Qu'un modérateur verrouille - voire supprime - ce sujet, s'il estime qu'il est trop polémique.
Venons-en directement au sujet.
Le
14 décembre 2009, la France restituait cinq fragments d'une peinture murale provenant d'un tombeau égyptien, mettant ainsi fin à un bras de fer entre le Conseil Suprême des Antiquités et le Musée du Louvre.
Auparavant, c'est la
Pierre de Rosette, conservé au British Museum, qui avait l'objet d'une telle demande. Le
buste de la reine Néfertiti, conservé au Neues Museum de Berlin, fait également l'objet d'une demande de restitution.
Le problème est certes complexe. Nombre de pays - dont l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni - sont signataires de la
convention de l'UNESCO de 1970 et de la
convention d'UNIDROIT de 1995. En théorie, donc, ces pays devraient accepter les requêtes égyptiennes.
Mais - car il y a toujours un mais - leur principal argument de défense est qu'il ne s'agit pas là de biens culturels provenant de vols ou exportés illicitement d'Égypte.
Marianne Luban y a récemment consacré
un billet sur son blog.
Je n'ai pas la prétention de lancer un sujet ayant vocation à trancher ce débat. C'est là affaire de politiques et de diplomates, avec avis de scientifiques. Je souhaite toutefois avoir l'avis - motivés et argumentés - de la communauté de Passion-Histoire sur ce sujet.
Je pose également plusieurs questions, susceptibles d'aider à formuler ces avis. Libre à vous de vous y référer ou pas.
1 - L'Égypte a-t-elle les moyens d'assurer une bonne conservation des objets dont elle demande le retour ?
2 - L'Égypte souhaite intégrer les chefs-d'œuvres dont elle réclame la restitution dans le futur Musée Egyptien. Pensez-vous que ce soit l'idéal pour ces objets ?
3 - Est-il dans l'intérêt de l'Égypte d'obtenir la restitution de ces objets ?
4 - Certains de ces objets, comme la Pierre de Rosette ou le buste de Néfertiti (pour ne citer que les plus connus), appartiennent-ils au patrimoine de l'Égypte ou bien au patrimoine de l'Humanité ?
Voici mes réponses à ces questions.
1 - Non. Du moins, pas toute seule. Sans être un spécialiste en géopolitique, la situation économique et politique de l'Égypte ne me semble pas assez stable pour qu'elle puisse se porter garante de la bonne conservation des objets dont elle réclame la restitution.
2 - Non. Ces objets constituent des chefs-d'œuvres au sein des musées qui les conservent, et ils sont mis en valeur en fonction de ce statut. Ainsi, je doute qu'au sein du futur Musée Égyptien, un objet comme le buste de Néfertiti puisse éclipser ne serait-ce que le masque de Toutânkhamon - qui sera sans nul exposé, avec le reste du trésor, à proximité. En France, le Scribe accroupi constitue un monument exceptionnel; en Égypte, il serait certainement noyé dans la masse des trésors de l'âge des pyramides.
3 - P'têt ben... Tout dépend du point de vue d'où l'on se place. Une grande partie du PIB de l'Égypte provient - directement comme indirectement - du tourisme.
Il est donc certain que conserver des objets aussi prestigieux que ceux qui sont actuellement réclamés ne peut que drainer les touristes vers la terre des pharaons. D'un autre côté, la plupart de ces touristes viennent en Égypte après en avoir découvert la civilisation, souvent dans leurs "musées nationaux". Musées dans lesquels ils ont été attirés par la présence de pièces célèbres.
Il y a donc un risque de désaffection - voire de désintérêt - du grand public pour la civilisation égyptienne, s'il ne peut aisément accéder aux œuvres majeures de celles-ci. Et, pour ma part, je n'imagine pas l'Égypte organiser suffisamment fréquemment une exposition itinérante avec tout ou partie de ces chefs-d'œuvres pour compenser ce risque. Après tout, si l'Égypte réclame le retour de ces objets, ce n'est pas pour les faire voyager à travers le monde par la suite. Qui plus est, l'attrait et l'intérêt du grand public pour la civilisation égyptienne se concrétise par la naissance de vocations au sein de celui-ci. Il y a également un risque - à long terme - que l'égyptologie suscite moins de vocations pour renouveler le vivier des chercheurs non-égyptiens.
4 - Sans hésitation, je considère que nombre de ces objets font désormais partie du patrimoine de l'Humanité, même si ce n'est pas dans le sens où l'entend l'UNESCO. Leur conservation et leur transmission aux générations futures sont l'affaire de tous les pays, et non de la seule Égypte. En tant que tel, il me semble qu'il vaut mieux voir ces objets conservés et exposés en différents endroits du monde, plutôt que réunis en un seul lieu. Cela permet de toucher et de sensibiliser plus de personnes d'une part, et d'éviter la perte simultanée d'un grand nombre d'objets d'art en cas de catastrophe. Ce qui est est arrivé aux musées de
Kaboul (1992-1996) et de
Bagdad (2003) peut se reproduire n'importe où, y compris en Égypte.
Donc, à mon humble avis, ce n'est pas l'intérêt du plus grand nombre que l'Égypte récupère tous ces objets.
Sur un autre plan, le "chantage à l'autorisation de fouilles" - c'est le premier terme qui me vient à l'esprit - dont le Louvre a été victime en 2009 me donne l'impression que le nationalisme prime sur l'intérêt scientifique.
Voilà, j'ai fini mon pavé. Merci d'avoir lu jusqu'au bout. À vos arguments; faites chauffer vos claviers.