Phocas a écrit :
Quelle est la part de responsabilité du pouvoir dans le déclenchement et les conséquences dramatiques de cette famine.? Le pouvoir pouvait-il "alléger" le bilan?
Mao était parfaitement au courant de ce qui advenait. Ses discours antérieurs témoignent même qu'il avait anticipé un bilan humain désastreux :
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Cette famine fut la pire du XXe siècle – et même de toute l’Histoire. Mao causa sciemment la mort de [ces] dizaines de millions de personnes en les affamant et en les surchargeant de travail. Au cours des deux années critiques de 1958 et 1959, les seules exportations de céréales, qui se montaient presque exactement à 7 millions de tonnes, auraient fourni l’équivalent de plus de 840 calories par jour à 38 millions d’êtres humains – ce qui fait la différence entre la vie et la mort. Et encore ne s’agit-il que des seules céréales ; mais la viande, l’huile de cuisine, les œufs et les autres denrées étaient également exportées en énormes quantités. Si tous ces produits alimentaires avaient été écoulés sur le marché intérieur ou distribués avec humanité, il est fort probable que pas un seul Chinois ne serait mort de faim.
À vrai dire, Mao avait prévu un nombre de victimes plus considérable encore. […] Au congrès de 1958, où fut donné le coup d’envoi du Grand Bond, il expliqua à son auditoire que, si des gens mouraient par suite de la politique menée par le Parti, il fallait ne pas s’en effrayer, mais s’en réjouir. […] Il fut interdit de porter le deuil et même de pleurer, puisque Mao avait dit qu’il fallait se réjouir de la mort des gens.
Elle représentait en effet à ses yeux des avantages très concrets. « Les décès ont leur utilité, dit-il à de hauts responsables le 9 décembre 1958. Ils permettent de fertiliser les terres. » […] « Nous sommes prêts à sacrifier 300 millions de Chinois à la victoire de la révolution mondiale », avait-il déclaré à Moscou en 1957 – soit la moitié de la population d’alors. Il le confirma devant le congrès du Parti, le 17 mai 1958 : « Ne faites donc pas tant d’histoires à propos d’une guerre mondiale. Au pis, elle fera des morts […]. La moitié de la population disparaîtrait – c’est déjà arrivé plus d’une fois dans l’histoire chinoise […]. Le mieux, c’est qu’une moitié de la population reste en vie, sinon au moins un tiers… »
[…] Le 21 novembre 1958, évoquant devant ses proches conseillers les projets qui exigeaient une énorme main-d’œuvre, comme les campagnes d’irrigation et la fabrication de l’« acier », il déclara, reconnaissant de façon implicite et presque cavalière que les paysans n’avaient pas de quoi manger et devaient se tuer à la tâche : « En travaillant ainsi, avec tous ces projets, la moitié des Chinois devront peut-être mourir. Si ce n’est pas la moitié, ce sera peut-être un tiers, ou un dixième – disons 50 millions de gens. » Conscient de ce que de telles remarques pouvaient avoir de choquant, il chercha aussitôt à dégager sa responsabilité : « Cinquante millions de morts, poursuivit-il, cela pourrait me coûter ma position, cela pourrait même me coûter la tête […], mais si vous insistez, il faudra bien que je vous laisse faire, et vous ne pourrez pas me blâmer quand les gens commenceront à mourir. »
2006, Le Point 1759, 124-126
Je reprends ces mots de Mao, le
9 décembre 1958 :
« Les décès ont leur utilité. Ils permettent de fertiliser les terres. »
Le brave homme avait même pensé à l'engrais.