Cette discussion tourne assez mal et devient pas mal hors-sujet, c'est dommage. Néanmoins, il faut bien voir que si les avis se sont affrontés de tout temps, je tiens à faire deux remarques pour mettre ma position au clair: - Je persiste à dire que la "première" colonisation européenne se justifie essentiellement par deux facteurs: l'économie (recherche d'or, de métaux, de terres, d'épices, etc...) et la stratégie (contourner les Turcs, trouver un accès plus aisé, plus rapide aux épices). A ce titre, il n'est pas surprenant que les seules terres recherchées à l'origine sont "les Indes". Quand on découvre l'Amérique, on espère une chose: qu'il y ait une ouverture navigable dans cette immense masse continentale. Puis on y trouve des richesses, qui enrichiront bien plus la France, l'Angleterre ou l'Autriche que l'Espagne, soit dit en passant. Tous ces pays s'étant d'ailleurs assez vite gardés d'aller titiller autrement que par la piraterie l'occupation espagnole en Nouvelle-Espagne et au Pérou. Ce n'est que quand l'Espagne sera moribonde que son empire tombera en partie par lui-même et en partie aux mains des autres occidentaux. Il en va autrement des îles... Pourquoi? Parce qu'une île, c'est plus petit, ça se gère plus facilement et ça rapporte plus finalement. Je crois que les pays sucriers ont beaucoup plus gagné à exploiter les Antilles que l'Espagne a exploiter les mines de l'Amérique du Sud. Je reviens en arrière un moment, pour essayer de déterminer à quel moment commence la colonisation européenne et pour essayer de mettre en valeur l'aspect économique des premières colonisations. Quel pays se lance dans la première entreprise coloniale, dès le début du XVe s.? Le Portugal, finistère de l'Europe chrétienne. Et quel territoire découvre-t-il en premier? Madeire, puis les Açores et enfin le Cap-Vert. Ces îles, jouissant d'un climat excellent, sont parfaites pour la culture de la canne à sucre. Las, ces territoires sont vides... Il n'y a donc qu'un pas à franchir pour décider aux Portugais d'administrer eux-mêmes ces territoires et d'entamer, pour en réaliser l'éreintante mise en valeur, la déportation d'esclaves africains. Tout cela ressort bien d'une logique purement économique, et j'en veux pour preuve que très vite, les Portugais cessent de chasser eux-mêmes les esclaves pour déléguer cette capture aux souverains africains! A aucun moment à l'époque moderne le Portugal ne cherche à administrer de vastes territoires en Afrique, se contentant de comptoirs commerciaux et de bonnes relations avec les rois africains. Il en va de même en Inde. Finalement, les seuls terrains déjà peuplés où les Portugais mettent en place une administration coloniale sont les îles indonésiennes des Moluques, îles aux épices importantes pour le commerce mais marginales dans leur extension géographique et souffrant d'un grand manque de "prestige". Je persiste donc à voir les débuts portugais et espagnols (qui découvrent Hispaniola en 1492 mais ne mettent pied sur le continent proprement qu'avec Cortès en 1519, et encore, de manière plutôt aventureuse et non autorisée), une entreprise purement commerciale qui devient "coloniale" au sens plein du terme que par la force des choses (besoin de mise en valeur de terre vierge ou volonté de contrôler soi-même pour des raisons financières les ressources qu'on convoite). Finalement, quelle différence entre l'Empire portugais du XVIe ou les tous débuts de l'empire espagnol et les territoires de la République de Venise à son apogée? Quasiment aucune, nous sommes dans des thalassocraties commerciales. Le hiatus vient de l'Espagne et de deux espagnols à mon sens: Charles Quint, qui en ouvrant à l'Espagne une ère de grandeur et des ambitions de domination européenne en font un candidat, au moins théoriquement, à la domination mondiale; et Hernan Cortès, qui, mettant le pied sur le continent américain et provoquant la chute de l'empire aztèque, en le remplaçant par une administration espagnole, ouvre à l'Espagne la voie d'une domination réellement coloniale sur de vastes territoires.
- Bref. Tout cela pour dire que, depuis Cortès jusqu'à Churchill, en passant par nos amis Ferry et Clemenceau déjà cités, la colonisation a provoqué deux réactions opposées: un enthousiasme pour aller dominer ces territoires, d'abord par intérêt commercial, puis stratégique, intellectuel, religieux, voire "civilisateur"; et l'autre, opposée à cet enthousiasme colonial, avec comme principaux arguments que cela coûte cher, qu'il ne sert à rien d'aller apporter les bienfaits de notre civilisation à ces sauvages, qu'on peut très bien se contenter de comptoirs commerciaux sans s'enquiquiner à aller contrôler soi-même l'intérieur du pays. Les deux solutions ressortent de visions intellectuelles, même quand elles sont dans le même camp politique, très opposées. Et dès le XVIIIe s., la colonisation et son système est critiqué et le côté prestige ne touche pas tout le monde; on cite souvent Voltaire qui, intellectuellement et financièrement, préférait, comme beaucoup de son temps, garder les Antilles et perdre les "arpents de neige" du Canada. Moi je vais vous citer un autre homme, moins connu que le grigou de Ferney mais qui faisait un éloge pas bien futé du duc de Lorraine Charles III en ces termes: « L’or du Méxique vint chercher des denrées qu’il représente, mais qu’il ne remplace pas ; & tandis que les Espagnols abandonnoient leurs foyers & leurs champs pour rendre le triste Péruvien témoin & victime de leur cruelle & mal-adroite avarice, la Lorraine voyoit ses fertiles campagnes couvertes d’un peuple nombreux de Colons […] » (J-F Coster, Eloge de Charles III le Grand, duc de Lorraine...., Francfort, 1764) Nous sommes, encore une fois, dans une version ancienne, comme je le signalais plus, de l'adage "Plutôt la Corrèze que le Zambèze". (au passage, le compliment de ce brave Coster est biaisé: féliciter le duc de Lorraine de n'avoir pas pris part à la colonisation, c'est comme le faire pour les Suisses, la Lorraine n'ayant pas d'accès à la mer!).
J'espère avoir été clair sur mes propos et raisonnements, toujours discutables bien entendu... mais peut-être faudrait-il revoir un peu ce sujet devenu totalement hors-sujet et replacer ces propos dans un autre plus adapté.
Au passage n'oublions pas que, marginalement, dans les phénomènes coloniaux, il y a aussi, de façon indéniable, une soif de découverte et une réelle curiosité anthropologique et scientifique.
_________________ "[Il] conpissa tous mes louviaus"
"Les bijoux du tanuki se balancent Pourtant il n'y a pas le moindre vent."
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