Bonjour Anki-ea
Pour ne pas répondre de façon sommaire à votre question, : Sur quels éléments vous appuyez-vous pour dire que la famille du surintendant n'était pas présente (autour de Fouquet au moment de sa mort), je m’en tiendrai à elle pour commencer.
Je vous l’ai déjà dit : « Aucun historien ne peut soutenir une telle assertion, qui tordrait le cou à la thèse Fouquet, sans produire des sources historiques fiables » J’ai produit pour ma part un texte de M. Petitfils qui éludait purement et simplement la question que je lui avais posée : « Qu’est-ce qui permet d’affirmer que la famille Fouquet se trouvait à Pignerol en mars 1680 ?
Comme vous revenez sur ce sujet, je vais montrer comment j’en suis arrivé à soupçonner que cet événement est un pure invention et comment j’en ai acquis ensuite la certitude.
Ouvrons pour commencer le « Fouquet » de M. Petitfils, Edition Perrin. 1998 au chapitre consacré aux Mystères de Pignerol, aux page 496-497 :
« Aucun acte officiel ne vint constater le décès, aucune épitaphe laudative ne vint sceller sa sépulture (on ne l’a pas retrouvée !) Ces silences gênants sont lourds de mystère. Où le surintendant a-t-il rendu le dernier soupir ? Où fut-il réellement inhumé ? » Puis page 500 : »Tant d’incertitudes conduisent à s’interroger sur la réalité de la mort de Fouquet en mars 1680 ». L’auteur réfute l’hypothèse d’un Fouquet devenu masque de fer et glisse page 505 : « Le bruit courut qu’il succomba dans les bras de M. de Vaux, ce qui est possible puisque celui-ci se trouvait alors à Pignerol ».
Jusque là, M. Petitfils réfute, mais il ne cache pas le mystère qui entoure la mort de Fouquet et conduit à s’interroger sur la réalité de celle-ci.
Ouvrons maintenant « Le masque de fer, entre histoire et légende » Editions Perrin 2003.
On s’attend à ce que M. Petitfils réfute la thèse Fouquet comme il l’a fait précédemment. Coup de théâtre, il n’en parle pas. Il s’abstient de toute allusion aux « incertitudes qui conduisent à s’interroger sur la réalité de la mort de Fouquet en mars 1680. » Celui est tout bonnement mort d’émotion, au moment de la découverte par Saint-Mars d’un passage secret reliant sa prison à celle de Lauzun, son voisin du dessus : « Ce fut pour lui un choc émotionnel intense, alors que le ministre lui avait fait entière confiance ? Après pareille faute, pourrait-il jamais sortir de prison ? Bref une crise cardiaque le terrassa. Il est possible, comme le bruit en courut, qu’il ait succombé dans les bras de son fils, M. de Vaux, qui se trouvait à Pignerol. » (page 129 ).
En gommant cet élément essentiel du dossier de l’énigme, l’auteur élimine du même coup Fouquet de la liste des candidats possibles, et peut déclarer : « Notre homme (le masque de fer) a donc été incarcéré à Pignerol entre 1665 et 1681. Il n’est pas indispensable de suivre la trace de tous les prisonniers arrivés entre ces deux dates dans la forteresse alpine, il suffit de connaître ceux qui s’y trouvaient en 1681, au moment du départ définitif de son geôlier. L’un d’eux est nécessairement celui que nous cherchons. »
Fouquet est passé à la trappe. C’est sa destinée. Ce qui permet de ne pas le mentionner dans le chapitre consacré aux Hypothèses, et de limiter celles-ci aux diverses identités attribuées jusqu'ici à Eustache Danger, candidat de l’auteur.
Revenons à la présence d’un ou plusieurs témoins de la mort du surintendant. Historiquement parlant, il n’y en a pas. Aussi M. Petitfils se contente-t-il de mentionner prudemment, comme il le fait dans son ouvrage précédent, "le bruit qui aurait couru qu’il ait succombé dans les bras de son fils, M. de Vaux, qui se trouvait à Pignerol. » Comme Petitfils sait-il que M. de Vaux était alors à Pignerol ? Il ne le dit pas. M. de Vaux n’en a jamais parlé, jusqu’à preuve du contraire.
Le livre de M. Petitfils ne convainquit pas tout le monde. En 2005 un article publié dans les Annales de la Société historique de Pignerol reprit la thèse Fouquet, conforme à celle du spécialiste italien de l’énigme, M. Mauro Maria Perrot. En 2007, un numéro hors série d’un magazine consacré aux énigmes de la science et de l’histoire reprenait la thèse Fouquet.
Mais voilà qu’en 2008, une émission de Secrets d’histoire est consacrée au prisonnier masqué de Sainte-Marguerite. M. Petitfils en est l’invité principal. Lorsqu’il entre sur le plateau, les thèses qui s’opposent à la sienne viennent d’être promptement éradiquées. Pour la thèse Fouquet, trois ou quatre minutes ont suffi, avec le concours musclé d’un invité de choc, M. de Voguë, propriétaire du château de Vaux le Vicomte. Ecoutons-le : « Le masque de fer, le voilà. » Et l’on découvre, stupéfait, une salle de son château de Vaux le Vicomte représentant Fouquet masque de fer dans sa cellule. « Oui, dit M. de Voguë, j’ai fait ça parce qu’il y tant de gens qui disent que Fouquet fut le masque de fer… En ce qui me concerne, Fouquet masque de fer ? Je n’y crois pas. D’ailleurs, il est mort à Pignerol entouré de sa famille. » Voilà l’argument suprême énoncé. Bien entendu, M. de Voguë ne précise pas ce qui l’autorise à affirmer cela.
Ainsi, d’un simple bruit sans fondement sur la présence de M. de Vaux au chevet de son père moribond en 1680, on en est venu à affirmer avec l’autorité de la chose établie que toute la famille de Fouquet a assisté à sa mort.
Pour une nouvelle, c’en était une ! Une question m’intriguait. Que M. Petitfils pensait-il lui-même de l’argument asséné par de M. de Voguë ?
J’ai écrit à M. Stéphane Bern. Il ne m’a pas répondu. La chance m’ayant fait découvrir un forum d’histoire dont la webmaster connaissait M. Petitfils, j’ai pu, par l’intermédiaire de cette sympathique intermédiaire, lui soumettre trois questions dont celle-ci : « Qu’est-ce qui permet d’affirmer que la famille du surintendant a assisté à sa mort ? »
Je reçus, toujours par l’entremise du webmaster, cette réponse : «Une partie de la famille était présente, dont Louis Nicolas, comte de Vaux, fils aîné du surintendant. Seule l'épouse du prisonnier, qui avait quitté Pignerol un peu plus tôt pour signer - je crois -, un acte notarié, n'était pas présente. »
Faisons le point. En 2003 Mr Petitfils écrit : « Il est possible, comme le bruit en courut, qu’il ait succombé dans les bras de son fils, M. de Vaux, qui se trouvait à Pignerol. »
En 2009 il affirme : Seule l’épouse du prisonnier n’était pas présente. »
On peut donc dire au sujet de cette dernière position de M. Petitfils :
1) Qu’elle a singulièrement évolué depuis la parution de ses précédents ouvrages 2) Que, dûment démontrée, elle porterait un méchant coup à la thèse Fouquet 3) Mais que M. Petitfils est, selon toute apparence, dans l’incapacité de la justifier.
Je suis encore plus sceptique quant à la bonne foi de M. Petitfils, depuis que j’ai rouvert son "Masque de fer, entre histoire et légende" au chapitre "Masque et bergamasque". L’auteur y affirme (sans preuve comme à l’accoutumée) que Saint-Mars a fait courir de faux bruits sur l’importance de son prisonnier de l’île Sainte-Marguerite. Et conclut, page 192 :
« C’est peut-être lui aussi (Saint-Mars) qui véhicula la rumeur de la survie de Nicolas Fouquet dont tout le monde avait appris la mort à Pignerol huit ans plus tôt. Il est vraisemblable que l’auteur des Nouvelles ecclésiastiques, Mgr Louis Fouquet, exilé pour cause de jansénisme, s’est demandé si Saint-Mars ne transportait pas ainsi son malheureux frère dont on aurait simulé le décès. »
Cette dernière phrase est révélatrice. Réfléchissons. L’évêque Louis Fouquet est devenu, en 1682 le chef du clan Fouquet. Il en est resté très proche. C’est lui qui éveilla la vocation religieuse de Charles Armand Fouquet, frère cadet de M. de Vaux. C’est chez lui, à Villefranche de Rouergue qu’en mai 1683 fut signé le contrat de mariage de la jeune Marie-Madeleine qui avait séjourné, comme on le sait, au donjon de Pignerol, auprès de son père le surintendant.
Si Marie-Madeleine, le comte de Vaux et d’autres membres de la famille Fouquet s’étaient penchés sur le lit de mort de Nicolas Fouquet, l’évêque Louis Fouquet le saurait. Et si M. Petitfils croyait, quant à lui, à cette présence des Fouquet autour de Nicolas mort ou moribond, il ne lui viendrait pas à l’esprit que le prélat ait pu s’interroger en 1687 sur « la survie de son malheureux frère » !
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