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Bataille de Poltava 1709 http://www.passion-histoire.net/viewtopic.php?f=92&t=22446 |
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Auteur : | Marc Mailly [ 18 Nov 2009 20:45 ] |
Sujet du message : | Bataille de Poltava 1709 |
Les Russes doivent penser à ce tricentenaire ! J'ai lu le chapitre sur la grande bataille dans le Pierre le Grand de Robert Kinloch Massie, aux éditions Fayard. Je transcrirai intégralement le chapitre documenté de cette passionnante biographie d'un tsar à grande taille... que j'approche involontairement, avec mes 1m93... Mais il me dominait avec ses 2 m, tant mieux ! Ma famille vient de m'apporter cette passionnante biographie d'un tsar à vie d'épopée, dont la personnalité m'épouvante et me fascinne à la fois. Poltava est une victoire issue de l'usure progressive du grand adversaire suédois du tsar : le roi Charles XII de Suède. |
Auteur : | Marc Mailly [ 19 Nov 2009 8:37 ] |
Sujet du message : | Re: Bataille de Poltava 1709 |
J'ai apprécié en partie le tsar Pierre le Grand parce qu'il fut amateur de marine, et qu'il rêvait d'accès à la mer pour son pays, en plus d'une ouverture culturelle avec l'Europe. Vers la mer Noire, l'accès à la mer était barré par l'Empire Ottoman. Et vers la Baltique, la Suède faisait aussi obstacle au tsar. Le conflit devenait inévitable. Poltava est l'aboutissement de la grande guerre du Nord, commencée avec un adversaire suédois qui révèle sa force et son niveau militaire à Narva (1700). La grande guerre du Nord fait l'objet d'une longue partie dans la biographie de Pierre le Grand. Robert Kinloch Massie en montre tous les retournements, la fondation de Saint-Pétersbourg. Je ne parle de la grande guerre du Nord que pour situer le contexte qui précède Poltava. L'article Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Grande_guerre_du_Nord |
Auteur : | PAC [ 22 Nov 2009 16:34 ] |
Sujet du message : | Re: Bataille de Poltava 1709 |
Certes, Pierre le Grand fut le grand homme d'état quii a permit Poltava possible. Mais il ne faut pas oublier que cette victoire vient aussi de l'inconcience du roi de Suède Charles XII, trop sûr de lui à un niveau pathologique. |
Auteur : | Marc Mailly [ 12 Déc 2009 17:01 ] |
Sujet du message : | Re: Bataille de Poltava 1709 |
Ce qui a précédé la bataille de Poltava, c'est la tentative de siège par l'armée de Charles XII. Je laisse juger du style et de la documentation de Robert Kinloch Massie (chapitre XXXIV "Les forces se concentrent", chapitre qui précède "Poltava") : "Au début d’avril 1709, l’hiver se décida enfin à finir en Ukraine. La neige avait disparu, la boue séchait, l’herbe commençait à pousser, crocus, jacinthes et tulipes sauvages fleurissaient les plaines ondulantes et les berges des rivières. Charles était optimiste. Tout en négociant avec les Tatars de Crimée et le sultan, il attendait des régiments frais de Suédois et de Polonais — si confiant qu’il repoussa même cavalièrement des ouvertures de paix russes. Un officier suédois pris à Lesnaïa était arrivé, porteur d’un message indiquant que le tsar « était enclin à faire la paix mais ne pouvait pas se résoudre à quitter Saint-Pétersbourg ». Charles ne répondit même pas. Tandis qu’il attendait que ses négociations avec les Tatars et les Turcs eussent porté des fruits, il résolut de se déplacer vers le Sud pour prendre position près des renforts attendus. Poltava était une petite ville très commerçante à 300 km au Sud-Est de Kiev sur la route de Kharkov, dominant une vaste étendue de marécages autour de la Vorskla, important affluent du Dniepr. Ce n’était pas une place forte au sens européen du terme, car ses remparts de terre, hauts de trois mètres et sommés d’une palissade de bois, avaient été établis pour résister à une bande de pillards tatars ou cosaques plutôt qu’à une armée moderne dotée d’artillerie et de sapeurs spécialisés. Si Charles avait marché sur la ville à l’automne précédent, elle serait tombée facilement, mais à cette époque le roi n’avait pas voulu prendre ses quartiers d’hiver dans une agglomération importante. Depuis lors, les Russes avaient amélioré les défenses, hérissant les murailles de 94 canons et portant la garnison à 4 182 soldats, auxquels s’ajoutaient 2 600 habitants armés, le tout sous le commandement de l’énergique colonel O. S. Kéline. Néanmoins, Charles décida de prendre la ville et confia les préparatifs techniques du siège à Gyllenkrook, qui faisait autorité pour tout ce qui concernait la poliorcétique. « Tu es notre petit Vauban », lui dit le souverain en l’incitant à utiliser tous les raffinements du maître français. L’officier commença les préparatifs, non sans prévenir le roi par avance qu’il leur manquait un facteur essentiel pour le succès de n’importe quel siège : la possibilité d’effectuer un bombardement prolongé. Selon lui, Charles serait obligé de faire donner l’assaut aux murailles par des fantassins : « Dans ce cas, la piétaille de Votre Majesté sera perdue. Tout le monde croira que que c’est moi qui ai conseillé le siège à Votre Majesté. S’il échoue, je vous supplie humblement de ne pas me le reprocher. » « Non, non, répondit gaiement Charles. Tu n’es pas à blâmer. Nous endosserons nous-mêmes la responsabilité. » Les premières tranchées creusées, le bombardement commença le 1er mai. Peu à peu, elles avancèrent vers les murailles, et pourtant certains Suédois, dont Gyllenkrook, avaient l’impression qu’on ne faisait pas tout ce qui était possible. Les canons tonnèrent toute la journée sans relâche, mais soudain, à 11 h du soir, le roi ordonna d’arrêter le tir. Gyllenkrook protesta, disant que s’il pouvait seulement bombarder la ville six heures encore, elle serait à sa merci, mais Charles ne voulut rien entendre. L’artillerie se tut et dut à partir de ce moment se limiter à cinq coups par jour, ce qui pouvait à peine passer pour un harcèlement. Les Suédois manquaient de poudre, certes, mais quand même pas à ce point-là. Nombreux étaient ceux qui ne comprenaient ni l’étrange comportement de Charles ni même l’utilité de l’opération. Pourquoi, pour la première fois depuis le début de la campagne, le roi, maître de la guerre de mouvement, avait-il entrepris ce siège ? Et pourquoi l’ayant entrepris, le menait-il si mollement ? Perplexe et inquiet, Gyllenkrook interrogea Rehnskjold. « Le roi souhaite s’amuser un peu avant l’arrivée des Polonais », lui fut-il répondu. « Coûteux passe-temps qui exige tant de vies humaines. » « Si telle est la volonté de Sa Majesté, nous devons nous en satisfaire. » Et pour couper court à l’entretien, le feld-maréchal donna des éperons et s’en alla. Beaucoup des officiers, aussi déroutés que Gyllenkrook, pensaient que le siège était simplement une diversion pour amener Pierre à engager le gros de ses forces. Si tel était son objectif, la garnison de la ville s’employa à lui faciliter la tâche. Très efficacement défendue, Poltava repoussa les assauts, opéra des sorties, détruisit les mines que Gyllenkrook poussait de plus en plus près des murailles, étonnant Charles lui-même par la vigueur de ses réactions : « Vraiment, je crois que les Russes sont fous et qu’ils vont se défendre dans les règles. » Le siège se traîna pendant six semaines, tandis que montait la chaleur de l’été ukrainien. Pour encourager ses hommes, Charles, qui était toujours au cœur de l’action, s’installa dans une maison si proche des remparts que ses murs étaient criblés de balles. Peu à peu les tranchées suédoises avançaient, encore que les tirs bien ajustés des mousquets russes eussent décimé les sapeurs et les ingénieurs chargés de ce travail. La chaleur devenant plus accablante, les blessés se mirent à mourir de gangrène ; la nourriture se fit rare, les fourrageurs sans cesse en chemin retournant inlassablement dans les fermes et les villages déjà dévalisés une semaine auparavant. Il ne resta bientôt plus que de la viande de cheval et du pain noir à manger ; la poudre était rare, et le peu qui restait détérioré par l’humidité de la neige fondue et de la pluie ; le tir d’un canon ressemblait à un claquement de mains, et les balles tirées par les mousquets retombaient 20 mètres plus loin. Elles étaient d’ailleurs si rares que les détachements suédois étaient envoyés hors des tranchées pour récupérer les projectiles perdus des Russes." |
Auteur : | Marc Mailly [ 12 Déc 2009 17:19 ] |
Sujet du message : | Re: Bataille de Poltava 1709 |
Je reprends sous Firefox version 3.5, qui ne fait pas trembler la fenêtre d'édition des messages dans Passion-Histoire comme avec Internet Explorer version 8. Quelle fut la réaction de Pierre le Grand à ce siège suédois de Poltava (suite du chapitre XXXIV de la biographie de Robert Kinloch Massie) : "Pendant ce temps, sur la rive Est de la Vorskla, les forces russes se concentraient, commandées par Menchikov, le plus agressif des généraux de Pierre, qui avait installé son quartier général dans le village de Kroutoï Béreg, tandis que Chérémétev approchait, venant du Nord-Est avec l’armée principale. Menchikov avait pour ordre d’observer les Suédois de l’autre côté de la rivière, et de faire ce qu’il pouvait pour aider la garnison de Poltava — ce qui n’était pas facile. Entre la rive Est, très basse, où se les Russes et la rive Ouest dont les escarpements dominaient de plus de 60 m les murailles de la ville, la rivière serpentait à travers un dédale de marais infranchissables pour une grande armée et même pour de petits groupes. A plusieurs reprises, les Russes essayèrent d’envoyer des renforts aux assiégés, allant jusqu’à tenter de construire une route avec des sacs de sable, mais tous ces efforts échouèrent. Le problème des communications fut finalement résolu par des boulets de canon creux bourrés de messages échangés par-dessus la rivière entre Menchikov et Kéline. A la fin du mois de mai, Chérémétev arriva avec ses masses d’infanterie, mais malgré leur supériorité numérique, les généraux russes ne savaient que faire. Le colonel Kéline les avait avertis que ses provisions de poudre étaient dangereusement réduites, que le minage était à peu près achevé, et qu’il estimait ne pas pouvoir tenir au-delà de juin. Or Menchikov et Chérémétev, qui ne voulaient pas que la ville tombât, n’étaient pas prêts non plus à provoquer un engagement général — à coup sûr aussi dramatique qu’une tentative de franchissement en masse de la Vorskla en face d’une opposition suédoise résolue. Sachant néanmoins que l’heure décisive approchait, Menchikov fit demander à Pierre, qui venait d’Azov à travers la steppe, de se hâter. Celui-ci répondit, le 31 mai, qu’il marchait aussi vite que possible, mais plutôt que de perdre l’avantage qui pourrait se présenter, l’armée devrait si nécessaire se battre sans lui. Cependant, comme Poltava tenait toujours, les chefs russes décidèrent d’attendre encore un peu. Pierre arriva le 4 juin, et, alors qu’il avait eu l’habitude de nommer un de ses généraux commandant en chef, ne prenant lui-même qu’un grade subalterne, cette fois il assuma l’autorité suprême. Il amenait avec lui 8 000 nouvelles recrues pour renforcer les troupes qui se préparaient à la bataille, et son arrivée galvanisa les soldats qui escarmouchaient déjà vigoureusement le long de la rivière. Le 15 juin, une attaque surprise sur Stary Senjary dans la région occupée par les Suédois libéra 1000 Russes faits prisonniers l’hiver précédent à Véprik, tandis que des cosaques restés fidèles au tsar pillaient une section du train des équipages suédois. La grande confrontation approchait. Les deux armées étaient proches l’une de l’autre, commandées par leurs souverains respectifs, dont chacun était conscient de l’imminence du paroxysme. Charles, confiné dans un espace de plus en plus réduit, allait être obligé de briser l’étau. Pierre le comprenait et l’acceptait, lui qui par le passé avait refusé de tout risquer sur un seul coup. Sa stratégie portait enfin des fruits. L’ennemi était isolé : sur la ligne de communication avec la Pologne, le feld-maréchal Goltz disposait d’une force importante capable soit d’empêcher l’arrivée d’une armée de secours, soit de couper la retraite de Charles lui-même, et les effectifs de Pierre sur la Vorskla étaient désormais deux fois plus importants que ceux des Suédois. C’est donc avec un optimisme féroce qu’il écrivit, le 7 juin, à Apraxine : « Nous nous sommes rassemblés tout près de nos voisins, et, avec l’aide de Dieu, nous aurons certainement ce mois-ci notre affaire avec eux. » Quelques jours après son arrivée, il réunit tous les généraux sous sa tente, et ensemble ils examinèrent la situation. Poltava allait tomber, ce n’était qu’une affaire de temps, et une fois entre les mains des Suédois, elle servirait de point de ralliement pour les renforts que Charles espérait autant que Pierre les redoutait ; or avec eux, même en cette saison, il pourrait s’ouvrir la route de Moscou. L’enjeu était assez considérable pour contraindre Pierre et ses généraux à prendre une décision capitale : afin de diminuer la pression sur la garnison de Poltava et empêcher la chute de la ville, le gros de l’armée russe devait être engagé sur et une bataille, de grande envergure, peut-être décisive, livrée au plus tard le 29 juin. A cette date, Pierre espérait avoir concentré toutes ses forces, y compris les cosaques de Skoporadski et 5000 cavaliers kalmouks commandés par le khan Ayouk. Mais pour être opérationnelle, l’armée serait obligée de passer sur la rive gauche de la rivière, d’où Pierre pourrait lancer une attaque de flanc contre les lignes suédoises encerclant la ville. A tout le moins, même si un engagement majeur n’avait pas lieu, la présence de l’armée russe obligerait l’ennemi à prélever une partie importante des forces déployées devant Poltava, ce qui soulagerait d’autant la ville. De plus, une position sur le flanc suédois permettrait au tsar de faire intervenir son artillerie de campagne, nombreuse et puissante. Ses canons, pour l’heure muets et inutiles sur la rive Est, pourraient tirer dans le camp suédois. Où et quand traverser ? Pas question de forcer le passage du large cours d’eau boueux et marécageux sous le feu de l’ennemi, comme Charles l’avait souvent fait. Au lieu de cela, Pierre de monter des opérations de diversion le long au Nord et au Sud de Poltava pour détourner l’attention des Suédois, tandis que le principal corps de bataille traverserait vers Pétrovka, à une dizaine de kilomètres au Nord de la ville ; il y avait là des endroits assez peu profonds pour que les cavaliers puissent les franchir. Ronne passerait le premier avec dix régiments de cavalerie et de dragons, suivis par dix régiments d’infanterie aux ordres de Hallart. Une fois que cette force aurait établi une tête de pont et un camp retranché à Séménovka, à 1500 m au-dessous du gué, Pierre amènerait le gros de l’armée. Ronne et Hallart se mirent immédiatement en position et tentèrent, dans le nuit du 14, un franchissement qui fut repoussé. Mais Kéline fit savoir à Poltava qu’il ne pourrait plus tenir longtemps, aussi Pierre décida-t-il d’essayer à nouveau immédiatement. Les Suédois savaient très bien qu’une traversée était imminente à Pétrovka, aussi dans la nuit du 15 au 16 juin, leurs troupes restèrent-elles en alerte. Rehnskjold commandait les dix régiments de cavalerie et les 16 régiments d’infanterie qui engageraient le combat avec les Russes en train de franchir la rivière. Son plan consistait à laisser une partie de l’armée ennemie parvenir à la rive Ouest, après quoi il attaquerait pendant qu’il avait encore un avantage numérique, et repousserait les avant-gardes ennemies dans la rivière. Charles garda le commandement des troupes devant Poltava et le long de la Vorskla au Sud de la ville, dans l’intention d’attendre là le début de la bataille, car il avait repéré qu’aucune force russe importante ne traversait dans ce secteur ; ensuite il remonterait vers le Nord pour rejoindre Rehnskjold à Pétrovka. La tactique semblait judicieuse, mais avant qu’elle put être mise à exécution, le désastre frappa. 17 juin 1709, vingt-septième anniversaire de Charles. Pendant ses neuf années de campagne, il avait eu une chance extraordinaire puisque, malgré une balle perdue reçue à Narva et et une jambe cassée en Pologne, il n’avait jamais été sérieusement blessé. Et voilà qu’au moment le plus critique de sa carrière militaire, la fortune l’abandonna brusquement. A l’aube, ce matin-là, il se rendit au village de Nijny Mliny au Sud de Poltava, pour inspecter les positions suédoises et cosaques le long de la Vorskla. A cela de bonnes raisons : la bataille attendue au Nord de la ville, au moment du franchissement des Russes, attirerait la plus grande partie de l’armée suédoise dans ce secteur, et avant de permettre cette manœuvre, Charles voulait être sûr que les défenses au Sud de la rivière étaient assez fortes pour repousser tout passage. Sur la rive opposée, un élément de cavalerie russe faisait de son mieux pour occuper les Suédois dans le cadre des opérations de diversion ordonnées par Pierre. Une tentative de traversée avait déjà été repoussée. Charles arriva vers 8 h du matin avec un escadrons de trabans, et se mit aussitôt à inspecter les hommes et les positions le long de la rivière. Des Russes de l’élément précédemment refoulé restaient dans l’une des nombreuses îles au milieu du lit, et ils se mirent à tirer sur le groupe des officiers suédois. Un traban fut tué en selle, mais le roi, sans le moindre souci de sa sécurité, poursuivit sa lente progression sur la berge, puis, l’inspection terminée, fit faire demi-tour à son cheval. A l’instant où il tournait le dos à l’ennemi, une balle le frappa au talon. Elle perça la botte, s’enfonça dans le pied, brisa un os et ressortit finalement près du gros orteil. Le comte Poniatowski, noble polonais accrédité par le roi Stanislas auprès de Charles XII, se trouvait à côté de celui-ci et remarqua qu’il avait été touché, mais le souverain lui ordonna de ne rien dire. Bien que la blessure dût être atrocement douloureuse, le roi poursuivit sa tournée, et ce n’est que vers 11 h, presque trois heures après avoir été frappé, qu’il rentra à son quartier général. A ce moment, les officiers autour de lui avaient remarqué son extrême pâleur et le sang qui dégouttait de sa botte gauche déchirée. Quand il voulut descende de cheval, le mouvement lui causa une telle douleur qu’il s’évanouit. Le pied était si enflé qu’il fallut découper la botte, et les chirurgiens trouvèrent alors la balle dans la chaussette, près du gros orteil. Plusieurs os avaient été brisés, laissant des esquilles dans la blessure, et les médecins hésitaient à faire la profonde incision nécessaire pour les retirer, mais Charles revenu à lui fut intraitable : « Allez, allez ! Taillez, taillez ! », et empoignant sa jambe, il tendit le pied au couteau. Il observa l’opération en réprimant farouchement le moindre signe de douleur, et comme le praticien hésitait à couper les bords enflammés et sensibles de la blessure, Charles prit les ciseaux et supprima lui-même le bourrelet de chair inutile. La nouvelle de la blessure se répandit très vite à travers le camp suédois, portant un coup terrible au moral des soldats dont la pierre angulaire était, comme pour toute l’armée, la conviction que leur roi était non seulement invincible mais personnellement invulnérable. Il s’était rué au plus fort d’innombrables batailles sans jamais être touché, comme si Dieu lui assurait une protection spéciale et, persuadés de cela, ses hommes avaient pu le suivre n’importe où. Charles se rendit immédiatement compte du danger, aussi, quand le comte Piper et les généraux arrivèrent au galop dans un état d’agitation extrême, leur affirma-t-il calmement que la blessure était légère et qu’il pourrait très vite remonter à cheval. Malheureusement, au lieu de guérir elle se mit à suppurer. Une forte fièvre se déclara, l’inflammation atteignit le genou, et les chirurgiens qui estimaient l’amputation nécessaire n’osaient pas intervenir, craignant les effets psychologiques sur le blessé. Le 21 juin, ils ne lui donnaient que deux heures de vie ! Pendant ces journées où il oscillait entre la vie et la mort, il se fit raconter par un vieux serviteur assis à côté de son lit des contes de fées, de vieilles sagas nordiques où des héros combattent des ennemis malfaisants et conquièrent de belles princesses pour en faire leur épouse. La maladie du roi eut des conséquences immédiates sur la situation des deux armées qui manœuvraient autour de Poltava. Le 17, après sa blessure mais avant ses accès de fièvre, il confia à Rehnskjold la responsabilité de décider s’il fallait ou non livrer bataille à Pétrovka. Les troupes étaient déjà en alerte et prêtes à affronter les bataillons russes qui se massaient sur la rive opposée ; mais quand il apprit que le roi avait été touché, le feld-maréchal revint immédiatement au quartier général pour connaître la gravité de la blessure et savoir si le souverain souhaitait apporter des modifications au plan d’ensemble de la bataille. Quand Charles lui eut confié le commandement, Rehnskjold consulta ses officiers et décida de ne pas attaquer au Nord comme prévu : le moral de l’armée était encore trop ébranlé par la blessure du roi. Le soir du 17, Pierre savait lui aussi ce qui s’était passé, et ordonna immédiatement à toute son armée de faire mouvement, alors qu’auparavant il hésitait à prendre pied sur la rive Ouest. Le 19 juin, la cavalerie de Ronne et l’infanterie de Hallart franchirent la Vorskla sans encombre et se retranchèrent rapidement à Séménovka. Le même jour, le gros de l’armée leva le camp à Kroutoï Béreg et à Pétrovka, avec la brigade de la garde en première ligne, suivie par la division de Menchikov, l’artillerie et le train des équipages, enfin la division de Repnine. Du 19 au 21 — précisément les jours où Charles fut aux portes de la mort —, des files d’hommes et de chevaux, de canons et de chariots remplirent la rivière. Une fois tous ces éléments passés sur la rive Ouest, la bataille était inévitable, les deux armées ayant la retraite coupée par des cours d’eau. Aussi les Russes, constatant qu’ils n’étaient pas attaqués, poursuivirent-ils leurs travaux de terrassement le dos à la rivière, dans l’attente de l’attaque suédoise qui selon eux ne pouvait manquer de se produire. Pourtant, elle ne se produisit pas. Le 22, les Suédois s’étaient reconstitués. Charles, toujours gravement malade, n’était plus en danger, la fièvre était tombée. Rehnskjold disposa ses troupes en ordre de bataille dans un champ au Nord-Ouest de Poltava, offrant ainsi aux Russes l’occasion d’en découdre s’ils le souhaitaient, et Charles se fit porter sur une civière devant ses hommes pour les encourager. Mais Pierre, toujours occupé à ses retranchements, n’avait pas la moindre intention de s’exposer en rase campagne. En attirant le gros de l’armée suédoise loin de Poltava, il avait déjà atteint son objectif immédiat : diminuer la pression exercée sur la ville. Voyant que les Russes n’attaquaient pas, Charles ordonna à Rehnskjold de disposer ses hommes. C’est à ce moment, alors que le roi était au milieu de ses hommes étendu sur une civière, qu’arrivèrent les messagers de Pologne et de Crimée avec les nouvelles de ces renforts si longtemps attendus. De Pologne, Charles apprit que Stanislas et Krassow ne venaient pas ; toujours la vieille histoire bien connue — intrigues, jalousies et hésitations. Stanislas, fort mal assuré sur son trône branlant, ne voulait pas le quitter pour se lancer vers l’Est. Il s’était querellé avec Krassow, qui avait emmené toutes ses troupes en Poméranie pour entraîner les nouvelles recrues venant de Suède, avant d’aller rejoindre Charles en Ukraine. Donc, il ne pouvait arriver avant la fin de l’été. Le second messager était envoyé par Devlet Gerey : le khan confirmait que, le sultan lui ayant refusé la permission de se joindre au roi pour combattre Pierre, il ne pouvait envoyer de troupes mais promettait son amitié. Ainsi Charles, couché sur sa civière, apprit que son rêve d’une grande offensive alliée contre Moscou par le Sud ne pouvait se réaliser. Il avait eu tort d’attendre des renforts à Poltava. Il transmit les nouvelles à ses conseillers, qui les accueillirent dans un morne silence. Puis Piper, toujours pratique, suggéra d’abandonner immédiatement toute la campagne, de lever le siège de Poltava et de retraiter jusqu’en Pologne, afin de sauvegarder le souverain et l’armée pour l’avenir ; il conseilla en outre de poursuivre plus énergiquement les négociations avec le tsar, faisant remarquer que Menchikov lui avait écrit récemment et proposé de venir en personne au camp suédois, si Charles lui donnait un sauf-conduit. Même s’il signait la paix avec la Russie, Charles pourrait toujours reprendre les hostilités par la suite dans des conditions plus favorables. Mais le roi ne voulait ni reculer ni négocier. Pendant ce temps, sa situation se détériorait lentement, inexorablement. L’armée était grignotée, des hommes irremplaçables tombaient tous les jours, dans des escarmouches sans importance, la nourriture manquait tant la région avait été ravagée, la poudre était humide et il n’y avait pas assez de balles pour les mousquets, les uniformes étaient rapiécés et les pieds passaient au travers des souliers. Toute l’armée, persuadée que les Russes ne se battraient pas, sombrait dans la torpeur et la lassitude provoquées par la chaleur intense. Charles lui-même, voyant ses espoirs s’évanouir les uns après les autres et sa position devant Poltava devenir de plus en plus intenable, aspirait à frapper un coup brutal pour mettre fin à tous ses ennuis. Il ne connaissait qu’un moyen : la bataille, une bataille qui sauverait l’honneur quelle qu’en fût l’issue. S’il gagnait, Turcs et Tatars seraient peut-être heureux de se joindre à une armée victorieuse dans sa marche sur Moscou. Dans le cas contraire, un autre coup de semonce comme Golovtchine ouvrirait la voie à des négociations réalistes et permettrait un retour honorable en Pologne. Ainsi donc, Charles décida de livrer bataille. Il lancerait son armée contre l’ennemi avec toute la force qu’il avait encore, et le plus tôt serait le mieux. Si possible, l’attaque suédoise serait une surprise. Pour Pierre, les arguments en faveur d’un engagement étaient moins forts. La situation de Charles ne pouvait être sauvée que s’il amenait l’armée russe à combattre et remportait au moins une victoire partielle. Pierre, au contraire, était en train d’atteindre son but en soulageant Poltava et en privant de tout espoir de renfort l’armée suédoise désormais isolée. Il n’avait pas besoin de croiser le fer, à moins de parvenir à accentuer encore sa supériorité numérique en forçant les Suédois à donner l’assaut à l’une de ses positions défensives puissamment fortifiées. C’est précisément ce qu’il se mit en devoir de machiner. Dans la nuit du 26 juin, son armée quitta le camp de Séménovka pour en établir un autre plus au Sud, près du village de Iakovtsi, à 6 km seulement au Nord des remparts de Poltava. Là, les hommes, travaillant fiévreusement toute la nuit, établirent un vaste retranchement carré. C’était presque provoquer une attaque de l’ennemi. L’arrière de ce camp donnait sur une falaise sur de la Vorskla, à un endroit où la berge était si abrupte et la rivière si large et marécageuse qu’il serait impossible d’y faire passer des effectifs nombreux dans un sens comme dans l’autre. Ainsi, la seule voie de retraite pour une armée dans cette position serait vers le Nord, le retour au gué de Pétrovka. Néanmoins, l’emplacement était bien choisi. Au Sud, le terrain entre le camp et la ville était très boisé et trop tailladé par des ravins et des gorges pour que des formations trop importantes pussent y manœuvrer. Au Nord, des bois touffus rendaient impossible le passage des troupes et en particulier de la cavalerie. A l’Ouest seulement, une large plaine encerclée par des boqueteaux permettait l’approche. C’était bien entendu de ce côté-là que les défenses du camp étaient les plus fortes : une tranchée de 2 m de profondeur avait été creusée devant un remblai de terre portant 70 canons. Derrière ces murs d’enceinte, 58 bataillons (32 000 hommes) avaient placé leurs tentes et attendaient. Tout près, dans une plaine, dix-sept régiments de cavalerie et de dragons (10 000 hommes au total) avaient mis leurs chevaux au piquet et attendaient. Mais même ces retranchements très sûrs et la supériorité numérique ne suffisaient pas au tsar. Ayant appris au cours des neuf années écoulées à connaître le goût et le talent de son adversaire pour les opérations surprise, il avait pris d’autres précautions encore. L’attaque ne pouvait venir que par la route de Poltava ; or, à moins de 2 km au Sud du camp, elle traversait une zone coupée par des forêts et des ravins à l’Est, des marécages boisés à l’Ouest. En travers de cette brèche, Pierre éleva une série de 6 redoutes en terre à une portée de mousquet les unes des autres (environ une centaine de mètres) ; chaque ouvrage était un cube de 30 m de côté défendu par plusieurs centaines de soldats et un ou deux canons, alors que le retranchement était garni par deux bataillons du régiment Belgorodski, ainsi que des éléments des régiments Nékloudov et Nétchaev. Derrière cette ligne de redoutes, Pierre posta 17 régiments de dragons avec 13 pièces d’artillerie hippomobile sous le commandement de Menchikov, Ronne et Bauer. Ces fortifications de campagne, combinées à une forte concentration de cavaliers, donneraient l’alerte, et constitueraient un premier obstacle à toute avance suédoise vers la partie élargie de la plaine. Le 26 juin, Pierre lança une proclamation à son armée : « Soldats, l’heure a sonné où le sort de toute la patrie est entre vos mains. Ou la Russie périra, ou elle renaîtra sous une forme plus noble. Les soldats ne doivent pas se considérer comme armés et engagés dans la bataille pour Pierre, mais pour la dignité tsarienne confiée à Pierre par sa naissance et par le peuple. » Il concluait : « De Pierre on doit savoir qu’il ne tient pas à sa propre vie, mais à ce qu’il tient à ce que la Russie vive dans la piété, la gloire et la prospérité. »" |
Auteur : | Marc Mailly [ 13 Déc 2009 17:38 ] |
Sujet du message : | Re: Bataille de Poltava 1709 |
En racontant la bataille de Poltava depuis son début, c'est-à-dire depuis la tentative de siège de Charles XII de Suède, et en observant la manière prudente de Pierre le Grand de se retrancher, je pense que cette bataille a dû inspirer Koutousov plus tard... Pour un certain Borodino, non ? |
Auteur : | Marc Mailly [ 23 Jan 2010 15:20 ] |
Sujet du message : | Re: Bataille de Poltava 1709 |
Dans mon récit, j'en viens enfin au chapitre XXXV du Pierre le Grand de Robert Kinloch Massie, consacré à la bataille de Poltava. Jusqu'à présent, comme aurait dit Napoléon Ier en cette grave matière, j'en étais aux prémices de la bataille, au hors-d'oeuvre. La blessure de Charles XII n'a pas encore fini de causer des bisbilles au sein du haut état-major suédois, à la veille de la bataille : "Le 27 juin était un dimanche. Vers la fin de l’après-midi, après les prières, Charles convoqua généraux et colonels à son chevet pour leur annoncer qu’il avait l’intention de forcer l’adversaire à livrer bataille le lendemain. Pierre avait plus d’hommes, mais une tactique suffisamment audacieuse pourrait avoir raison de cette supériorité. Les Suédois semblaient avoir amené l’armée russe là où ils le voulaient, puisqu’elle s’était enfermée dans une position adossée à une falaise et à la rivière, le gué de Pétrovka ouvrant la seule voie de repli. Si l’armée de Charles pouvait couper cette voie, les Russes seraient pris au piège. Enfin, après si longtemps, se présentait l’occasion de cette victoire qu’il avait toujours recherchée. Et comme le tsar lui-même était avec ses troupes, la récompense serait peut-être plus magnifique encore. En effectifs, l’armée suédoise qui se préparait en combat ne représentait guère plus que la moitié de celle venue de Saxe deux ans auparavant. Elle comptait désormais 24 bataillons d’infanterie et 17 de cavalerie, soit 25 000 hommes en tout, bien que certains fussent gravement handicapés par des blessures et des gelures de l’hiver précédent. Lœwenhaupt, qui allait commander l’infanterie, voulait jeter tous les Suédois disponibles contre les Russes, mais Charles refusa. Deux mille fantassins restèrent garnir les ouvrages de siège devant Poltava, pour prévenir toute sortie de la garnison ; 2 500 cavaliers furent détachés à la garde du train des équipages ; 1 500 hommes, infanterie et cavalerie mêlés, restèrent éparpillés en divers points le long de la Vorskla en aval de la ville, pour renforcer les cosaques qui patrouillaient afin d’empêcher un franchissement des Russes dans ce secteur. Quant aux 6 000 cosaques commandés par Mazeppa et Gordéenko, ils ne figuraient pas dans les plans de Charles, et devaient être tenus à l’écart du gros des Suédois pendant la bataille. Il estimait en effet que leur indiscipline ne pouvait qu’embrouiller et compromettre les manœuvres précises de ses vétérans longuement exercés. En tout, la force suédoise qui allait affronter 42 000 Russes comptait 19 000 hommes. Charles lui-même serait avec elle, mais surtout à titre de symbole et d’inspirateur. Allongé sur une litière entre deux chevaux, il devait être accompagné par un peloton de 24 gardes qui la porteraient au cas où les chevaux se cabreraient ou seraient tués. Ainsi, malgré sa présence physique sur le terrain — qui était importante —, il serait en fait impuissant : couché sur le dos, il ne verrait que le ciel et les cimes des arbres les plus proches. Impossible dans ces conditions de suivre ou de contrôler les mouvements d’une armée engagée dans une grande bataille. Charles, malade, incapable de monter à cheval, était obligé de déléguer son autorité. Tout naturellement le commandement de l’armée revenait à Rehnskjold, instructeur aussi bien que subordonné de confiance du roi. D’ailleurs le vainqueur de Fraustadt, le brillant cavalier de Klissow et Golovtchine était un magnifique chef. Mais il prenait désormais la tête de l’armée du roi — alors que celui-ci était encore présent. Rôle difficile, rendu plus difficile encore par la personnalité des officiers supérieurs qui l’entouraient. Le premier de ces caractères incommodes était celui de Rehnskjold lui-même. Agé de cinquante-huit ans — plus de trente ans de différence avec Charles —, cet homme taillé en hercule, emporté, physiquement impressionnant, avait une puissance de travail énorme, et son dévouement pour le roi était sans bornes. Ses subordonnés l’accusaient parfois d’être hautain et discourtois. Assurément, sa langue pouvait fouailler, mais il y avait des raisons à cela. A un âge où la plupart des soldats ont pris leur retraite, lui faisait campagne depuis neuf ans sans le moindre repos, en action comme le roi pendant tous les étés et les automnes, dans les camps tous les hivers, sans qu’il fût question de permission. Peu de sommeil, mauvaise nourriture, tension continuelle, rien d’étonnant qu’il fût irritable et nerveux. Il lui manquait les mots amènes et le sourire qui accompagnaient les reproches de Charles, si bien que les fautifs se surpassaient ensuite pour lui plaire. L’irritabilité du feld-maréchal était surtout exacerbée par deux de ses proches. Il supportait mal Piper, haut fonctionnaire et premier ministre de fait, dont la présence dans les discussions d’état-major, où il soulevait continuellement des questions diplomatiques et autres considérations non militaires, l’horripilait. En outre, Rehnskjold savait que si quelque chose arrivait au roi, Piper assumerait légitimement la direction du gouvernement sur le terrain, devenant ainsi le supérieur du maréchal. Mais l’hostilité de celui-ci était tout particulièrement dirigée contre Lœwenhaupt. Le commandant du malheureux train des équipages était un homme atrabilaire, intraitable, dont la susceptibilité se hérissait quand Rehnskjold lui hurlait aux oreilles. Pourtant il se montrait ferme sur le terrain, et son courage ne l’abandonnait jamais. Après Charles, il était le meilleur général d’infanterie, tout comme Rehnskjold était le meilleur général de cavalerie. Il était donc naturel que le roi les désignât tous deux pour commander à Poltava. Mais il ne tint pas compte de leurs personnalités antagonistes, et ce fut une lourde erreur. Quand il mit au point les plans de bataille avec Rehnskjold, il pensa que celui-ci les communiquerait à Lœwenhaupt, qui, étant à la fois à la tête de l’infanterie et commandant en chef adjoint, avait besoin de connaître le dispositif d’ensemble pour pouvoir le mettre à exécution et le modifier si les conditions elles-mêmes se modifiaient. Mais Rehnskjold décida de ne rien lui dire, parce que le simple fait de lui adresser la parole lui était désagréable. Lœwenhaupt avait une façon hautaine et méprisante de recevoir les ordres, comme si seule la fidélité à l’égard du roi pouvait le contraindre à écouter de pareilles sornettes ; cela mettait en fureur le feld-maréchal qui décida donc, à la veille de Poltava, de ne pas dire un mot à son subordonné des plans pour le lendemain. La confusion qui en résulta fut fatale, et Lœwenhaupt le reconnut implicitement après la bataille : « Plût à Dieu que notre gracieux souverain n’eût pas été blessé, dit-il, car alors les choses ne se seraient pas passées ainsi. »" |
Auteur : | Marc Mailly [ 25 Jan 2010 21:12 ] |
Sujet du message : | Re: Bataille de Poltava 1709 |
Les ultimes changements du plan suédois dans la nuit du 27 au 28 juin 1709, la construction de 4 nouvelles redoutes russes et l'ultime mise en place des acteurs du drame. L'extrait suit immédiatement ce qui précède : "Le plan mis au point par Charles et Rehnskjold prévoyait une attaque éclair juste avant l’aube, pour prendre les Russes par surprise et déborder rapidement les redoutes, sans tenir compte des tirs qui qui pourraient éventuellement venir de leurs défenseurs. Une fois cet obstacle dépassé, les colonnes suédoises se rabattraient sur la gauche et se déploieraient dans la vaste étendue dégagée devant le principal camp ennemi ; l’infanterie longerait la lisière Ouest de la plaine entre jusqu’à une position au Nord-Ouest des retranchements de Pierre, tandis que la cavalerie débarrasserait le terrain des adversaires montés. Une fois atteinte la position souhaitée entre les Russes et le gué de Pétrovka, toute l’armée suédoise opérerait une conversion vers la droite et se formerait en ordre de bataille. Si la manœuvre réussissait, les Russes se trouveraient bloqués dans leur camp au bord de la rivière, acculés à la falaise derrière eux, avec l’armée suédoise à cheval sur la route pour leur couper la retraite vers Pétrovka. S’ils ne voulaient pas relever le défi et se battre, ils finiraient par mourir de faim dans leurs retranchements, ce qui ferait parfaitement l’affaire du roi. L’infanterie de Lœwenhaupt — 7 000 hommes seulement — fut divisée en quatre colonnes, deux sur la gauche, soit dix bataillons, et deux sur la droite, soit huit bataillons ; le roi sur sa civière serait avec la première colonne de l’aile gauche, entièrement composée de gardes, la seconde étant commandée par le général Karl Gustav Roos, cependant que celles de droite seraient aux ordres des généraux Berndt Stackelberg et Axel Sparre respectivement ; les escadrons de cavalerie furent formés en six colonnes sous le commandement de Kreutz. Sur les trente canons encore utilisables, la plupart furent laissés dans les ouvrages de siège ou avec les bagages. La décision avait été prise en partie par Rehnskjold. Il éprouvait toute la répugnance du cavalier pour l’artillerie, et tenait que traîner des canons au-delà des redoutes ralentirait l’allure du mouvement qu’il voulait aussi rapide que possible. En outre, le temps manquerait pour les mettre en position et commencer un bombardement ; enfin la plus grande partie de la poudre avait été détériorée par les pluies de l’hiver précédent. Les Suédois ne prirent donc que quatre canons : Rehnskjold espérait que la décision serait emportée par l’acier des baïonnettes et des épées. La nuit étant tombée vers 11 h du soir, l’infanterie suédoise leva le camp sans bruit et se dirigea vers le point de rassemblement. Charles avait fait bander de frais son pied abîmé et endossé son uniforme, la jambe droite prise dans une haute botte à éperons. A côté de lui, sur la litière, son épée nue. On le porta jusqu’à l’endroit où les bataillons de la garde se massaient : là, il trouva Rehnskjold, Piper, Lœwenhaupt et ses autres généraux, enveloppés dans leurs manteaux, qui attendaient en devisant à voix basse. Il y avait peu de lune, et la courte nuit était relativement sombre pour un été ukrainien. A minuit, les soldats qui s’étaient assis ou couchés par terre commencèrent à se former en rangs, non sans quelque confusion due à l’obscurité. Après deux ans de campagne, les uniformes étaient passés, rapiécés et parfois à peine identifiables. Pour se distinguer de l’ennemi, chaque soldat fixa un tortillon de paille à son couvre-chef, et un mot de passe circula parmi eux — « Avec l’aide de Dieu » — qui devait être crié en cas de confusion. Les quatre colonnes formées, les hommes furent autorisés à se rasseoir en attendant la cavalerie. Attente qui fut plus longue que prévu. Normalement les escadrons étaient fort efficacement commandés par Rehnskjold, mais il ne se trouvait pas avec eux puisqu’il avait été placé à la tête de l’armée entière, aussi le sellage des chevaux et la formation de six colonnes à Pouchkarivka prirent-ils du retard sur l’horaire. Tandis qu’ils attendaient, les généraux suédois entendirent un bruit nouveau en provenance des lignes ennemies, des coups de marteau et de hache prouvant que des hommes travaillaient non loin, beaucoup plus près que la ligne des six premières redoutes. De toute évidence, les Russes étaient en train de faire quelque chose dans le no man’s land. Mais quoi ? Pour le savoir, Rehnskjold sauta lui-même en selle. Et ce qu’il découvrit là, dans la pénombre, était très inquiétant. Pendant la nuit, les Russes avaient furieusement pelleté la terre pour construire une nouvelle ligne de quatre redoutes formant un angle droit avec les six précédentes : elle s'avançait jusqu’à la route de Poltava, en direction du camp suédois, et contraindrait toute avance partie de celui-ci à se scinder en deux ailes passant de chaque côté des ouvrages, ce qui l’exposerait au tir de flanquement des canons ennemis. Tandis que Rehnskjold restait les yeux rivés sur ce spectacle, il se rendit compte que les deux redoutes les plus proches de lui n’étaient pas terminées, et au même instant les hommes qui y travaillaient l’aperçurent, lui et son escorte de cavaliers. Un cri, un coup de pistolet et dans les lignes russes un tambour se mit à donner l’alerte. Le feld-maréchal retourna en hâte auprès de Charles, et un conseil de guerre se réunit. Le jour se levait rapidement, la cavalerie était arrivée, mais l’élément de surprise diminuait de minute en minute. Le temps était extrêmement court, et Rehnskjold voulait lancer l’attaque comme prévu sans perdre un instant, sinon il serait obligé de donner l’assaut, et tout le plan de bataille devait être annulé. Bien qu’incapable d’aller reconnaître le terrain en personne, Charles était toujours partisan de l’offensive. Il approuva donc son feld-maréchal, et les ordres furent rapidement répercutés. Les bataillons d’infanterie se regroupèrent en cinq colonnes, et les chefs de quatre d’entre elles reçurent mission de déborder rapidement les nouvelles redoutes sans tenir compte de leur feu, puis de se former en ligne de bataille selon le plan primitif. La cinquième, comprenant quatre bataillons, devait envelopper et attaquer les nouveaux ouvrages. Ainsi, l’avance suédoise serait divisée par les lignes de défense ennemie comme un cours d’eau par une série de gros rochers, la vague centrale venant se ruer contre ces nouveaux obstacles et si possible les déborder. Tandis que les généraux lançaient les ordres ainsi modifiés, l’obscurité se dissipait. L’infanterie suédoise était encore en train de se reformer quand les canons des redoutes les plus avancées ouvrirent le feu, et les boulets labourèrent la masse compacte, immobile, des carolins, décapitant un capitaine, deux grenadiers et quatre mousquetaires. Il fallait faire mouvement. A 4 h du matin, juste au moment où le soleil apparaissait au-dessus des arbres à l’Est, le redéploiement suédois étant terminé, Rehnskjold donna l’ordre d’avancer. La bataille de Poltava était commencée." La suite lorsque j'aurai encore complété mon fichier Openoffice Writer, afin de faire un copier-coller sur ce forum. |
Auteur : | Marc Mailly [ 29 Jan 2010 8:31 ] |
Sujet du message : | Re: Bataille de Poltava 1709 |
J'aurais dû redimensionner la carte qui a élargi la fenêtre du message précédent... Pauvre de moi Mais j'ai refusé d'utiliser le scanner de mon poste de travail, car je ne veux pas confondre mon travail et mon activité sur ce forum. Droiture, scrupule et moralité oblige... |
Auteur : | Marc Mailly [ 31 Jan 2010 11:33 ] |
Sujet du message : | Re: Bataille de Poltava 1709 |
Qu'il me soit permis maintenant de décrire le plus dignement possible la note du boucher, aurait-on dit à bord d'un navire. C'est-à-dire d'évoquer le bilan en pertes humaines de la bataille : "Le champ de bataille était une scène de carnage. L'armée suédoise, qui avait commencé le combat avec 19 000 hommes, en laissait 10 000 sur le terrain, dont 6 901 morts et blessés ainsi que 2 760 prisonniers. Parmi ces pertes, on comptait 560 officiers — 300 morts et 260 prisonniers, dont le feld-maréchal Rehnskjold, le prince Max de Würtemberg, quatre généraux et cinq colonels. Le comte Piper, resté aux côtés du roi pendant toute la journée puis séparé de lui lors de la mêlée finale, erra sur le champ de bataille avec deux secrétaires jusqu'à ce qu'il fût parvenu aux portes de Poltava, où il se rendit. Les pertes russes étaient relativement légères, ce qui n'est pas surprenant puisqu'ils avaient livré une bataille en grande partie défensive, restant à l'intérieur des redoutes et du camp retranché, pendant que leur artillerie fauchait les Suédois avançant à découvert. Sur 42 000 hommes engagés dans l'affaire, Pierre perdit 1 345 tués et 3 290 blessés. Aussi bien pour les chiffres que pour les résultats, c'était l'inverse de tout ce qui s'était passé jusqu'alors dans les chocs entre Pierre et Charles. Quand les Suédois se replièrent sur Pouchkarivka, les Russes ne les poursuivirent pas. La bataille s'était achevée par des corps à corps qui laissaient l'infanterie de Pierre aussi désorganisée que celle de Charles, et, peu convaincue de son succès, elle n'avançait qu'avec prudence." (Robert Kinloch Massie, Pierre le Grand, éditons Fayard, chapitre XXXVI : reddition au bord du fleuve.) En conclusion, j'incite donc tous les lecteurs intéressés à lire cette ô combien passionnante biographie d'un tsar hors normes en tout, et écrite par un auteur aussi passionnant à lire que documenté. Et qui a une fille qui, je l'ai entendu dire, a la même maladie qu'avait Pierre : l'épilepsie. |
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