Ah oui, la question des transitions, ou même tout simplement des successions, c'est très intéressant. La fin d'un régime a toujours été un moment de crise. En fait, peut-être même que ce n'est pas la crise qui amène les fins de régimes, mais les fins de régime qui amènent les crises. Il est frappant de constater, lorsqu'on se penche sur l'anthropologie politique, que dans des cultures très diverses, on retrouve par exemple les mêmes types de phénomènes sociaux en cas de mort du chef. C'est le "monde à l'envers" : La période de vacance du pouvoir est l'occasion de pillages, razzias, débauches, etc. jusqu'à la proclamation du nouveau chef -et tout rentre dans l'ordre, de manière plus ou moins volontaire toutefois. Les civilisations urbaines ont souvent conservé ces phénomènes, mais les ont ritualisés. La manifestation la plus résistante est celle du carnaval, qui est une parenthèse du monde social "réel" et dont le point d'orgue est une mise à mort symbolique du chef. Il est d'ailleurs intéressant de constater que dans nos sociétés occidentales, les résidus de ces phénomènes tendent à disparaître complètement, et que tout se passe comme s'il devenait plus difficile pour le pouvoir de s'éclipser, serait-ce rituellement ou symboliquement.
En tous cas, ce que ces manifestations expriment, a minima, c'est que la question de la transition du pouvoir est toujours problématique, quelques soient les conditions. Et que néanmoins, le pouvoir est nécessaire. Lorsqu'on pense par exemple à l'Ancien Régime, nous avons trop souvent tendance -à mon sens- à partir du principe que la succession est assez simple. En réalité, ce n'est pas le cas. Même dans le cas des monarchies dites héréditaires, la compétition existe entre les prétendants, et l'existence d'un "droit" de succession ne fait jamais que distribuer des avantages plus ou moins marqués aux divers prétendants -avantages qui peuvent parfaitement être compensés par d'autres. Evidemment, comme toute chose, plus le régime est installé dans le temps, et plus la "tradition" s'installe, qui vient renforcer le droit. Mais tout de même, la passation du pouvoir est toujours problématique.
Il faut dire, je crois, que fondamentalement, le pouvoir se conquiert. Dans les cultures démocratiques, nous oublions peut-être cela aussi, et avons tendance à partir du principe que le pouvoir se donne. Il faut donc comprendre, à mon sens, la notion de légitimité en deux sens différents : - A l'ère moderne, la légitimité est un qualificatif du pouvoir telle qu'il est attribué par les "dominés" : Ce sont les citoyens qui considèrent que tel pouvoir (régime, dirigeant, etc.) est légitime ou non. - Historiquement, la légitimité est un qualificatif du dirigeant tel qu'il est attribué par ses concurrents potentiels. De fait, il ne me semble pas anodin que ce soit très récemment qu'on parle de "légitimité du politique" -encore une innovation conceptuelle de Max Weber, d'ailleurs. Auparavant -disons, jusqu'au XIXe s- la notion de "légitimité" était employée pour qualifier les naissances et, de facto, concernait le droit à l'héritage patrimonial.
_________________ ...que vont charmant masques et bergamasques...
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