche déchirée. Quand il voulut descende de cheval, le mouvement lui causa une telle douleur qu’il s’évanouit.
Le pied était si enflé qu’il fallut découper la botte, et les chirurgiens trouvèrent alors la balle dans la chaussette, près du gros orteil. Plusieurs os avaient été brisés, laissant des esquilles dans la blessure, et les médecins hésitaient à faire la profonde incision nécessaire pour les retirer, mais Charles revenu à lui fut intraitable : « Allez, allez ! Taillez, taillez ! », et empoignant sa jambe, il tendit le pied au couteau. Il observa l’opération en réprimant farouchement le moindre signe de douleur, et comme le praticien hésitait à couper les bords enflammés et sensibles de la blessure, Charles prit les ciseaux et supprima lui-même le bourrelet de chair inutile.
La nouvelle de la blessure se répandit très vite à travers le camp suédois, portant un coup terrible au moral des soldats dont la pierre angulaire était, comme pour toute l’armée, la conviction que leur roi était non seulement invincible mais personnellement invulnérable. Il s’était rué au plus fort d’innombrables batailles sans jamais être touché, comme si Dieu lui assurait une protection spéciale et, persuadés de cela, ses hommes avaient pu le suivre n’importe où. Charles se rendit immédiatement compte du danger, aussi, quand le comte Piper et les généraux arrivèrent au galop dans un état d’agitation extrême, leur affirma-t-il calmement que la blessure était légère et qu’il pourrait très vite remonter à cheval.
Malheureusement, au lieu de guérir elle se mit à suppurer. Une forte fièvre se déclara, l’inflammation atteignit le genou, et les chirurgiens qui estimaient l’amputation nécessaire n’osaient pas intervenir, craignant les effets psychologiques sur le blessé. Le 21 juin, ils ne lui donnaient que deux heures de vie ! Pendant ces journées où il oscillait entre la vie et la mort, il se fit raconter par un vieux serviteur assis à côté de son lit des contes de fées, de vieilles sagas nordiques où des héros combattent des ennemis malfaisants et conquièrent de belles princesses pour en faire leur épouse.
La maladie du roi eut des conséquences immédiates sur la situation des deux armées qui manœuvraient autour de Poltava. Le 17, après sa blessure mais avant ses accès de fièvre, il confia à Rehnskjold la responsabilité de décider s’il fallait ou non livrer bataille à Pétrovka. Les troupes étaient déjà en alerte et prêtes à affronter les bataillons russes qui se massaient sur la rive opposée ; mais quand il apprit que le roi avait été touché, le feld-maréchal revint immédiatement au quartier général pour connaître la gravité de la blessure et savoir si le souverain souhaitait apporter des modifications au plan d’ensemble de la bataille. Quand Charles lui eut confié le commandement, Rehnskjold consulta ses officiers et décida de ne pas attaquer au Nord comme prévu : le moral de l’armée était encore trop ébranlé par la blessure du roi.
Le soir du 17, Pierre savait lui aussi ce qui s’était passé, et ordonna immédiatement à toute son armée de faire mouvement, alors qu’auparavant il hésitait à prendre pied sur la rive Ouest. Le 19 juin, la cavalerie de Ronne et l’infanterie de Hallart franchirent la Vorskla sans encombre et se retranchèrent rapidement à Séménovka. Le même jour, le gros de l’armée leva le camp à Kroutoï Béreg et à Pétrovka, avec la brigade de la garde en première ligne, suivie par la division de Menchikov, l’artillerie et le train des équipages, enfin la division de Repnine. Du 19 au 21 — précisément les jours où Charles fut aux portes de la mort —, des files d’hommes et de chevaux, de canons et de chariots remplirent la rivière. Une fois tous ces éléments passés sur la rive Ouest, la bataille était inévitable, les deux armées ayant la retraite coupée par des cours d’eau. Aussi les Russes, constatant qu’ils n’étaient pas attaqués, poursuivirent-ils leurs travaux de terrassement le dos à la rivière, dans l’attente de l’attaque suédoise qui selon eux ne pouvait manquer de se produire. Pourtant, elle ne se produisit pas.
Le 22, les Suédois s’étaient reconstitués. Charles, toujours gravement malade, n’était plus en danger, la fièvre était tombée. Rehnskjold disposa ses troupes en ordre de bataille dans un champ au Nord-Ouest de Poltava, offrant ainsi aux Russes l’occasion d’en découdre s’ils le souhaitaient, et Charles se fit porter sur une civière devant ses hommes pour les encourager. Mais Pierre, toujours occupé à ses retranchements, n’avait pas la moindre intention de s’exposer en rase campagne. En attirant le gros de l’armée suédoise loin de Poltava, il avait déjà atteint son objectif immédiat : diminuer la pression exercée sur la ville. Voyant que les Russes n’attaquaient pas, Charles ordonna à Rehnskjold de disposer ses hommes. C’est à ce moment, alors que le roi était au milieu de ses hommes étendu sur une civière, qu’arrivèrent les messagers de Pologne et de Crimée avec les nouvelles de ces renforts si longtemps attendus.
De Pologne, Charles apprit que Stanislas et Krassow ne venaient pas ; toujours la vieille histoire bien connue — intrigues, jalousies et hésitations. Stanislas, fort mal assuré sur son trône branlant, ne voulait pas le quitter pour se lancer vers l’Est. Il s’était querellé avec Krassow, qui avait emmené toutes ses troupes en Poméranie pour entraîner les nouvelles recrues venant de Suède, avant d’aller rejoindre Charles en Ukraine. Donc, il ne pouvait arriver avant la fin de l’été. Le second messager était envoyé par Devlet Gerey : le khan confirmait que, le sultan lui ayant refusé la permission de se joindre au roi pour combattre Pierre, il ne pouvait envoyer de troupes mais promettait son amitié. Ainsi Charles, couché sur sa civière, apprit que son rêve d’une grande offensive alliée contre Moscou par le Sud ne pouvait se réaliser. Il avait eu tort d’attendre des renforts à Poltava.
Il transmit les nouvelles à ses conseillers, qui les accueillirent dans un morne silence. Puis Piper, toujours pratique, suggéra d’abandonner immédiatement toute la campagne, de lever le siège de Poltava et de retraiter jusqu’en Pologne, afin de sauvegarder le souverain et l’armée pour l’avenir ; il conseilla en outre de poursuivre plus énergiquement les négociations avec le tsar, faisant remarquer que Menchikov lui avait écrit récemment et proposé de venir en personne au camp suédois, si Charles lui donnait un sauf-conduit. Même s’il signait la paix avec la Russie, Charles pourrait toujours reprendre les hostilités par la suite dans des conditions plus favorables. Mais le roi ne voulait ni reculer ni négocier.
Pendant ce temps, sa situation se détériorait lentement, inexorablement. L’armée était grignotée, des hommes irremplaçables tombaient tous les jours, dans des escarmouches sans importance, la nourriture manquait tant la région avait été ravagée, la poudre était humide et il n’y avait pas assez de balles pour les mousquets, les uniformes étaient rapiécés et les pieds passaient au travers des souliers. Toute l’armée, persuadée que les Russes ne se battraient pas, sombrait dans la torpeur et la lassitude provoquées par la chaleur intense. Charles lui-même, voyant ses espoirs s’évanouir les uns après les autres et sa position devant Poltava devenir de plus en plus intenable, aspirait à frapper un coup brutal pour mettre fin à tous ses ennuis. Il ne connaissait qu’un moyen : la bataille, une bataille qui sauverait l’honneur quelle qu’en fût l’issue. S’il gagnait, Turcs et Tatars seraient peut-être heureux de se joindre à une armée victorieuse dans sa marche sur Moscou. Dans le cas contraire, un autre coup de semonce comme Golovtchine ouvrirait la voie à des négociations réalistes et permettrait un retour honorable en Pologne.
Ainsi donc, Charles décida de livrer bataille. Il lancerait son armée contre l’ennemi avec toute la force qu’il avait encore, et le plus tôt serait le mieux. Si possible, l’attaque suédoise serait une surprise.
Pour Pierre, les arguments en faveur d’un engagement étaient moins forts. La situation de Charles ne pouvait être sauvée que s’il amenait l’armée russe à combattre et remportait au moins une victoire partielle. Pierre, au contraire, était en train d’atteindre son but en soulageant Poltava et en privant de tout espoir de renfort l’armée suédoise désormais isolée. Il n’avait pas besoin de croiser le fer, à moins de parvenir à accentuer encore sa supériorité numérique en forçant les Suédois à donner l’assaut à l’une de ses positions défensives puissamment fortifiées. C’est précisément ce qu’il se mit en devoir de machiner.
Dans la nuit du 26 juin, son armée quitta le camp de Séménovka pour en établir un autre plus au Sud, près du village de Iakovtsi, à 6 km seulement au Nord des remparts de Poltava. Là, les hommes, travaillant fiévreusement toute la nuit, établirent un vaste retranchement carré. C’était presque provoquer une attaque de l’ennemi. L’arrière de ce camp donnait sur une falaise sur de la Vorskla, à un endroit où la berge était si abrupte et la rivière si large et marécageuse qu’il serait impossible d’y faire passer des effectifs nombreux dans un sens comme dans l’autre. Ainsi, la seule voie de retraite pour une armée dans cette position serait vers le Nord, le retour au gué de Pétrovka.
Néanmoins, l’emplacement était bien choisi. Au Sud, le terrain entre le camp et la ville était très boisé et trop tailladé par des ravins et des gorges pour que des formations trop importantes pussent y manœuvrer. Au Nord, des bois touffus rendaient impossible le passage des troupes et en particulier de la cavalerie. A l’Ouest seulement, une large plaine encerclée par des boqueteaux permettait l’approche. C’était bien entendu de ce côté-là que les défenses du camp étaient les plus fortes : une tranchée de 2 m de profondeur avait été creusée devant un remblai de terre portant 70 canons. Derrière ces murs d’enceinte, 58 bataillons (32 000 hommes) avaient placé leurs tentes et attendaient. Tout près, dans une plaine, dix-sept régiments de cavalerie et de dragons (10 000 hommes au total) avaient mis leurs chevaux au piquet et attendaient.
Mais même ces retranchements très sûrs et la supériorité numérique ne suffisaient pas au tsar. Ayant appris au cours des neuf années écoulées à connaître le goût et le talent de son adversaire pour les opérations surprise, il avait pris d’autres précautions encore. L’attaque ne pouvait venir que par la route de Poltava ; or, à moins de 2 km au Sud du camp, elle traversait une zone coupée par des forêts et des ravins à l’Est, des marécages boisés à l’Ouest. En travers de cette brèche, Pierre éleva une série de 6 redoutes en terre à une portée de mousquet les unes des autres (environ une centaine de mètres) ; chaque ouvrage était un cube de 30 m de côté défendu par plusieurs centaines de soldats et un ou deux canons, alors que le retranchement était garni par deux bataillons du régiment Belgorodski, ainsi que des éléments des régiments Nékloudov et Nétchaev. Derrière cette ligne de redoutes, Pierre posta 17 régiments de dragons avec 13 pièces d’artillerie hippomobile sous le commandement de Menchikov, Ronne et Bauer. Ces fortifications de campagne, combinées à une forte concentration de cavaliers, donneraient l’alerte, et constitueraient un premier obstacle à toute avance suédoise vers la partie élargie de la plaine.
Le 26 juin, Pierre lança une proclamation à son armée : « Soldats, l’heure a sonné où le sort de toute la patrie est entre vos mains. Ou la Russie périra, ou elle renaîtra sous une forme plus noble. Les soldats ne doivent pas se considérer comme armés et engagés dans la bataille pour Pierre, mais pour la dignité tsarienne confiée à Pierre par sa naissance et par le peuple. » Il concluait : « De Pierre on doit savoir qu’il ne tient pas à sa propre vie, mais à ce qu’il tient à ce que la Russie vive dans la piété, la gloire et la prospérité. »"
_________________ "L'Angleterre attend que chaque homme fasse son devoir" (message de l'amiral Nelson à Trafalgar)
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