Narduccio a écrit :
Fab a écrit :
Bonjour à tous.
Il me semble que des musulmans étaient même employés par Bonny et Lafont pour exécuter les basses-oeuvres de la Gestapo.
Des soldats indigènes français de religion musulmane furent effectivement employés dans une opération par Bonny et Lafont. Mais, ces soldats ignoraient qui ils servaient exactement, ils pensaient servir les autorités françaises.
Il y eut effectivement l'épisode de la Brigade Nord Africaine créée par Lafont en 1944 qui avait pour mission de lutter contre les maquis de la Résistance mais je ne pense pas que ces légionnaires ignoraient qui ils servaient. Là encore, l'argent était le principal moteur de leur engagement avec des salaires nettement plus élevés que la moyenne (5000 francs pour les hommes de troupe, 5500 pour un caporal selon Grégory Auda) et des aptitudes plus propres au pillage qu'au combat. Je dois nuancer mes propos antérieurs en souligant le rôle de Mohamed El-Maadi, collaborateur et antisémite notoire et directeur du Comité Nord Africain du RNP, qui aida grandement Lafont à la constitution de la BNA. De 500 hommes recrutés au départ, le chiffre fut rapidement ramené à 200 tant la valeur des postulants (soit de pauvres hères trainant dans les casbah, soit des repris de justice) était médiocre. L'idée initiale de Lafont était de constituer une véritable armée de 50.000 prisonniers nord-africains retenus par les Allemands. Les sections de la BNA se rendirent tristement célèbres par des expéditions à Sochaux Montbéliard (où ils occupèrent les usines Peugeot) et tout autour de Tulle où ils semèrent la terreur bien plus qu'ils ne se révélèrent efficaces.
Les sections de la BNA étaient dirigées par des membres de la "Carlingue" qui recevaient le grade de sous lieutenant SS. L'un d'eux fut Alexandre Villaplane, ancien milieu de terrain et capitaine de l'Equipe de France de football (durant la Coupe du Monde 1930 en Uruguay) et premier joueur d'origine nord-africaine à être sélectionné sous le maillot bleu. Pied noir né à Constantine en 1905, il fut fusillé le 26 décembre 1944 au Fort de Montrouge, le même jour que Lafont.
Nicolas-Clouet a écrit :
Bonjour,
Dans le film de Denys Granier-Deferre, au risque de vous choquer, le personnage joué par Daniel Russo (le truand Henri Lafont) m'est apparu comme un personnage sans scrupules, certes, mais avec un petit côté "attachant", dans sa manière de parler ou de se comporter avec ses hommes par exemple. Surtout vers la fin, lorsque Daniel Russo exprime sa "vision" personnelle de faire la guerre et la compare avec celle d'Hitler...
(Lafont aurait au passage rendu pas mal de services à des personnalités françaises importantes [politiques, journalistes, industriels, commerçants, banquiers, artistes, etc...] sans rien demandé en échange... Quand le vent a tourné, tout ce beau monde s'est "débiné" et l'aurait alors lâché). Enfin bon, je tenais à être quelque peu sincère à ce point de vue (celui du personnage de Lafont en l'occurence).
L'homme était-il réellement comme cela en réalité, ou le réalisateur s'est-il donné quelques libertés pour l'interprétation ?
Henri Chamberlin alias Henri Lafont était un personnage sans doute aussi sympathique que généreux quand il vous avait à la bonne. Bien sûr qu'il a rendu service à nombre de célébrités de l'époque comme il rendait service aux Allemands: il y trouvait son compte, de minable truand, il était devenu l'un des "rois" de Paris. Il se confiait ainsi à son avocat en 1944, Maître Floriot:
« Au début cette histoire des Allemands ne m'emballait guère. Tenez si les gars d'en face, ceux de la Résistance m'avaient proposé quelque chose, je l'aurais fait, il n'y a pas de doute. Et qu'est ce que je serais devenu maintenant ? Et bien tout simplement un héros ! Et j'aurais pas fait de cadeau aux Fritz. J'aurais foncé comme un dingue, comme un forcené, à fond. Seulement voilà, en juillet et en août 40, des résistants, j'en ai pas connu, pas vu la couleur. Je ne savais même pas ce que c'était. Ca tient à rien, la vie et le destin d'un homme: un truc comme rien, un petit hasard, une histoire d'aiguillage. Ou alors c'est la fatalité et là je n'y peux rien. Mais à l'époque, j'avais simplement envie de ne pas crever, de vivre.»Lafont ayant de lui même proposé ses services aux occupants nazis, on peut lire en filigranne dans ce témoignage tout l'opportunisme du truand et le peu de cas de sentiments patriotiques, humanitaires ou idéologiques. L'occasion était belle, elle a fait le larron.
Lors du procès, Lafont a adopté une attitude beaucoup plus digne que Bonny. Se sachant perdu, il a voulu endosser toutes les responsabilités et n'a voulu trahir aucun de ses anciens agents (dont un certain nombre s'étaient opportunément reconvertis dans la Résistance) alors que Bonny se lamentait pitoyablement sur son sort. Les derniers mots de Lafont, qui refusa de se faire bander les yeux, à une autre de ses avocates, Maître Drieu, montrent qu'il assumait son destin:
« Vous savez madame, je ne regrette rien. Quatre années au milieu des orchidées, des dahlias et des Bentley, ça se paie non ? Je ne regrette rien. J'ai vécu dix fois plus vite, c'est tout. Dites à mon fils qu'il ne faut jamais fréquenter les "caves", qu'il soit un homme comme son père. Je voudrais que ma fille Henriette reçoive une éducation religieuse et qu'elle soit élevée chez les "frangines" (les religieuses). Mais mon fils, je veux qu'il soit un homme.»Citer :
En tout cas, je trouve curieux tout de même qu'un inspecteur de police (Pierre Bony) ait pu côtoyer de sinistres truands.
Pierre Bonny en avait l'habitude, non seulement fréquenter des truands (ce qui est normal pour un flic) mais aussi de fricoter avec eux (ce qui est déjà moins légal). Il a été mêlé à quelques scandales politico judiciaires retentissants de l'entre deux guerres dont l'affaire Seznec. Proclamé meilleur flic de France par le ministre de la justice Henry Chéron au lendemain de la mort de Stavisky (
« Jeune homme vous avez sauvé la République ! Vous êtes le premier policier de France !»), il avait été révoqué de la police pour concussion une année plus tard, en 1935, puis par deux fois condamné à des peines de prison (sursis puis trois mois ferme). Quand il est recruté par les Allemands protecteurs de Lafont, le capitaine de la Wehrmacht Redecke et l'agent de l'Abwehr Otto Brandl, il moisissait en tant que détective privé. Pour Bonny comme pour Lafont, l'occupation allemande fut une chance de se refaire.
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En revisionnant le film hier soir, j'ai remarqué également que le nom d'un certain docteur "Petiot" était cité (ce brave docteur avait la tâche de faire disparaître les victimes du 93, rue Lauriston...).
Parmi les victimes de Petiot se trouvaient un ancien auxiliaire de la "Carlingue", Adrien Estebeteguy surnommé "Le Basque" ainsi que sa maîtresse. En mars 1943, Estebeteguy, qui pour d'obscures raisons n'était plus en odeur de sainteté au 93 rue Lauriston, avait décidé de fuir pour l'Amérique du Sud avec un joli magot: plusieurs valises bourrées d'argent et de bijoux qu'on a retrouvé, parmi d'autres, au domicile de Petiot alias le docteur Eugène.
La Gestapo française connaissait peut être mieux que l'allemande le réseau Petiot mais ignorait sans doute comment le docteur Eugène faisait disparaître ses victimes. Pour lui aussi, c'est l'appât du gain qui fut son véritable moteur.
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Ce que je retiens de cet excellent film (interprètes et dialogues), c'est qu'il retrace parfaitement cette atmosphère de "basses combines" et de trafics organisés entre la "gestapo française" du 93 et les autorités allemandes.
Laffont aurait notamment servi d'intermédiaire entre industriels français et autorités allemandes pour des signatures de contrats de toutes sortes.
Ce que l'on peut aussi apprendre d'intéressant dans ce film, c'est la manière dont les Allemands "commerçaient" en France avec les vaincus (et sûrement dans le reste de l'Europe occupée...) : Ils achètaient tout ce qui les intéressait en franc français (monnaie faible) et vendaient en se faisant payer en "Reichmarks" (monnaie forte). Du "racket" en somme ("je t'achète tes "pompes" avec un sac de billes, mais je te vends les miennes contre 3 billets de 100 euros...C'est ce que j'ai compris en gros...
).
En gros, le "pacte" conclu entre Nazis et truands français aurait été : "
Aidez-nous à écraser la résistance française, et on vous laisse rançonner et dépouiller tranquillement qui vous voudrez" J'en conclue alors que le grand banditisme français a connu là sa "période de gloire" (1940-1944).
L'accord présentait de nombreux avantages pour toutes les parties. C'est une évidence pour les truands investis de pouvoirs policiers mais aussi pour les occupants allemands qui avaient besoin d'autochtones pour infiltrer la population. Filiale de l'Abwehr, le bureau d'achat d'Otto Brandl était une formidable machine à corrompre au centre de tous les trafics. De considérables sommes d'argent y circulaient et les profits pouvaient être employés en toute discrétion et à toutes fins utiles par le service de renseignement allemand.
Citer :
En "fouinant" par çi-par là, j'ai appris que les Allemands avaient également fait appel aux services d'un certain "Dirlewanger" en Pologne (un repris de justice ukrainien qui aurait aidé à piller Varsovie lors de l'insurrection polonaise de 1944...L'homme aurait fait appel également à des truands et à des assassins de la pire espèce pour traquer les maquisards polonais de Varsovie).
J'en conclue à nouveau que le régime nazi n'a pas hésiter à écumer les pénitenciers d'Europe occupée pour recruter des "supplétifs" de la pire espèce. A croire qu'il ne savait plus où donner de la tête...Maquisards, Juifs, communistes, cela en fait du monde à tuer et à extorquer !...
Les bureaux de la Gestapo de l'avenue Foch sont connus pour avoir aussi employé des truands notoires (dont Pierre Loutrel surnommé plus tard Pierrot le Fou) et il serait intéressant de savoir en effet si le régime nazi a systématiquement recruté des malfrats dans les villes qu'il occupait. A titre individuel sans doute mais il n'est pas facile de fédérer le milieu si celui-ci n'est pas déjà préalablement organisé.
On peut cependant noter que l'utilisation d'une faune interlope par les services secrets n'est pas l'apanage des services nazis. Même dans les démocraties, ces pratiques sont plus ou moins répandues comme en témoignera plus tard l'affaire Ben Barka. D'ailleurs sans l'aide de la mafia, le débarquement en Sicile aurait été rendu plus difficile pour les forces américaines.
Badd a écrit :
Je peux me tromper, mais il me semble que le docteur Petiot agissait pour son propre compte et n'était en rien mandaté par la Gestapo. Il me semble même qu'il avait tout d'abord été arrêté par les Allemands et que le commencement de l'enquête le concernant est antérieur à la Libération. C'est peut-être un signe que le réalisateur aurait effectivement pris quelques libertés.
Il fut même arrêté et torturé par la Gestapo qui le soupçonnait d'exfiltrer des juifs à l'étranger. Il a profité de cet épisode pour arguer de son appartenance à la Résistance, ce qui fut son principal argument de défense lors de son procès. Accusé de 26 crimes, il en a revendiqué 63, tous des collaborateurs selon lui !
Nicolas-Clouet a écrit :
Avez-vous d'autres noms de personnalités françaises qui "auraient" bénéficié des services du "93"
Maurice Chevalier, Ginette Leclerc, Martine Carol...
Citer :
Au passage, et là je m'adresse à "Badd", pour quel motif les Allemands ont au début souhaité arrêter le docteur Petiot ? Sa chaudière faisait trop de fumée et importunait le voisinage du quartier ?
La Gestapo le soupçonnait d'être à la base d'un réseau de résistance qui exfiltrait les juifs. Il a été enfermé à Fresnes du 24 mai 1943 au 17 janvier 1944. Torturé à plusieurs reprises, il ne parla pas et ses compagnons de cellule, d'authentiques résistants, firent l'éloge de son courage physique. Le plus incroyable est que malgré les perquisitions de ses diverses demeures, la Gestapo n'ait jamais découvert son hôtel particulier rue Le Sueur. Les raisons de sa libération restent obscures mais il semble que sur l'intervention d'un de ses clients (il était vraiment médecin), il ait pu conclure un marché de 100.000 francs avec la Gestapo.