Citation : "Donc il y a bien eu lieu un Concile sur cette question."
Il est certain qu'il y a eu un concile! C'était celui de 879-880 qui, en présence des légats du pape Jean VIII et des évêques de tous les autre patriarcats ont "cassé" le VIIIème concile anti-photien de 869-870.
Les historiens catholiques ne mentionnent jamais ce concile. Voici, dans les grandes lignes le déroulement et les décisions de ce concile et queques précisions sur l'origine du filioque :
Le Concile de 879-880 (VIIIème œcuménique)
Les légats du pape Jean VIII au Concile qui se tint à Constantinople en 879 Oadhérèrent avec ceux des sièges patriarcaux de l’Orient (et avec tous les évêques présents) à la condamnation solennelle que ce Concile prononça au cours de sa sixième session contre le filioque qui avait été si malencontreusement ajouté en Occident au Symbole de Nicée, et que le pape Nicolas 1er (24 avril 858-13 novembre 867) avait approuvé.
Tant par sa composition que par le caractère de ses décisions, ce Concile porte tous les caractères d'un Concile Œcuménique. Tous les cinq patriarcats composant l'Eglise de cette époque y étaient représentés, y compris le patriarcat de Rome, de sorte que ce concile fut le dernier qui ait été commun à l'Eglise d'Orient et à celle d'Occident. Ces participants étaient au nombre de 383, c'était donc le plus grand concile après celui de Chalcédoine. Il fut convoqué en tant que Concile Œcuménique et, dans ses actes, s'intitule « grand et œcuménique concile ». Il ne fut pas il est vrai, reconnu officiellement par l'Eglise comme Œcuménique parce qu'une telle reconnaissance avait lieu généralement au Concile suivant et qu'il n'y en eut plus. Toutefois, une série de personnalités ecclésiastiques l'appelèrent Huitième Concile Œcuménique. Ce furent par exemple le célèbre canoniste du XIIe siècle, Théodore Balsamon, Nil de Thessalonique (XIVe siècle), Nil de Rhodes (XIVe siècle), Syméon de Thessalonique (XVe siècle), saint Marc d'Ephèse, Gennade Scholarios, Dosithée de Jérusalem (XVIIe siècle), etc... Ainsi que l'a montré le professeur Dvornik dans son œuvre connue «Le Schisme de Photius » et ainsi que cela est admis à présent par la science historique, même catholique-romaine, le Concile de 879-880 fut considéré également en Occident jusqu'au XIIe siècle comme le Huitième Concile Œcuménique. Il n'y eut jamais de rejet de ce Concile par le pape Jean VIII, ni aucun «second schisme photien » (c'est-à-dire aucune rupture entre Photius et Jean VIII). Tout cela, ce sont des légendes inventées par les ennemis de Photius ; elles ne furent admises en Occident qu'au XIIe siècle lorsque, les prétentions des papes à une juridiction universelle croissant constamment, les canonistes romains se mirent à considérer comme Huitième Concile Œcuménique non celui de 879-880, mais le conciliabule anti-photien de 870. Les travaux du Concile de 879-880 sont aussi revêtus d'un caractère œcuménique. Tout comme les Conciles Œcuméniques il adopta une série de décisions de caractère dogmatico-canonique.
1) II proclama immuable le texte du Credo sans Filioque et jeta l'anathème sur tous ceux qui y apporteraient des modifications. « Ainsi, décide le Concile, quiconque, arrivé au degré extrême de la folie, aura l'audace d'exposer un autre symbole... qui ajoutera ou qui enlèvera quoi que ce soit au Symbole qui nous a été transmis par le Saint Concile Œcuménique de Nicée... qu'il soit anathème ». Cette décision est d'autant plus signi ficative que le Filioque était, à cette époque, déjà introduit dans le Symbole à maints endroits en Occident et qu'en Bulgarie les missionnaires latins insistaient sur son insertion. Les légats du pape ne firent aucune objection à cette décision du Concile.
2) Ce Concile reconnut le second Concile de Nicée (anti iconoclaste) de 786-787 comme Septième Concile Œcuménique.
3) II établit les relations avec l'église de Rome et reconnut la légitimité du patriarcat de Photius, condamnant ainsi indirectement l'intervention anticanonique des papes Nicolas Ier et Hadrien II dans les affaires de l'Eglise de Constantinople.
4) Ce Concile délimita le pouvoir des patriarcats de Rome et de Constantinople ; il rejeta les prétentions de l'évêque de Rome à un pouvoir juridictionnel en Orient, ne lui ayant pas reconnu le droit de recevoir dans sa juridiction ni d'acquitter par son propre pouvoir les clercs condamnés en Orient (de même que vice-versa, l'Orient ne devait pas recevoir les clercs condamnés en Occident). Ce qui est particulièrement important, le Concile interdit en même temps toute modification future de la situation canonique de l'évêque de Rome.
Telles sont les décisions dogmatico-canoniques du Concile de Constantinople de 879-880. Comme texte symbolique de l'Eglise orthodoxe, l'importance des décisions prises à ce Concile est incontestable. Il apparaît très désirable que le Concile Œcuménique à venir proclame le Concile constantinopolitain de 879-880 qui formula ces décisions - Huitième Concile Œcuménique. En effet, il l'était par sa composition et comme ayant exprimé la foi que l'Eglise tout entière gardait depuis toujours concernant le Credo ainsi que les droits de l'évêque de Rome, en rapport avec les questions de l'addition du Filioque et des prétentions des papes à une juridiction universelle qui apparurent alors." 1
Dès que Jean VIII reçut les actes du Concile, il écrivit au Patriarche Photios:
« Nous connaissons les bruits désavantageux qui vous ont été rapportés sur notre compte et sur le compte de notre Église ; voilà pourquoi j’ai voulu m’en expliquer avec vous avant même que vous ne m’en écrivissiez. Vous n’ignorez point que votre envoyé, en s’expliquant avec nous sur le Symbole, trouva que nous l’observions comme nous l’avons reçu primitivement, sans y ajouter ni en retrancher rien, car nous connaissons le rude châtiment que mérite celui qui oserait y porter atteinte.
« Ainsi, pour vous tranquilliser sur cet objet qui fut pour l’Église un motif de scandale, nous vous déclarons encore une fois que non seulement nous le prononçons ainsi, mais que nous condamnons même ceux qui, dans leur folie, ont eu l’audace d’agir autrement dans le principe, comme violateurs de la parole divine et falsificateurs de la doctrine de Jésus Christ, des Apôtres et des Pères, lesquels nous ont transmis le Symbole par les Conciles ; nous déclarons que leur part est celle de Judas, pour avoir agi comme lui, puisque, si ce n’est point le corps même du Seigneur qu’ils mettent à mort, ce sont les fidèles de Dieu, qui en sont les membres, qu’ils déchirent au moyen du schisme en les livrant, ainsi qu’eux-mêmes, à la mort éternelle comme cela a été pratiqué par l’indigne apôtre.
« Je suppose cependant que votre Sainteté, qui est remplie de sagesse, ne peut ignorer qu’il n’est pas facile de faire partager cette opinion à nos évêques et de changer en peu de temps un usage aussi important, qui a pris racine depuis tant d’années.
« C’est pourquoi nous croyons qu’il ne faut contraindre personne à quitter cette addition faite au Symbole, mais qu’il faut agir avec modération et prudence, en exhortant à renoncer peu à peu à ce blasphème.
« Ainsi donc, ceux qui nous accusent de partager cette opinion ne disent point la vérité – mais ceux qui affirment qu’il existe encore parmi nous des personnes qui osent réciter ainsi le Symbole ne sont pas trop éloignés de la vérité.
« Il convient donc que votre Fraternité ne se scandalise pas trop sur notre compte et ne s’éloigne pas de la partie saine du corps de notre Église, mais qu’elle contribue avec zèle, par sa douceur et sa prudence, à la conversion de ceux qui se sont éloignés de la vérité, afin de mériter avec nous la récompense promise.
« Salut dans le Seigneur, frère catholique et dignement vénéré. »
Signalons également que ce même concile de 879-880 a condamné le synode (anti-photien) de 869-870, ce dernier est pourtant reconnu, certainement depuis le XIIème siècle, comme VIIIème concile œcuménique par les catholiques romains. A la quatrième session de ce concile, les légats du pape Jean VIII demandèrent à ce que les schismatiques, ceux qui refuseraient de reconnaître Photios pour patriarche, soient excommuniés. Ceci fut accepté sans difficulté par le concile. Il fut proclamé, à la fin de cette session, par les légats romains :”Puisque, dit le cardinal Pierre, tous les scandales avaient disparu, par la grâce de Dieu, et que la concorde est rétablie dans l’Eglise, allons tous ensemble à l’église, puisque l’heure des Saints offices est arrivée, et allons célébrer avec le patriarche Photios”. Le concile répondit :”Cette proposition est bonne et agréable à Dieu; qu’il soit fait comme vous l’avez dit! Dieu conserve notre chef et prolonge ses jours pour le bien de son Eglise!” 2
Petit détail amusant, tant le concile de 879-880 que le conciliabule anti-photien de 869-870 ont condamné le pape Honorius 1er comme hérétique. Ce qui prouve que le concept d'infaillibilité pontificale est bien tardif; il put certainement se développer à partir ou autours des années 1300. En effet, en 1302 le pape Boniface VIII (v. 1235 — 1303) publie la bulle "Unam Sanctam" qui formule à son plus haut point la définition du pouvoir pontifical comme souveraineté universelle. Voici en quelques lignes le portraît de Boniface VIII : "Il avait fait emprisonner son prédécesseur Célestin V après l'avoir d'abord persuadé de démissionner. Puis il s'était manifesté comme fou mégalomane et narcissique, faisant ériger un peu partout des statues de lui-même. Voulant réaliser le rêve théocratique d'être à la fois pape et empereur, il apparaissait tour à tour en habits pontificaux et impériaux tout en hurlant « ego sum Caesar, ego imperator! »" 3
La manière dont le faux concile antiphotien de 869-870, cassé par le concile œcuménique de 879-880, a été transformé en VIIIe concile œcuménique par la Papauté est un exemple intéressant d’une falsification (à côté d’autres comme les Fausses Décrétales ou la fausse Donation de Constantin) par laquelle la Papauté s’est construite.
Si nous nous reportons à l’édition universitaire catholique romaine des décrets des conciles œcuméniques (donc qui considère le faux concile de 869-870 comme concile œcuménique), nous pouvons trouver le fait intéressant qui suit :
« Yves de Chartres affirme clairement que « Le concile de Constantinople, qui a été fait contre Photius, n’est pas recevable.» 4
Yves de Chartres (1040-1116), canoniste renommé, écrivait donc à l’extrême fin du XIe siècle que ce concile n’était pas recevable. Nous ne savons pas à quelle époque ni par quelle manœuvre on l’a soudain transformé en VIIIe concile œcuménique, mais le fait est intéressant quant à la manière dont fut construite l’idéologie papale. Nous n’arrivons pas à dater le basculement dans la reconnaissance du concile anti-photien mais ce que l’on peut dater, c’est sa fixation. Il y a de bonne raison de penser qu’elle a eu lieu lors de la « réforme grégorienne » avec la publication des Décrétales en 1234. On sait que Grégoire IX avait chargé de la compilation et de la réécriture de tout le droit canon le dominicain Raymond de Peñafort, rédacteur également d’un manuel de procédure inquisitoriale. Gratien n’a fait qu’une compilation érudite sans autorité canonique, c’est Peñafort qui a verrouillé le droit canon romain. Il s’agit d’une étape clef de la construction de la papauté, après les croisades d’Innocent III et ses décisions cléricalistes (communion du peuple au seul Pain eucharistique, interdiction de lecture de la Bible en langue vernaculaire, restrictions du droit de prêche).
Le filioque en Espagne
Les catholiques romains prennent comme argument le recours des catholiques d’Espagne au filioque pour contrer les Ariens, et ainsi tentent de justifier son ajout dans le Credo; nous verrons qu’ il n’en n’est rien.
En effet, nous découvrons, dans l’excellente Histoire des Espagnols, dirigée par le professeur Bartolomé Bennassar dans la collection Bouquins aux éditions Robert Laffont (Paris 1992), que
le Filioque était une croyance arienne, en tout cas des ariens d'Espagne : “L'arianisme n'était rien d'autre qu'un christianisme simplifié, dépouillé pour une large part de ses mystères. Dans la Trinité divine, seul le Père était un, inengendré et éternel.
Le Fils procédait du Père, et l'Esprit, à son tour, procédait du Fils (souligné par nous - NdL). Les efforts du roi wisigoth Léovigilde pour susciter des ralliements à l'arianisme: "Concessions dans la pratique des conversions: pour être admis dans le culte arien, une simple déclaration d'intention suffira, au lieu d'un nouveau baptême comme précédemment. Concessions sur les questions dogmatiques: l'égalité du Père et du Fils est admise,
seul le Saint-Esprit restant relégué à un rang subalterne (souligné par nous - NdL)” . Bonnassie indique que cette soudaine insistance sur la procession ex Filioque, alors admise dans un sens arien, se situe au début des années 580; la conversion du roi Reccarède à l'Orthodoxie est, comme on le sait, de 586 ou 587.
Avouez que l'Histoire officielle qui veut que le concile de Tolède de 589 ait inséré Filioque dans leCredo pour bien montrer aux Wisigoths, à peine repentis de l'arianisme, l'égalité du Père et du Fils devient difficile à gober. Le concile aurait voulu montrer aux Wisigoths les différences doctrinales entre christianisme orthodoxe et arianisme en modifiant le Credo des orthodoxes pour le rendre conforme à une doctrine arienne sur laquelle insistait particulièrement Léovigilde, l'assassin de saint Herménégilde - c'est-à-dire une doctrine qui représentait tout le passé que l'on voulait rejeter? Où est la logique là-dedans?
Et comment penser que saint Léandre (présent au IIIème concile de Tolède), qui passe pour avoir été d'origine grecque, qui était un ami de saint Grégoire Dialogue, qui avait été envoyé comme ambassadeur à Constantinople où le patriarche saint Jean le Jeûneur lui avait dédié un de ses écrits, aurait présidé un concile qui se serait doté d'un Credo différent de celui professé par Rome et Constantinople?
Aussi, voilà ce que nous lisons, dans le tome IV des Petits Bollandistes de Mgr Guérin, page 445, à la date du 16 avril, sur la notice de saint Thuribe, évêque d'Astorga en Espagne, mort en 460, où Mgr Guérin affirme que ce saint évêque réunit contre les priscillanistes un concile regroupant les évêques des provinces de Tarragone, de Carthagène, de Portugal et d'Andalousie (on sent déjà le faux: le Portugal et l'Andalousie n'existaient pas au Vème siècle - NdL) : "Ce synode, pour expliquer la procession du Saint-Esprit, ajouta au symbole de Constantinople le terme Filioque" (suit une longue argumentation reprise des polémistes papistes anti-orthodoxes antérieurs, du type Anselme de Cantorbéry ou l'Alcuin, pour nous expliquer que le Filioque était contenu dans la pensée (!) des Pères du IIème concile, et que ceux qui lui sont hostiles sont des hérétiques, le tout sur un fond augustinien de confusion entre la personne du Saint-Esprit et la relation d'amour entre le Père et le Fils).
On notera que Mgr Guérin ne donne ni la date, ni le lieu de ce concile; il le situe seulement sous le pontificat de saint Léon Ier de Rome et l'épiscopat de saint Thuribe d'Astorga, donc entre 440 et 460.
Voilà une notice de Mgr Guérin qui ouvre la voie à bien des réflexions. Il doit avoir trouvé dans un ouvrage antérieur, le Martyrologe des Saints d'Espagne de Salazar, la mention de ce mystérieux synode sans lieu ni date qui permettrait de faire remonter l'insertion du Filioque bien avant le IIIème concile de Tolède de 589. A moins qu'il ne l'ait inventé lui-même - peu importe. Ce qui importe, c'est de découvrir qu'il y a eu à une époque chez les filioquistes une tentative de faire remonter l'insertion du Filioque dans le Credo à un concile antérieur à celui de 589, et que plus personne ne parle de ce mystérieux concile du Vème siècle.
La question nous viens évidemment à l'esprit: quelle raison avons-nous de penser que l'insertion du Filioque par le concile de 589, telle que nous l'enseigne l'Histoire officielle, soit plus digne de foi que l'insertion par un synode galicien du Vème siècle, telle que Mgr Guérin (ou de la source qu'il utilise) essayait de le faire accroire en 1874? Nous ne voyons pas pourquoi nous croirions à la deuxième fable plutôt qu'à la première.
Mais pourquoi fallait-il absolument que le Filioque et la réforme liturgique fussent attribués à un concile espagnol - celui de 589, ou un concile antérieur comme le prétendait Mgr Guérin?
Quel était l'Eglise locale qui, tout en ayant le même rite ou à peu près que celle des Gaules, avait joui d'un prestige immense et était en totale perdition du fait de la conquête musulmane au moment où la cellule carolingienne procédait à la "mystification fatale" (scripsit Cyriaque Lampryllos) en 794? L'Eglise d'Espagne...
Il était facile à Charlemagne (ou plutôt aux clercs dévoyés qui inspiraient son action) de se faire soudain l'exécutant des décisions d'un concile de deux siècles antérieur (au fait, pourquoi deux siècles d'attente?), tenu par une Eglise qui avait presque été considérée comme un patriarcat à elle seule, et qui se trouvait à ce moment-là réduite à un groupe en voie d'assimilation sous domination musulmane et à un autre groupe survivant dans les Asturies et en Galice.
Qui pouvait bien vérifier ce qui s'était passé à Tolède, ville qui allait rester sous domination musulmane jusqu'en 1085?
Faisons aussi remarquer le grand érudit Adam Zernickaw, luthérien prussien devenu moine orthodoxe à la Laure des Grottes de Kiev, avait publié en Ukraine en 1682 un énorme travail recensant toutes les falsifications concernant le Filioque qu'il avait pu constater de visu dans tous les manuscrits patristiques des bibliothèques d'Europe; il ne resterait que deux exemplaires de cet ouvrage, à Helsinki et à Londres. (Cependant, Mgr Eugène Voulgaris publia en 1797 à Saint-Pétersbourg une édition grecque de l'ouvrage du père Adam Zernickaw augmenté de falsifications découvertes ultérieurement). Citons Béziat: “A l'appui de cette thèse (celle de la falsification des Actes du concile de Tolède - NdL) , nous trouvons Zoernikav qui, en 1682, fit remarquer que les anciennes éditions des Actes des Conciles, comme celles de Cologne (1530) et de Paris (1535) ne mentionnent point le Filioque dans le concile de Tolède de 589; dans l'édition de Madrid de 1543, l'addition se trouve, mais est notée en marge comme interpolée. L'édition royale de 1644 et celle de Paris en 1671, en revanche, insèrent le Filioque sans commentaire."
Venons-en maintenant à la question de savoir quel Credo l’on récitait en Occident avant le roitelet barbare Charlemagne? On se doute bien, en effet, que l'insertion du Filioque dans le Credo de Nicée-Constantinople aurait été des plus difficiles si le peuple avait été habitué à entendre à l'église le Credo de Nicée-Constantinople inaltéré. (Même si le fait que le latin n'était plus compris par le peuple depuis le VIIIème siècle aurait pu faciliter les choses.)
Nous sommes allé chercher la réponse chez Mgr Duchesne et chez le père Paprocki. Et qu'y avons-nous trouvé?
L'usage liturgique de l'Occident latin connaissait deux variantes de rite: le rite romain (limité à l'Italie centrale pendant longtemps) et le rite gallican (dominant en Italie du Nord, dans les Gaules, dans les îles Britanniques, dans la péninsule ibérique sous sa forme mozarabe). La liturgie mozarabe a survécu jusqu'au XIème siècle, et elle survit encore d'une certaine manière dans un usage limité à Séville. La liturgie romaine a été propagée en Gaule et en Germanie par Boniface et par Chrodegang de Metz au milieu du VIIIème siècle. Mgr Guérin prétend ensuite que c'est le premier usurpateur karlovingien, Pépin le Bref, qui aurait supprimé le rite gallican; mais il n'en donne pour preuve qu'un édit de Charlemagne (toujours lui!) de 789 attribuant l'interdiction du rite gallican à son père Pépin le Bref... Comme il attribuera en 794 l'insertion du Filioque au IIIème concile de Tolède de 589?
Mais la "cellule carolingienne" n'a pas détruit le rite gallican pour lui substituer le rite romain. Comme dans la transformation de la vie monastique, où le prestige de saint Benoît de Nursie servira à couvrir une règle en fait rédigée par Benoît d'Aniane, le nom du rite romain servira à couvrir un rite modifié par les Carolingiens.
Pour citer un long passage de Mgr Duchesne, qui se termine par une constatation où l'on sent qu'il se doutait quand même qu'une monstrueuse mystification avait eu lieu à cette époque:
"L'intervention de Rome dans la réforme liturgique ne fut ni spontanée ni très active. (Normal: les patriarches de Rome, restés orthodoxes, tenaient en lisière les Carolingiens et tout le clan filioquiste - NdL.). Les papes se bornèrent à envoyer des exemplaires de leurs livres liturgiques, sans trop s'inquiéter de l'usage que l'on en ferait. Les personnes que les rois francs, Pépin, Charlemagne et Louis le Pieux, chargèrent d'assurer l'exécution de la réforme liturgique, ne se crurent pas interdit de compléter les livres romains et même de les combiner avec ce qui, dans la liturgie gallicane, leur parut bon à conserver. De là naquit une liturgie quelque peu composite, qui, propagée de la chapelle impériale dans toutes les églises de l'empire franc, finit par trouver le chemin de Rome et y supplanta peu à peu l'ancien usage.
La liturgie romaine, depuis le onzième siècle au moins, n'est autre chose que la liturgie franque, telle que l'avaient compilée les Alcuin, les Helisachar, les Amalaire. Il est même étrange que les anciens livres romains, ceux qui représentaient le pur usage de Rome jusqu'au neuvième siècle, aient été si bien éliminés par les autres qu'il n'en subsiste plus un seul exemplaire. (Souligné par nous- NdL) "
Or, s'il ne subsiste plus un seul exemplaire des anciens livres romains, n'est-ce pas parce que ceux-ci ne contenaient pas le Filioque?
En tout cas, Mgr Duchesne est formel sur un point: l'usage de chanter le Credo dans le rite romain ne fut introduit à Rome que dans la première moitié du onzième siècle. "Bernon, abbé de Reichenau, raconte que, lui présent, l'empereur Henri II réussit à faire accepter cet usage au pape Benoît VIII (1012-1024); jusque-là les Romains ne le connaissaient pas." Et c'est précisément lors de cette cérémonie, le 14 février 1014, que le patriarcat de Rome, pour la première fois, accepta le Filioque et chuta irrémédiablement hors de la foi apostolique... Naturellement, comme le peuple n'avait pas eu l'habitude d'entendre le Credo inaltéré, il n'était pas en mesure de se rendre compte du trucage.
Mgr Duchesne décrit la messe gallicane en se fondant sur la description de saint Germain de Paris (+ 576), confrontée avec le missel mozarabe et les anciens livres liturgiques de la Gaule mérovingienne, de la Bretagne et de l'Italie du Nord. Aucune mention du Credo. Ni du symbole des Apôtres.
Donc, vers 576, on ne chantait ni ne récitait le Credo dans le rite gallican. L'a-t-on fait entre 576 et l'insertion du Filioque par Charlemagne en 794? Voilà la réponse que nous avons trouvé chez le père Paprocki, qui se base sur des auteurs catholiques-romains: "Dans l'Eglise d'Occident, le synode de Tolède de 589 prescrit de réciter le Credo pendant la messe en Espagne. De là cet usage est passé en Irlande et en Angleterre. Au VIIIème siècle, l'empereur Charlemagne a introduit la récitation du Credo pendant la messe à la cour impériale d'Aix-la-Chapelle. Ensuite le Credo entra dans la pratique milanaise, et en l'an 1014, à la requête de l'empereur Henri II, le pape Benoît VIII l'imposa dans la messe."
De ce récit basé sur des sources qui ont intérêt à nous faire accroire la naissance du Filioque selon l'Histoire officielle, on relèvera que même les historiens filioquistes ne font aucune mention de la récitation ou du chant du Credo dans l'Eglise des Gaules et l'Eglise de Milan avant Charlemagne. On nous parle de récitation du Credo en Espagne, en Irlande et en Angleterre, pas dans les Gaules. Pas avant Charlemagne. Et voilà comment il était si facile de faire sortir le Filioque de sa boîte sans que le peuple ne se révoltât...
Signalons aussi que selon Denzinger-Schönmetzer (poutant ultramontain), le filioque dans le Credo serait une interpolation dans les copies des actes de ce concile faites 600 ans après, du moment où les copies plus anciennes ne l'ont pas. Ceci confirme donc la thèse du moine Zernickaw. Nous lisons bien, en effet, à la p. 167 de l'édition française, l'aveu que l'adoption du Filioque par le IIIème concile de Tolède est bien une falsification postérieure: "Il semble cependant avoir été ajouté, étant donné qu'il manque dans certains manuscrits anciens, par exemple dans le Codex Lucensis (IXème siècle); voir J. Orlandis et D. Ramos-Lisson, Die Synoden auf der iberischen Halbinsel bis zum Einbruch des Islam (711) (Konziliengeschichte, Reihe A: Darstellungen; Paderborn, 1981), 109 s., en particulier note 54."
1) Source :
http://www.orthodoxworld.ru/french/texte/3/index.htm
2) cf. Wladimir Guettée, De la papauté, L’Age d’Homme, 1990 Lausanne, p. 183
3) Franciscus Pippinus Bononiensis, Chronicon [1276-1314], chapitre 47, in L.A. Muratori (éd.), Rerum Italicarum scriptores.., vol. IX, Milano, 1726, p.745, col. 1, C-D.
4) Giuseppe Alberigo e.a, Les Conciles œcuméniques, tome II.1, 1ère édition italienne, Bologne 1973, édition française, Le Cerf, Paris 1994, p. 350.
Il est donc manifeste que la thèse de la "querelle byzantine" est à écarter!