Je ne crois pas que l'on ait à évoquer à tout bout de champ "le devoir de mémoire", cela paraît une injonction émotionnelle qui institutionnalise le souvenir, rendu obligatoire, figé, momifié ; il sera toujours préférable de vouloir "un travail de mémoire", d'un effort de mémoire qui s'opposeront, autant que faire se peut, à l'inexorable usure du temps, et tentera de replacer, de restituer toute cette accumulation de dévouements et d'immolations dans le contexte plus - trop- général de l'histoire de notre pauvre XXème siècle tellement éprouvé ! Car, somme toute, l'histoire, et la finalité des enseignements de l'histoire, ne sont hélas, pas sentimentales, ni morales, mais bien raisonnées, méthodiques, critiques et, surtout civiques.
Et puis, peu à peu , il faut hélas en prendre conscience, ces sommes de luttes, les sommets de ces calvaires ne seront plus que traces abstraites dans les livres d'histoire : un philosophe contemporain ne vient-il pas d'écrire que "l'histoire est un palimpseste gratté et réécrit aussi souvent que nécessaire", tandis que Baudelaire évoquait "l'immense et compliqué palimpseste de la mémoire"…
Alors, nous, les survivants, les témoins de cette époque, en dépit des ravages du temps, nous ne voulons pas encore "retourner le sablier" et tenons à apporter notre déposition devant le Tribunal de l'histoire : jamais les livres ne pourront, eux, rapporter - reporter - les souvenirs chargés des peurs et des dangers physiques, de tortures insupportables, de la géhenne concentrationnaire : l'histoire se voudrait être comptée parmi les "sciences humaines", mais, au fait, sera-t-elle jamais une "science", sera-t-elle même , en vérité, "humaine" ?
mais la froide relation historique ne pourra jamais parvenir à donner aux femmes et aux hommes de demain la chronique charnelle des peurs et des agonies dont le passé a été aussi chargé
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