ABD77 a écrit :
Je ne connais pas de traduction française du Livre des Animaux d'Al Jahiz, mais Ibn Khaldun a été traduit. Mohammed Talbi cite ce passage dans son ouvrage "Reflexions sur le Coran":
« Le règne animal s’étend ensuite, et ses espèces se diversifient. Finalement l’évolution créatrice progressive aboutit à l’homme, doué de raison et de réflexion. On arrive à ce stade à partir du monde des singes qui réunissent la sensation et la perception, mais qui n’ont pas atteint, en acte, la réflexion et la raison. C’est à partir de là en effet que commence le premier stade de l’homme. » (Ibn Khaldûn, al-Muqqaddima, éd. Quatremère, Paris, 1858,I,174)
Merci beaucoup pour cette citation précise, j'ai réussi à retrouver la forme exacte dans une autre traduction des Prolégomènes (W. Mac Guckin de Slane, 1863),
ici, les Québécois étant comme toujours les meilleurs
. Le passage est à la page 229, et le terme "évolution créatrice", qui a l'avantage de signifier à peu près n'importe quoi
, ne s'y trouve pas.
Ibn Khaldun a écrit :
Le monde animal est très étendu et se compose d’un grand nombre d’espèces. Dans la gradation des créatures, il a pour dernier terme l’homme, être doué de réflexion et de prévoyance. Occupant cette position, l’homme se trouve placé au-dessus de la catégorie des singes, animaux qui réunissent l’adresse à l’intelligence, mais qui, dans le fait, ne s’élèvent ni à la prévoyance ni à la réflexion. Ces facultés ne se rencontrent qu’au commencement de la catégorie suivante, qui est celle de l’homme. Ce que nous sommes capables d’apercevoir s’arrête à cette limite.
Comme on le voit, Ibn Khaldun ne décrit absolument pas un processus de création du monde. Sa description est statique, et repose sur la classification établie par Aristote.
Il est intéressant de voir qu'il mentionne bien un élément dynamique, bien avant le passage mentionné (les gras sont de moi).
Citer :
Si nous contemplons ce monde et les créatures qu’il renferme, nous y reconnaîtrons une ordonnance parfaite, un système régulier, une liaison de causes et d’effets, la connexion qui existe entre les diverses catégories d’êtres et la transformation de certains êtres en d’autres : c’est une suite de merveilles qui n’a pas de fin et dont on ne saurait indiquer les limites.
Nous commencerons par le monde sensible et matériel, et nous parlerons d’abord du monde visible, celui des éléments. Les éléments s’élèvent graduellement de l’état de terre à celui d’eau, puis, à celui d’air, puis à celui de feu, se rattachant ainsi les uns aux autres. Chacun d’eux a une disposition à se transformer en l’élément qui lui est immédiatement supérieur ou inférieur, et quelquefois ce changement a effectivement lieu.
Comme on le voit, Ibn Khaldun envisage des connexions entre les éléments de la classifications, et la possibilité pour certains de passer d'une catégorie adjacente à une autre. Mais il ne s'agit pas d'un mécanisme systématique.
Pourquoi Ibn Khaldun entreprend-il cette description ? En fait, le titre de la section dans laquelle se trouve ce passage est :
Concernant les hommes qui, par une disposition innée ou par l’exercice de pratiques religieuses, ont la faculté d’apercevoir les choses du monde
invisible. L'idée qu'une relation existe entre les catégories adjacentes de la classification permet de déduire que l'homme, sommet de la classification terrestre, est reliée au monde des esprits.
Citer :
[...]De là résulte nécessairement qu’il y a dans l’âme 4 (de l’homme) une prédisposition à se dépouiller de la nature humaine pour se revêtir de la nature angélique, afin de se trouver réellement dans la catégorie des anges. Cela arrive quelquefois, pendant l’espace d’un clin d’oeil, mais l’âme doit d’abord avoir donné une perfection réelle à son essence spirituelle.
S'ensuit une description des différents modes de divination.
Conclusion : Ibn Khaldun n'a pas découvert la théorie de l'évolution avant Darwin. Il se contente de faire une déduction de la classification d'Aristote pour en tirer une explication du phénomène de la divination, et ainsi "rationaliser" l'histoire sainte.
Il faudrait voir ce que valent les autres références, mais au vu de celle-ci, j'aurai tendance à dire que M. Talbi tord les textes pour leur faire dire ce qu'il veut.