Wow! Ca glace toujours un peu le sang, ces discussions acharnées sur les continuités ethniques, et je ne peux qu'approuver les remarques de prudence proposées plus haut.
Dans l'espoir de contribuer à clarifier les choses, je propose ici quelques infos pour faire le tri, dans ce qu'on peut lire à droite à gauche, entre la légende et la réalité, au moins sur deux points particuliers.
1. En ce qui concerne l'
ancienneté des Slaves.
NB: Je ne parle ici que des occurrences dans les sources conservées: ce qu'étaient les Slaves auparavant ne nous est plus accessible et relève donc de la pure spéculation. Or dans les sources, ça se présente comme ceci: le terme de Slaves apparaît au VIe siècle seulement; mais au Ier siècle de notre ère, Tacite parlait déjà des Vénèthes. Or par la suite, plusieurs auteurs médiévaux (le premier d'entre eux est Jordanès) ont associé les Slaves et les Vénèthes: du coup, bien des historiens (le premier fut Pavel Safarik en 1862) ont considéré que Slaves et Vénèthes ont toujours été identiques, et qu'on pouvait donc faire l'histoire des Slaves dès le Ier siècle de notre ère.
Toutefois, cette idée a été combattue récemment. En effet, si Slaves et Vénèthes constituaient deux groupes voisins à l'époque de Jordanèes, rien, absolument rien ne permet d'affirmer qu'il en allait de même depuis longtemps: la fin de l'Antiquité étant ce qu'elle est, les recompositions de peuples y ont été nombreuses. Pour prendre un exemple parallèle , les Francs carolingiens prétendent être les nouveaux Romains: cela ne suffit pas pour inclure l'histoire de l'Italie augustéenne dans l'histoire des Francs! La plupart des historiens récents ont donc renoncé à remonter en-deçà du VIe siècle pour l'histoire des Slaves; Kazanski lui-même s'est souvent expliqué à propos du titre qu'il a donné à son ouvrage en expliquant 1) que ce titre lui a été fortement conseillé par son éditeur pour des raisons commerciales et 2) qu'il n'envisageait par là que des cultures archéologiques (il étudie des modes funéraires, des façons de fabriquer des poteries, etc.), et en aucune façon des données biologiques, linguistiques ou politiques. Pour résumer: pas de Slaves connus avant le VIe siècle, sauf si on place la slavitude dans la forme d'une amphore.
2. Pour les
Serbes plus spécifiquement, ce sera plus rapide. Là encore, on peut distinguer entre des sources tardives (donc suspectes) et des mentions plus précoces. En ce qui concerne la première apparition du nom de "Serbes", elle remonte
sauf erreur de ma part à l'année 822, dans les
Annales royales franques (je suis preneur de toute contradiction, mais il serait alors utile que le contradicteur cite ces sources avec précision)*. Par la suite, le récit d'une immigration depuis le nord-est de l'Europe apparaît sous la plume de Constantin Porphyrogénète, et ce récit tardif (Xe siècle, c'est-à-dire plus de quatre siècles après cette hypothétique migration) n'est généralement plus retenu par les spécialistes: ça fait partie des récits d'origine mythiques par lesquels les Grecs aimaient classer les peuples pour simplifier leur vision de l'univers: des Serbes on remonte aux Scythes, des Scythes à Gog et Magog, et de ces derniers à Adam et Eve. Le plus vraisemblable, c'est que les Serbes, comme tout le monde, aient vraiment trouvé leur identité en arrivant sur place, ou même se soient simplement détachés progressivement d'une partie de la population locale au fil des siècles. Quand? Ca, on ne le saura jamais; mais ce phénomène de cristallisation politique n'a laissé aucun signe fiable pour les historiens avant le IXe siècle.
*La
Chronique de Frédégaire (traduite
ici) évoque certes les
Surbi dès le VIIe siècle, mais il s'agit là des Sorabes, autre peuple slave qui existe encore à l'est de l'Allemagne (donc bien loin de la Serbie). Peu de chances pour qu'il y ait un rapport.
Bref, en faisant un peu le tri entre les sources recevables, les légendes médiévales et les reconstitutions ratées des historiens du XIXe siècle, on arrive à y voir un peu plus clair en matière de chronologie. Est-ce que ça nous fournit le moindre petit morceau argument pour disserter sur la solidité des peuples slaves actuels? Que dalle!