Je pense qu'il faut mettre quelques petites choses au clair.
Tout d'abord, les conditions de vie en Nouvelle-France.
Elle était meilleure que dans la métropole, malgré le froid. Je crois que c'est Greer qui dit que les crises de subsistance étaient tout simplement rares au Canada chez les colons, alors qu'elles étaient courantes en France. Au Canada, point de famine, mais des disettes. Et encore, il était possible de chasser et pêcher quand les récoltes se faisaient difficiles.
Moins de disettes, moins de maladies: les gens étaient tout simplement en meilleure santé. Quant à la menace iroquoise, elle n'était pas généralisée à la colonie. Il y eut certes des massacres (comme celui de Lachine, en 1691), mais ils eurent surtout lieu à l'Ouest de Montréal, et assez peu eurent lieu après 1700. La plupart des relations avec les amérindiens (et même avec les Iroquois, après la Grande Paix de 1701) se faisaient de manière pacifique. Les paroissiens canadiens français de Laprairie partageaient même leur église avec les convertis mohawks! (Lire
Katherine Tekakwitha, de Greer.) Quand on dit que les milices ne suffisaient pas à la tâche... eh bien cela va de soi. Les militaires envoyés en Nouvelle-France étaient très rares et la France était très peu réaliste dans la conception qu'elle avait de la défense de la colonie. Son but était de faire de la Nouvelle-France une
nouvelle Rome qui se défendrait toute seule contre les agresseurs, levant spontanément une armée parmi des citoyens sauvagement attachés à leur mère-patrie. L'envoi du Régiment n'était pas une réaction face à une grande menace, mais bien la correction d'une négligence. Les autorités avaient tout simplement surestimé la capacité de la population à se défendre seule contre les menaces extérieures.
Certes, il y avait le froid et les ressources manquaient (il fallait souvent se contenter d'outils en bois), mais ces facteurs étaient compensés par d'autres avantages. Les terres étaient meilleures et plus grandes; le bois plus disponible pour bâtir et se chauffer. Sur ce dernier point, vous devinez sans doute qu'à -2 degrés, en France, les gens avaient beaucoup plus de chances de mourir de froid qu'en Nouvelle-France à -20. -2 degrés, c'est suffisant pour souffrir d'hypothermie si on ne peut rien mettre dans le foyer.
La Nouvelle-France, une région au climat semi-polaire? Voyons donc. La Nouvelle-France était exportatrice de blé pendant toute la durée du régime français, ou presque (selon Colin Coates). Une région semi-polaire ne produit pas de blé. J'ai vu récemment un documentaire sur l'alimentation en Nouvelle-France: on dit même que les gâteries étaient courantes en été chez le paysan le plus commun. Fraises, framboises, crème et sirop d'érable. Hmmm.
Quant aux filles de joie, ça me semble une idée reçue. Il y en eut mais pas tant que ça. On confond peut-être avec Filles du Roy, qui étaient surtout des orphelines et non des prostituées. Par contre, il est vrai qu'on envoyait en Nouvelle-France certains petits délinquants français: les faux-saulniers et les fils rebelles d'aristocrates (lire Josianne Paul).
Au moment de la Conquête, la colonie française comptait entre 60 000 et 80 000 habitants. La colonie anglaise: près de 2 millions. Les causes de cette différence majeure sont encore l'objet de discussions. Les colonies anglaises ont accueilli les dissidents religieux anglais. Pas les colonies françaises. Je pense que les Huguenots (il y en avait quand même quelques-uns en Nouvelle-France) ont surtout émigré ailleurs en Europe. Déjà là, ça fait toute une différence. Ensuite, la nature des deux colonies était elle-même différente. La France a confié le peuplement à des compagnies qui ne voyaient pas l'intérêt d'y amener beaucoup de monde. La Nouvelle-France était une colonie de pêcheries et de comptoirs, pas une colonie de peuplement. C'est Louis XIV qui a changé la donne, à une époque où beaucoup, beaucoup d'infrastructures étaient déjà existantes en Nouvelle-Angleterre.
La Nouvelle-France a aussi souffert d'une très mauvaise presse et assez peu représentative. Je ne me souviens plus trop où j'ai lu ça, mais je crois bien que c'est chez Louise Dechêne. On disait tout simplement des horreurs sur la colonie. Et le fait d'y envoyer quelques délinquants n'aidait pas. Les gens avaient l'impression que c'était une punition que de se rendre au Canada. Des villageois français en furie ont même déjà bloqué un navire en partance pour le Canada, ayant pris en pitié les colons (des volontaires) qui s'étaient embarqués et qu'ils avaient confondus avec des condamnés!
En ce qui me concerne, à choisir entre la France de 1710 et le Canada de la même époque, je n'hésiterais pas une seconde. La France c'est bien beau, mais je me serais bien consolé en mangeant des fraises (en mangeant surtout) dans la crème et le sirop d'érable et en regardant le soleil se coucher sur le Fleuve Saint-Laurent. Et peut-être aussi en courant après quelques amérindiennes pour me réchauffer...