[… Dans un passé lointain, le paysan russe (
moujik) pouvait se considérer comme un homme libre
…
il n'y avait dans le pays qu'un nombre rapidement décroissant de véritables esclaves (
kholop), descendants de prisonniers de guerre ou de races soumises et employés surtout comme artisans ou domestiques. C'est en homme parfaitement libre et indépendant que le paysan russe avait défriché, la hache à la main, l'immense territoire des rives du Dniepr jusqu'au-delà de l'Oural
…
C'est seulement vers le milieu du Xve que des changements interviennent : recours accentués à la corvée, imposition de redevances en monnaie, entraves aux déplacements.
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Avec la concentration des fiefs sous l'autorité de Moscou, les restrictions deviennent sévères...
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Les grandes émigrations vers les steppes méridionales, le dépeuplement des régions centrales … imposent de nouvelles mesures. … Sous B. Goudounov, la loi de 1597 réglemente le droit de départ, jusqu'alors privilège essentiel des paysans … Animé d'un esprit niveleur, il (Pierre Ier "le Grand") abolit lors d'un recensement la vieille distinction entre les esclaves en droit (
kholop) et les paysans asservis à la glèbe. Indifférent aux finesses juridiques … il ne voit dans les uns comme dans les autres que des éléments où il puisera ses contingents de recrue et les revenus de son trésor.
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L'imposition patriarcale par "
feu" cad par maison paysanne est remplacée par une nouvelle unité de perception "
l'âme masculine" … sous le règne de Pierre III, en 1762 la "
charte des libertés" de la noblesse libère cette classe privilégiée de son obligation de servir l'Etat (ce qui était la justification du servage : je veille à l'intégrité du territoire, à l'administration et le paysan doit assurer la subsistance... Le nbre de serfs augmente avec les donations aux dignitaires et favoris.
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Entre 1740 et 1801, les distributions de serfs mâles ont atteint le chiffre de 1 300 000 (dont 800 000 sous Catherine II).]
Il existe diverses catégories de serfs, trois pour l'essentiel : les serfs domestiques, les hommes soumis à la taille, les hommes astreints à la corvée...
" …
les extravagances du luxe, les caprices de la mode, tout cela est la cause que le nombre des esclaves personnels a passé toute mesure... un propriétaire vivant dans ses terres a, chez lui, non seulement ses tailleurs et ses cordonniers mais aussi des peintres, des chantres de chapelle, des orchestres et même des troupes d'acteurs et des corps de ballet..." Tourgueviev
Le prince de Ligne :
"
Je vois des Russes à qui l'on ordonne : soyez matelots, chasseurs, musiciens, ingénieurs, peintres, comédiens et qui deviennent tout cela selon la volonté de leurs maitres..."
Certains parviennent à se faire émanciper.
A l'opposé de cette minorité de serfs "
domestiques" se trouve un majorité écrasante de paysans dont les seigneurs perçoivent une rente foncière de caractère "
féodal" sous forme de corvées ou de redevances … les corvéables sont particulièrement nombreux dans les régions fertiles … ils travaillent trois jours par semaine pour le seigneur, versent des redevances en nature … L'étendue de leur lopin et l'importance de leur cheptel varient selon les régions ; d'après les données statistiques dont on dispose, une âme recensée possède en moyenne dans les régions boisées du Nord de 6 à 9 déciatines, dans les provinces centrales de 2,8 à 3,7 déciatines … en Ukraine, ce chiffre tombe dans le gvt de Poltaya jusqu'à 2 déciatines
…
Quant aux hommes soumis au seul versement de la redevance (
obrok), ils sont incontestablement au-dessus des autres.
" … cet
obrok est fixé à tant par âme ou ménage (
tiaglo). Mais cette base de l'impôt n'est souvent que fictive. En réalité, les paysans sont taxés en raison de la quantité de terrain qu'ils cultivent. Cet état de chose amène nécessairement de fréquentes mutations dans la répartition des lots de terre et il en résulte des inconvénients graves. … le paysan n'étant pas sûr de conserver longtemps le lot qui lui est départi, ne fait pas de sacrifices pour l'améliorer... d'ordinaire, les paysans soumis à l'obrok ne vivent guère chez eux, n'ayant que peu de terrain … ils laissent à la maison quelqu'un de leur famille et s'en vont exercer ailleurs … revenant dans leur foyer pour y passer l'hiver (les maçons et la plus grande partie des charpentiers travaillant à Moscou et St Petersbourg arrivent des gouvernements de Yaroslav et de Wladimir ; le district de Rostov fournit les jardiniers ou maraîchers à l'Empire..." N. Tourgueniev (le publiciste pas le romancier).
Vous avez les serfs enrichis qui, parfois, prêtent de l'argent à leur seigneur (le prince Belosselki empruntera du jour au lendemain 60 000 roubles qu'il a perdu au jeu ; dans des quartiers marchands à Moscou et St Petersbourg, des maisons et des rues entières appartiennent à des serfs ; la plus grande fabrique de chapeaux de Moscou appartient à un serf de Cheremetiev dont la fortune est évaluée à 5 millions de roubles etc.) : c'est une minorité bien évidemment.
Vous avez ceci, de 5'50 à 15'03 ou 17'07.
https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/le-travail-contre-la-liberte-24-le-servage-et-son-abolition-la-russie-entre-deux-mondes-0*