La noblesse a un poids démographique et politique considérable dans la Hongrie du XIXe siècle. Il est possible de parler, grosso modo, de deux couches distinctes : -Quelques dizaines de familles constituent l'aristocratie hongroise : grands propriétaires terriens, ils détiennent les principaux postes dans la bureaucratie et dans l'armée. Il s'agit des grandes familles comme les Eszterházy, Károlyi, Andrássy, Zichy, Pálffy, Széchenyi ou Wesselényi. Leur prise de position varie selon le contexte. Lors la guerre d'indépendance menée par François II Rákóczi au début du XVIIIe siècle, certaines familles (les kuruc/kouroutz) s'insurgent contre le pouvoir impérial, alors que d'autres (les labánc/labantz) restent fidèles aux Habsbourg. En 1711, certains familles insurgées (avec un Károlyi en tête) passent un accord avec l'Empire, la Paix de Szatmár, qui peut être considéré comme le premier d'une série de compromis entre la noblesse hongroise et la Cour de Vienne. Au XVIIIe siècle, et surtout sous le règne de Marie-Thérèse, les magnats hongrois sont parmi les principaux soutiens du pouvoir impérial en Hongrie ; en revanche, ils bénéficient d'une certaine autonomie de pouvoir à l'intérieur de la Hongrie. Bien entendu, la tradition "kouroutz" n'est pas complètement éteinte, et dans certains cas, l'aristocratie hongroise prend position contre la Cour. L'aristocratie interprète les tentatives de réforme centralisatrice de Joseph II comme une menace contre son propre pouvoir. Lors des guerres napoléoniennes, la plupart des aristocrates refusent de payer des taxes supplémentaires. Dans les années 1830 et 1840, c'est un aristocrate, István Széchenyi, qui est l'initiateur d'un certain nombre de réformes d'esprit libéral ; Széchenyi rêve, par exemple, d'une modernisation des rapports de production (l'abolition du travail forcé, par exemple). En 1848-1849, certains aristocrates, comme Lajos Batthyány et Gyula Andrássy, participent à la Révolution. Or, une grande partie des propriétaires terriens soutient la contre-révolution. En principe, l'aristocratie catholique des régions de l'Ouest de la Hongrie (plus développée du point de vue industriel et commercial) est plus prête à une politique pro-Vienne, tandis que l'aristocratie protestante de l'Est et de la Transylvanie reste fidèle à ses traditions indépendantistes (voire "nationalistes").
-La petite et moyenne noblesse constitue plus de 5% de la population. Au XIXe siècle, et surtout à la veille de la révolution de 1848, c'est cette noblesse sans titre qui se fait porte-parole des courants démocrates. Les petits nobles comme Lajos Kossuth sont les vrais "révolutionnaires" en 1848. Après 1867, leur poids dans l'administration augmente encore. Ferenc Deák est, par exemple, de la moyenne noblesse de la région de Zala.
En tout cas, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la Hongrie traverse une période de développement du capitalisme. A la fin du siècle, l'aristocratie et la petite noblesse sont embourgeoisées, et s'investissent de plus en plus dans le commerce et l'industrie. Les familles de la grande bourgeoisie, quant à elles, sont anoblies. Tout de même, la vieille aristocratie hongroise est fière de son identité, et dédaigne, jusqu'aux derniers jours de la Monarchie, la bourgeoisie et la moyenne noblesse. Entre 1867 et 1918, c'est un parti "pro-compromis de 1867" qui gouverne pour la plupart du temps, et ce parti est plutôt soutenu par les bourgeois. Quelques familles aristocrates comme les Andrássy sont aussi favorables à la solution dualiste austro-hongrois que présente le compromis de 1867. Quant à l'opposition, elle se réclame de la tradition indépendantiste de Kossuth, et trouve un soutien considérable parmi les vieilles familles aristocrates, comme les Károlyi.
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