Un exemple permettra de mieux comprendre. Comme toutes les civilisations avant d'utiliser l'écriture, la Grèce a eu des conteurs qui transmettaient oralement certains faits historiques ou des mythes issus de ces faits. Ces mythes et ces contes furent, pour certains, transcrits et sont donc arrivés jusqu'à nous.
Même s'ils sont basés sur des faits historiques leur interprétation est très difficile et il n'a pas toujours été possible de les raccorder avec des faits connus.
Malheureusement, quelque soit le talent des personnes chargés de transmettre ces documents oraux (et certains sont très doués), ils n'auront jamais l'efficacité du petit scribe qui tient au jours le jour, pour son roi, la chronique des évènements. D'ailleurs, plutôt que de parler d'efficacité, il faudrait parler d'exhaustivité.
Dans un documentaire sur des conteurs en Afrique (je ne me souviens plus de quelle région de ce grand continent, il s'agit
), on assistait à une réunion annuelle ou tous les conteurs de l'ethnie concernée se réunissaient et racontait, chacun à tour de rôle les évènements qu'ils avaient eu connaissance. Ensuite, les sages de l'assemblée décidaient de ceux qui méritaient d'être gardés en mémoire et ceux qui ne le méritaient pas. Cela est nécessaire, parce que la quantité de données que peut conserver un cerveau humain est malheureusement limitée.
Certains ethnologues sont allés recueillir les récits de ces conteurs. Ils ont fait en sorte que ce savoir ne passe pas aux oubliettes de l'histoire, mais malheureusement, leur œuvre a souvent été trop limitée. Quand on réussi à préserver ce formidable savoir, c'est autant de gagné pour la connaissance des anciennes civilisations.
On sait que la mémoire humaine peut, sous certaines conditions, transmettre des évènements qui ont plus de 100 ans d'antériorité. Aller plus loin est très sujet à caution. En fait, c'est possible, si on accepte de perdre en précision temporelle. On a de nombreux exemples de "grands rois" dont on ne sait si c'est le père ou le fils (et cela même chez des populations qui possédaient l'écriture ...). Il faut accepter ces faits.
Bien sûr, les populations des zones ou l'on ne connaissaient pas l'écriture avaient une histoire, parfois même une histoire très riche en évènements remarquables. On ne peut que regretter que ces histoires ne soient pas arrivés à notre connaissance. Je sais que certains essayent de restaurer cette mémoire. Mais, il faut en accepter les limites (ce sont d'ailleurs les mêmes que l'on rencontre avec la geste arthurienne ou avec les légendes nordiques), des évènements dont la réalité n'est pas formellement établie. Ca peut faire de très beau romans, mais il faut accepter cette part d'ignorance.
L'archéologie démontre que la vie africaine fut sans doute plus riche que l'on a voulu le croire à un moment. Certains, par exemple, partent du postulat que le fer y était inconnu avant son introduction, soit par les marchands d'esclaves arabes, soit par les colonisateurs européens. Certains indices donneraient à penser que des forgerons maitrisaient déjà cette technique avant l'arrivée des arabes ou des européens, sans que l'on puisse savoir si c'est le fait d'une découverte locale ou d'une diffusion par des voies de commerces qui existaient depuis la plus haute antiquité.
De nombreux africains pensent que la position des historiens est une tentative de nier leur histoire. Or, ce n'est pas le cas, je pense qu'il y a peu d'historiens pour se féliciter de l'état de méconnaissance ou nous plonge la non-perduration des chroniques orales des temps passés. C'est aussi les raisons pour lesquelles il y en a beaucoup qui s'intéressent aux contes et légendes de nos régions; ils font la même quête que les africains. Ils recherchent leurs racines.
Il faut bien voir que dans de nombreuses civilisations l'invention de l'écriture est un véritable séisme en terme de connaissance. Avant on n'a accès que dans ce qui est dans la tête des vivants et la quantité de données est forcément limitée. Ensuite, c'est la taille des bibliothèques et l'entretien des livres qui limite la quantité de données transmise. A certaines périodes, certains ont jeté des "vieilleries" qui feraient le bonheur de nombreux archivistes.